Pourquoi vouloir instituer cette nouvelle incrimination pénale ?
Le code pénal français reconnaît 18 motifs de discrimination (2). Celle liée à la pauvreté devrait être le 19e. Les pauvres sont stigmatisés depuis la nuit des temps. Ils sont aujourd’hui rejetés car ils habitent dans une cité, ont grandi dans un foyer ou encore bénéficient de la couverture maladie universelle. Cela fait trois ans que nous dialoguons avec la HALDE pour lui faire prendre conscience que la discrimination en raison de l’origine sociale existe tout autant que celle liée à l’ethnie, par exemple. Les pauvres sont victimes d’une sorte de présomption d’incapacité. Ils sont accusés de ne pas bien éduquer leurs enfants parce qu’ils n’ont pas d’argent. Et puis on leur en veut souvent, car ils bénéficient d’aides, financières ou autres. Ils sont catalogués comme fainéants, ingrats, non reconnaissants. Il existe des mots pour toutes sortes de discrimination : le racisme, l’homophobie, le sexisme, etc. Mais il n’y en a aucun, en français, pour le racisme anti-pauvres.
Avez-vous des preuves concrètes de discriminations envers les pauvres ?
A la demande de la HALDE, nos équipes ont collecté des témoignages et des preuves de cas de discrimination pour raison de pauvreté. L’un d’entre eux concerne un élève issu d’une famille pauvre. Son professeur des écoles le surnomme « Monsieur Cafard » parce qu’un jour, des blattes sont sorties de son cartable. Il lui recommande aussi de laver ses vêtements « car il sent mauvais ». Un enseignant ne se permettrait sans doute pas de telles réflexions à l’égard d’un enfant qui n’est pas repéré comme issu d’un milieu pauvre. Un autre exemple concerne une femme et ses sept enfants, à qui le comité économique paroissial propose un logement. Le dossier est accepté, la mère de famille donne son préavis dans son ancienne habitation, mais deux semaines plus tard, le nouveau bailleur refuse finalement de louer un logement à cette famille pour « risque d’insolvabilité sévère ». L’argument n’est pas fondé puisque les aides personnalisées au logement (APL) qu’elle perçoit suffisent à payer le loyer. Très souvent, c’est davantage la nature des ressources qui inquiète. Grâce à Habitat et humanisme, le comité économique paroissial a fini par accepter, mais pour l’heure, il n’existe aucun recours judiciaire pour ces familles discriminées du fait de leur pauvreté.
Etes-vous parvenu à convaincre la HALDE ?
Reconnaître un nouveau motif de discrimination demande de changer le code pénal. C’est compliqué juridiquement, la HALDE nous a prévenus dès le début. Mais son comité consultatif a joint à notre demande celle de la ville de La Courneuve, qui l’avait saisie l’an dernier pour discrimination sociale et urbaine. Il est possible de prouver qu’une personne est discriminée parce qu’elle vit dans une zone urbaine sensible. Une des pistes évoquées par la HALDE consisterait à créer une étude officielle en plus de la nôtre, à base de témoignages, de chiffres, etc. Le problème, c’est qu’il arrive souvent que les personnes pauvres « cumulent » différents critères discriminatoires, il faut démêler tout cela. Et parfois, même si la discrimination sociale est flagrante, par exemple quand des villes ou des habitants refusent la construction d’une HLM, ce sont évidemment d’autres raisons qui sont invoquées. Quoi qu’il en soit, la HALDE rendra sa décision dans les prochains mois.
(1) Cette discrimination est reconnue par la Convention européenne des droits de l’Homme, mais la France n’a pas ratifié le protocole qui permettrait d’appliquer ce texte.
(2) Origine, sexe, situation de famille, grossesse, apparence physique, patronyme, état de santé, handicap, caractéristiques génétiques, mœurs, orientation sexuelle, âge, opinions politiques, activités syndicales, appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.