« Au détour des écrits sur le travail social apparaît régulièrement le principe de l’adhésion des usagers sans qu’il soit réellement interrogé. Dans un contexte de montée en force du “tout sécuritaire” et de limitation des budgets de l’action sociale, il nous paraît important de questionner ce principe, d’en voir avantages et limites pour proposer d’autres pistes.
L’adhésion des usagers est une belle idée, heureusement posée comme un principe de base de la relation d’aide. C’est une façon de préciser que dans l’intervention sociale, le travailleur social ne fait pas sans les personnes ; il doit les informer et chercher à obtenir leur participation, viser le fait qu’elles soient d’accord avec ses propositions à leur égard. C’est un principe inscrit dans le code de déontologie de l’Association nationale des assistants de service social (ANAS) (article 11) : “L’assistant de service social doit rechercher l’adhésion des intéressés à tout projet d’action les concernant, en toutes circonstances et quelle que soit la façon personnelle dont ils peuvent exprimer leur adhésion.”
Pour autant, sait-on précisément le contenu de cette adhésion ? Est-ce qu’il s’agit que les usagers adhèrent au projet que les travailleurs sociaux ont pour eux ? Est-ce qu’il s’agit qu’ils adhèrent à la relation d’aide ? Dans les deux cas, on parle d’adhésion mais on sent bien qu’elle n’est pas du même niveau. Et pourtant, dans le domaine de la protection de l’enfance, un usager qui n’adhérerait pas au projet qu’a le travailleur social pour lui verrait peut-être son dossier transmis aux autorités judiciaires.
L’adhésion des usagers… Qu’y a-t-il sous cette belle intention ? Faisons un détour par l’étymologie et la définition du mot. “Adhésion” vient du latin “ad”, “à”, et “haerere”, “être attaché”. C’est donc coller, être fixé. Quand on recherche du côté des synonymes, on trouve les verbes et expressions : “être d’accord”, “se ranger à l’avis de”, “accepter”, “approuver”, “souscrire”. Tous ces verbes ont en commun l’idée qu’il y a un préexistant.
Regardons ce que ce préexistant a comme conséquence du côté de l’usager. A titre d’exemple, depuis la loi sur la protection de l’enfance du 5 mars 2007, on sait que l’adhésion à une mesure éducative est une condition de l’intervention du conseil général. Son absence entraîne l’orientation vers le judiciaire. Quelle est la marge de manœuvre de l’usager ? A-t-il vraiment le choix ? S’agit-il d’une adhésion ou d’une solution pour éviter davantage d’ennuis ?
Nous pouvons également interroger ce préexistant du côté des professionnels : quel est le professionnel qui n’a jamais cherché à faire adhérer les personnes qu’il accompagne à sa compréhension de leur problème et à son projet pour elles ? Chercher à “faire adhérer une personne”, ce n’est pas co-construire avec elle ; c’est considérer que c’est sa propre expertise qui est importante. Cela a une conséquence en termes de posture : le professionnel est sur celle du “sauveur”, celui qui sait ce qui est bon pour l’autre et qui va faire en sorte de le lui faire comprendre.
On voit donc que, derrière la “belle intention”, se cachent de nombreux non-dits. Pour autant, il ne faudrait pas “jeter le bébé avec l’eau du bain”. L’adhésion des usagers est un minimum mais peut-être faut-il ne pas s’en contenter. Si on veut dépasser les rapports parfois tendus entre travailleurs sociaux et usagers, il faudrait mettre en rapport cette posture d’“expert-sauveur” des travailleurs sociaux et ses effets quant à l’autonomie des usagers. Le préambule du code de déontologie cité plus haut est ainsi rédigé : “L’assistant de service social est au service de la personne humaine dans la société. Son intervention vise à l’épanouissement et à l’autonomie des personnes, groupes ou communautés.” Si c’est le travailleur social qui, pour chaque problème, détient “la” solution, comment un usager peut-il à terme se passer de lui ?
Quelles seraient les pistes pour dépasser ces effets pervers ? Tout d’abord, sortir des a priori sur les usagers. Ne plus les voir seulement à travers le filtre de leurs difficultés. Selon un propos entendu récemment dans la bouche d’un travailleur social : “les usagers ont tellement de difficultés. Si en plus il fallait leur demander de penser !” Or ils sont experts de leur vie, de leurs difficultés comme de leurs compétences, que nous sous-estimons si souvent. Il faudrait également sortir des pré-pensés sur les usagers : par exemple, les parents seraient “démissionnaires”. Une loi récemment votée vise même à suspendre les allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire (voir ce numéro, pages 5 et 22). Une étude de l’Union nationale des allocations familiales (UNAF) sur l’absentéisme scolaire vient au contraire de montrer que parents et élèves sont très préoccupés par la question et qu’ils ont des idées (2). Il ne s’agit pas de faire de l’angélisme. Simplement, aller au-devant et au contact des premières personnes concernées par le problème de l’absentéisme (les élèves et les parents), prendre le temps de comprendre quelle est leur propre définition du problème permettraient peut-être d’éviter la stigmatisation et de construire des solutions plus viables. La “construction” d’un problème est un art qui demande du tact. Ce tact “réclame que ceux qui sont ‘mis en problème’ trouvent une place dans la définition des problèmes qui les concernent et dans leurs solutions. Le tact ne disqualifie pas la position d’expertise en sur-qualifiant le sens commun, mais il laisse jouer les rapports de force entre l’expert et le citoyen, et permet d’apprendre de ceux dont on cherche à problématiser l’existence” (3).
Pour conclure, notre proposition serait la suivante : une co-construction débouchant sur un projet auquel travailleur social et usager adhéreraient mutuellement, et au-delà toute personne concernée par le problème en question. Co-définir avec toutes les personnes concernées ce qui pose problème, co-construire des solutions avec ces mêmes personnes, c’est ce que propose l’approche centrée sur le développement du pouvoir d’agir, qui nous semble offrir des pistes intéressantes pour faire évoluer les rapports entre travailleurs sociaux et usagers. »
Contact :
(1)
(3) Claude De Jonckheere, 83 mots pour penser l’intervention sociale – Editions IES, 2010.