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Une réorganisation à plusieurs inconnues

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Si la nouvelle configuration du Conseil supérieur du travail social tend à en faire une instance plus dynamique et plus réactive, sera-ce au prix d’une perte de l’indépendance qu’il a, de fait, acquise ? Certains des choix effectués suscitent quelques inquiétudes…

Resserré, cadré, structuré, le Conseil supérieur du travail social (CSTS), réinstallé pour une septième mandature de cinq ans (contre trois auparavant), change de visage (voir page 39). Ce lieu d’échange qui a fonctionné jusqu’ici en lien étroit avec le secteur professionnel semble appelé à devenir un outil opérationnel, repositionné sur les pratiques professionnelles et les politiques sociales, et dont on attend expressément des analyses, des avis et des propositions. Une plus grande visibilité et reconnaissance, donc, de cette instance, à certains moments négligée par les ministres, mais qui s’accompagne aussi d’une demande de résultats plus pressante et d’un contrôle plus fort ; soit une évolution bien dans l’air du temps. Le CSTS, en tant qu’organe de réflexion et de valorisation du travail social, en sortira-t-il renforcé ? Tout dépendra sans doute de la capacité de ses membres à pouvoir répondre à la commande politique tout en restant à l’écoute des professionnels et des publics. Ce qui, au vu des rupture opérées dans la nouvelle organisation, n’est pas gagné d’avance.

Recul démocratique ?

Premier changement, tout d’abord, la nouvelle composition. Si la baisse du nombre de membres (50 contre 68 auparavant) peut s’expliquer par un souci d’efficacité au vu des absences répétées de certains d’entre eux, on notera qu’elle s’est effectuée au détriment des acteurs du secteur. Les coupes claires ont été opérées du côté des acteurs de la formation, des organisations d’employeurs, des syndicats de salariés, des représentants des usagers et des fédérations. « Un recul démocratique » dénoncé le 29 septembre, lors de l’installation de la nouvelle mandature, par les six syndicats de salariés (CFTC, CFDT, CGC, CGT, FO, UNSA), dans une déclaration commune. Par ailleurs, alors que l’on a pris en compte l’évolution du secteur en ouvrant le CSTS aux nouvelles agences – Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances et Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements sociaux et médico-sociaux (ANESM) –, il n’en a pas été de même pour les associations professionnelles – pourtant aujourd’hui au nombre de quatre, du moins pour les niveaux III (1). Y a-t-il alors un risque que la logique institutionnelle prenne le pas sur les réalités professionnelles et les publics ? Oui, estime l’Association nationale des assistants de service social, qui s’inquiète du poids donné à la parole des décideurs et des employeurs par rapport à celle des professionnels. C’est également la crainte de Jacques Ladsous, ancien membre du CSTS, et qui en fut par trois fois son vice-président. « Quand le CSTS a été créé en 1984, il s’agissait d’avoir une représentation équilibrée entre les décideurs, les professionnels et les usagers. Il représentait un espace d’expression libre dans lequel on essayait les uns avec les autres d’approfondir et de se mettre d’accord sur un certain nombre de sujets. Je crains qu’il devienne plus une courroie de transmission. » Des inquiétudes que balaie François Roche, coordinateur de la commission « éthique et déontologie » : « Une perte d’indépendance, je n’y crois pas. Les représentants institutionnels ne sont pas engagés dans la production des travaux. Ils apportent juste leurs points de vue. » Pour lui, le problème a même été jusqu’ici plutôt leur manque d’investissement. « Aux membres de travailler et de produire sans se sentir dépendants », souligne-t-il.

