L’éducation populaire serait-elle dépassée ? Peu de monde aujourd’hui sait encore précisément à quoi correspond ce mouvement. Porté par des valeurs généreuses et enraciné dans le XIXe siècle, il a pourtant nourri toute une génération de militants issus de la tradition laïque, de l’humanisme chrétien et du mouvement ouvrier. Leurs mentors s’appelaient Nicolas de Condorcet, auteur d’un rapport sur l’instruction publique paru en 1792, Jean Macé, fondateur, en 1866, de la Ligue de l’enseignement, et Marc Sangnier, qui impulsa les premières auberges de jeunesse en France à partir de 1929.
A des degrés divers selon leurs sensibilités, ces militants rêvaient d’accès à la culture pour tous, d’émancipation individuelle et collective, et de progrès social. Ils appelaient de leurs vœux une confrontation des savoirs et des points de vue pour transformer en profondeur la société dans le sens d’une réduction des inégalités (voir encadré, page 29).
Que subsiste-t-il, sur le terrain, de ce programme accrocheur ? L’éducation populaire a-t-elle encore la capacité de rassembler et de mobiliser ? « Il y a des militants et des stratèges qui pensent qu’il faut continuer à investir ce drapeau-là parce qu’il est encore porteur d’avenir. Mais les troupes ne sont plus ce qu’elles étaient… », remarque le sociologue Michel Chauvière. Alors, « disparition ou mutation » de ce mouvement (1) ? Tout dépend de la perspective choisie. D’un côté, l’évolution des formes du militantisme – caractérisé aujourd’hui par l’intermittence de l’engagement et la diversité des causes défendues – déstabilise les « vieilles dames » de l’éducation populaire, comme on appelle parfois les associations historiques du mouvement. Or celles-ci sont déjà fragilisées par leurs liens étroits avec les pouvoirs publics qui en ont fait, pour certaines, de simples prestataires de services répondant à la commande publique. En devenant de « quasi-services publics », suscitant le malaise de nombreux militants, elles semblent avoir perdu ce qui en faisaient des aiguillons, susceptibles de transformer la société. « Il y a un écart entre la théorie et la pratique, reconnaît François Chobeaux, responsable des secteurs social et jeunesse des CEMEA (Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active). Nombre d’associations qui se réclament historiquement de l’éducation populaire se satisfont du label ; on est dans l’idéologie, pas dans la réalité. » « Prenons les auberges de jeunesse : elles sont devenues des hôtels bon marché qui n’ont plus rien de l’éducation populaire », déplore, pour sa part, Jacques Ladsous, ancien éducateur spécialisé et secrétaire général du Cedias-Musée social (centre d’études, de documentation et d’information sur l’action sociale).
D’un autre côté, il est difficile de ne pas voir l’émergence de nouvelles dynamiques d’éducation populaire, portées par des organismes davantage tournés vers la contestation et dont les formes d’action sortent des schémas traditionnels. Pour Jean-Marie Mignon, conseiller technique et pédagogique supérieur à la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale d’Ile-de-France, les forums sociaux mondiaux sont ainsi de « vastes foires d’éducation populaire où l’on rencontre nombre d’organismes, des plus grands aux plus petits, qui militent pour permettre à des personnes démunies de prendre leur place dans la cité ». Et le même de déceler, dans les collectifs de « sans-droits », le « canal d’action majeur » de l’éducation populaire du futur, qu’il envisage « moins directement éducative, plus réactive aux émotions sociétales, quelles qu’elles soient, aux dysfonctionnements de la société » (2). Plus proche, du coup, de l’activisme politique.
