Alors que les députés entamaient, le 28 septembre, l’examen du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, les appels se sont multipliés pour dénoncer le texte. Les 36 associations et fédérations du collectif Alerte ont enjoint aux parlementaires de « prendre toute la mesure du caractère néfaste de cette politique et de refuser d’y prendre part ». Le projet de loi, protestent les acteurs de la lutte contre l’exclusion, « s’inscrit dans une logique qui privilégie une prétendue sécurité aux dépens de la dignité des personnes ». Outre les dispositions sur la privation de liberté des étrangers en situation irrégulière – allongement de la durée de rétention, réduction des pouvoirs du contrôle du juge judiciaire, notion élargie de la zone d’attente, interdiction de retour… –, sont notamment visés des amendements qui restreignent le droit des étrangers en situation de précarité (1). Selon le texte adopté en commission des lois, l’hébergement d’urgence « n’est plus considéré comme inconditionnel » et « perd son caractère de droit fondamental », pointent les membres d’Alerte. En effet, les citoyens européens auraient le droit de séjourner en France pour une durée inférieure ou égale à trois mois « tant qu’ils ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale », dont le dispositif d’hébergement d’urgence. Et pour les ressortissants européens constitueraient désormais des « abus de droit » justifiant leur éloignement du territoire « le séjour en France dans le but essentiel de bénéficier du système d’assistance sociale » ou le renouvellement de séjours de moins de trois mois « dans le but de se maintenir sur le territoire ».
« Quelle que soit sa nationalité, l’ennemi visé par l’ensemble du projet de loi est au fond le pauvre », commente le collectif « Uni(e)s contre l’immigration jetable » (UCIJ), qui s’indigne de la « discrimination introduite dans la limitation de la liberté de circulation pour certains Européens en fonction de leurs revenus ». Lui aussi a lancé aux parlementaires un « appel solennel à la réflexion ». « Il ne s’agit pas d’une réforme banale de la réglementation relative aux étrangers, plaide le collectif, mais d’un tournant à la faveur duquel la France instaure des régimes d’exception permanents à l’encontre des étrangers. » En ouvrant la voie à « de nombreuses discriminations fondées sur l’origine », le texte rompt « avec des principes et des valeurs, qu’on croyait intangibles, inscrits dans la Constitution et tous les textes internationaux ». France terre d’asile parle de « caricature » stigmatisant les étrangers comme des fraudeurs ou des délinquants.
Parmi les autres sujets de protestation : les nouveaux motifs de déchéance de la nationalité. Une mesure « inefficace et anti-républicaine », analyse le collectif UCIJ. Inefficace car « aucune peine n’est dissuasive », sa fonction étant de sanctionner et de réparer, et « anti-républicaine » car elle instaure « une hiérarchie entre les Français ». En outre, si l’on introduit la possibilité d’expulser des étrangers en situation régulière « passibles de poursuites pénales » pour des délits parmi lesquels « les occupations illégales de terrains publics ou privés », la régularité du séjour ne sera plus un droit, mais « un prêt », s’alarme-t-il, rappelant que Nicolas Sarkozy s’était pourtant opposé au principe de la double peine lorsqu’il était ministre de l’Intérieur.
Le projet de restreindre l’accès à un titre de séjour pour raison médicale suscite également de vives inquiétudes. En transformant la condition de « non-accès effectif au traitement approprié dans le pays d’origine de l’étranger » en seule « inexistence du traitement approprié », le texte « reviendrait à supprimer le droit au séjour des étrangers gravement malades en France », expliquent, dans un communiqué commun, l’Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE), l’Uniopss, la FNARS et le Collectif interassociatif sur la santé. En effet, l’existence d’un traitement ne garantit pas qu’il soit accessible ou même disponible pour la personne. L’organisation rappelle que, fin 2008, le nombre d’étrangers malades régularisés « s’est stabilisé autour de 28 000 personnes, ce qui représente 0,38 % des 3 500 000 étrangers en France ». On est loin d’une interprétation « très généreuse » de la loi, comme l’a argumenté l’auteur de l’amendement décrié, Thierry Mariani (UMP). La migration pour raison médicale, ajoute l’ODSE, « reste une exception, plus de 90 % des personnes concernées ayant découvert leur maladie à l’occasion d’un examen médical pratiqué en France alors qu’ils y résidaient déjà ». Refuser le droit au séjour des étrangers malades « renforce la clandestinité, le non-recours aux soins, le retard dans la prise en charge médicale », argumente l’ODSE. S’appuyant sur un courrier adressé le 22 septembre par le Conseil national du sida au chef de l’Etat, il défend que les enjeux sanitaires et de maîtrise des dépenses de santé conduisent à rejeter « tout recul dans la protection des étrangers gravement malades ».
L’association Forum réfugiés relève, quant à elle, une autre restriction touchant les demandeurs d’asile : la réduction du délai dans lequel l’aide juridictionnelle peut être demandée et l’exclusion de son bénéfice pour les demandeurs en phase de réexamen. L’association déplore « la diminution du budget réservé tous les ans au dispositif de l’aide juridictionnelle », qui affaiblit encore davantage les droits des demandeurs, alors que persiste « la carence des moyens humains et matériels mis à la disposition de la cour nationale du droit d’asile ».
De leur côté, 45 organismes chrétiens, dont la Cimade, la Fédération de l’entraide protestante et le Secours catholique, signataires en juin dernier de l’appel « Ne laissons pas fragiliser le droit de l’étranger », organisaient un rassemblement le 28 septembre, à Paris, pour en appeler à « la conscience » des députés.