« Peut-être le climat sera-t-il un peu plus conflictuel, mais sortir du consensus mou, ce n’est pas forcément une mauvaise chose », rétorque Christian Chassériaud, président de l’Association française des organismes de formation et de recherche en travail social. Tout comme Marcel Jaeger, titulaire de la chaire de travail social et d’intervention sociale du Conservatoire national des arts et métiers, et Brigitte Bouquet, ancienne vice-présidente et présidente de la sous-commission chargée de la rédaction d’un rapport, il salue l’entrée au CSTS d’un sénateur et d’un député. « L’instance sort de sa fonction technique et rentre dans une fonction politique. Ce qui est dans l’intérêt du travail social, qui s’inscrit dans des politiques décidées par des élus. Le risque, sinon, c’est que les travaux ne soient pas réinjectés dans les politiques sociales. » Ce renforcement institutionnel est aussi « le signe d’une reconnaissance du travail social », se félicite Marcel Jaeger. « On a quand même traversé une époque où les pouvoirs publics parlaient peu du travail social ou se méfiaient des professionnels. »

De l’élection à la nomination du vice-président

Deuxième rupture et non des moindres : un vice-président, en l’espèce Michel Thierry, non plus élu, mais désigné par le ministre. « Cela ne change pas grand-chose, estime François Roche. Avant il était élu mais avec l’accord du ministère. » « Ce n’est pas anodin », rétorque Jacques Ladsous, qui explique qu’on n’a pas la même légitimité quand on tient son pouvoir du ministre ou de l’assemblée, tandis que les six syndicats de salariés dénoncent « une volonté politique de reprise en main ». Ironie de l’histoire, c’est en 1993, soit sept ans après sa création et au moment où Michel Thierry était lui-même directeur de l’action sociale (de 1990 à 1994), que le CSTS a été doté d’un vice-président élu – une fonction qui n’existait pas auparavant (2). Faut-il par ailleurs s’inquiéter de la nomination de ce haut fonctionnaire, aujourd’hui inspecteur général des affaires sociales, à un poste qui a toujours été occupé par un professionnel du travail social ? « Si le passage de l’élection à la désignation nous a déçus, nous sommes plutôt rassurés par le choix de Michel Thierry, qui est un bon connaisseur du secteur et est respecté des professionnels », estime Brigitte Bouquet. Une satisfaction toutefois bien fragile : qu’en sera-t-il lorsque le ministre choisira une personnalité qui a peu d’intérêt pour le travail social ?

On peut aussi voir dans le passage de l’élection à la désignation le signe que le CSTS devient un organisme consultatif comme un autre, au même titre par exemple que le Comité interministériel du handicap ou le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), dont le secrétariat général pour le premier et la présidence pour le second ont été confiés respectivement à Thierry Dieuleveux et à Patrick Gohet, tous deux inspecteurs généraux des affaires sociales. Avec toutefois une différence de taille pour le CNCPH, puisque n’étant pas présidé par le ministre, il jouit d’une indépendance plus grande que le CSTS.

Une organisation très cadrée

Troisième changement, alors que l’arrêté du 11 septembre 2002 ne disait rien de l’organisation de travail du CSTS, celui du 7 juillet dernier y consacre plusieurs articles. C’est ainsi qu’il est doté d’un « petit exécutif », une commission permanente, alors que les affaires courantes étaient auparavant gérées par un bureau plus restreint. A cela s’ajoutent, à côté de la commission « éthique et déontologie », deux sous-commissions, l’une consacrée à la rédaction d’un rapport thématique et l’autre à la fonction de veille. Cette institutionnalisation des missions est incontestablement une reconnaissance de l’expertise du CSTS, dont les rapports font autorité dans le secteur, et de la fonction de veille dans laquelle il s’est fortement investi ces dernières années, ayant su sur certains sujets défendre des positions qui n’allaient pas forcément dans le sens du gouvernement.

Pourra-t-il toutefois conserver sa liberté d’expression collective et sa qualité d’expertise – qui lui confèrent une autorité morale reconnue – dans une organisation aussi cadrée ? « Nous avons été très surpris de voir que la composition des groupes de travail avait été définie de façon limitative et peu démocratique par l’arrêté de juillet », rapporte Pierre Berton, représentant de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS), qui relève qu’aucun représentant des usagers et des associations ne figure dans la commission « éthique et déontologie » et la sous-commission de veille. Plusieurs organisations ont d’ailleurs demandé, lors de l’installation du CSTS, à pouvoir intégrer les groupes de travail (3), une requête prise en compte par Michel Thierry (voir encadré page 42). « Alors qu’elle va avoir une fonction politique importante puisqu’elle intervient sur des sujets d’actualité liés aux pratiques professionnelles et à leur évolution, comment expliquer que la sous-commission de veille soit limitée à cinq membres ? », se demande Christian Chassériaud. Et d’exprimer ses craintes qu’avec une composition aussi restreinte (4), qui réduit de fait le rapport de forces, elle fasse preuve d’une trop grande prudence et évite les sujets qui fâchent. Sans compter le risque qu’elle ne puisse aller au fond de thématiques complexes, « surtout si on la noie sous des demandes pressantes », précise Alain Dru, représentant de la CGT. Lequel s’interroge également sur la façon dont vont être répartis les sujets entre la commission « éthique et déontologie » et la sous-commission de veille, « dont les frontières restent à déterminer », sans que cela nuise à leur approche globale.

Par ailleurs, certains réclament des éclaircissements sur l’emboîtement du CSTS et de l’ANESM. Alors que le premier apporte « une expertise en matière d’exercice et de pratiques professionnelles » et formule en ce sens des recommandations, la seconde valide ou élabore « des recommandations de bonnes pratiques professionnelles ». Le CSTS a ainsi rendu un avis en juin dernier sur la charte déontologique sur le partage des informations nominatives détenues par les travailleurs sociaux (5) et vient d’être chargé d’un rapport sur « le partage d’informations dans l’action sociale et le travail social », tandis que l’ANESM planche actuellement sur « le partage d’informations en protection de l’enfance ». Une proximité des thématiques qui, à l’heure de la révision générale des politiques publiques, apparaît difficilement compréhensible.

Et les moyens ?

Reste enfin une grande inquiétude : il n’est pas sûr que le CSTS ait les moyens matériels de répondre aux ambitions – amplifier son rôle de réflexion et faire preuve d’une plus grande réactivité – fixées par le ministre du Travail et de la Solidarité, Eric Woerth. Rien n’a été dit sur cette question lors de la séance d’installation, si ce n’est la promesse de Fabrice Heyriès de développer la communication de cette instance sur les sites Intranet et Internet du ministère ; ce sujet devrait être mis à l’ordre du jour d’une prochaine assemblée plénière. Il y a donc fort à craindre, dans le contexte budgétaire actuel, que le CSTS doive encore compter sur le bénévolat de ses membres et le seul remboursement de leurs frais de déplacement.

Notes

(1) Certes, Jean-Marie Vauchez, président de l’Organisation nationale des éducateurs spécialisés (ONES), et Didier Dubasque, vice-président de l’Association nationale des assistants de service social (ANAS), siègent au CSTS en tant que personnes qualifiées, mais, à ce titre, ils ne représentent qu’eux-mêmes et non leur association - Sur les réactions de l’ANAS et de l’ONES, ASH n° 2672 du 3-09-10, p. 24.

(2) C’est le directeur de l’action sociale qui assurait la présidence en cas d’absence du ministre.

(3) L’Uniopss a demandé à entrer dans la commission « éthique et déontologie » et l’Association des régions de France, l’Union nationale des associations de formation et de recherche en intervention sociale, l’Union nationale des centres communaux d’action sociale ont souhaité intégrer la sous-commission de veille. La FNARS devrait également faire une demande pour entrer dans cette sous-commission.

(4) Limitée au président, Vincent Meyer, à une personne qualifiée et à un représentant des organisations d’employeurs, des syndicats de salariés et de l’Association nationale des directeurs d’action sociale et de santé des conseils généraux.

(5) Voir ASH n° 2664 du 18-06-10, p. 5.

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