Parallèlement, l’éducation populaire, dont les contours sont loin d’être stabilisés (voir encadré, page 30), investit de nouveaux champs : les technologies de l’information et de la communication avec pour objectif l’invention de nouveaux usages sociaux du Net et la mutualisation des connaissances (les « Points Cyb » installés dans les centres d’information jeunesse), l’éducation à la pratique scientifique, à l’écologie et au développement durable, l’économie solidaire, l’éducation permanente tout au long de la vie ou encore les réseaux réciproques d’échanges de savoirs… « Les repas de quartier ont une fonction éducative dans la mesure où ils permettent de rencontrer l’autre et de refonder la vie de la cité, explore également Jean-Marie Mignon. Idem pour le graff qui ouvre la porte à de nouvelles formes de mobilisation citoyenne dans les quartiers… » « Certaines associations font de l’éducation populaire sans même le savoir », complète François Chobeaux. Autant d’initiatives qui sembleraient montrer que les valeurs de l’éducation populaire imprègnent toujours la société d’aujourd’hui.
Il n’y a qu’à voir du côté des acteurs de la solidarité. Des liens étroits continuent à relier ce champ à l’éducation populaire. « L’action sociale d’ATD quart monde est une action d’éducation populaire », assure Jacques Ladsous. Cette affirmation vaut sans doute aussi pour la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France (FCSF). « En ouvrant le social aux animateurs, les centres sociaux font d’une certaine façon disparaître la dichotomie entre action sociale et éducation populaire », analyse l’historienne de l’éducation populaire, Geneviève Poujol. « Ils se situent à mi-chemin entre le travail social et l’animation dans la mesure où ils visent à créer de la solidarité collective en action à travers la participation des habitants », explique Jean-Marie Laurent, délégué général adjoint de la FCSF. Quant aux CEMEA, ils font clairement référence à l’éducation populaire dans leurs centres de formation au travail social. « Nous ne formons pas des techniciens du social mais des travailleurs sociaux capables de se positionner dans leur environnement en étant acteurs de la mise en œuvre de leurs compétences », affirme Robert Bergougnan, directeur du centre régional de formation aux métiers du social à Toulouse, géré par l’association Erasme (« membre associé » des CEMEA). Le savoir y prend corps sous la forme d’une appropriation individuelle et collective et pas dans un rapport de transmission dominant/ dominé, défend-il. En outre, les CEMEA, toujours en référence à l’éducation populaire, indiquent attacher une grande importance à l’organisation de sessions de formation en internat de façon à créer des moments de vie collective. Ces derniers permettent aux futurs travailleurs sociaux de prendre conscience de l’intérêt de mobiliser le « groupe » (d’usagers, de bénévoles…) dans leurs interventions et de sortir du face-à-face avec l’usager.
Les centres sociaux et les CEMEA sont en cela les parfaits héritiers du temps où l’action sociale et l’éducation populaire puisaient dans le même creuset idéologique et formaient une famille proche (voir encadré, page 31). Autre témoin de cette proximité, l’animation socioculturelle, largement financée par les caisses d’allocations familiales à travers le contrat enfance jeunesse, qui organise la prise en charge du temps périscolaire à l’échelle communale ou intercommunale. Si celle-ci « relève historiquement du champ de l’éducation populaire – elle en forme le versant professionnel –, elle va vers l’action sociale car c’est là que sont les financements », analyse Geneviève Poujol. L’animation socioculturelle s’exerce ainsi de plus en plus au sein d’établissements (centres d’hébergement et de réinsertion sociale, maisons de retraite…) sous la forme d’une animation « sociale », qui lorgne vers le travail social.
Aujourd’hui, c’est la politique de la ville qui forme un terrain de rencontre privilégié entre l’action sociale et l’éducation populaire. Dans les zones prioritaires, les programmes de réussite éducative (PRE), par exemple, font travailler ensemble des assistants sociaux ou des éducateurs spécialisés avec des associations de jeunesse et d’éducation populaire (3). Sans compter que « la plupart des équipements de proximité des quartiers populaires sont aujourd’hui gérés par des organismes d’éducation populaire (centres sociaux, MJC, maisons de quartier), ce qui oblige les travailleurs sociaux à s’appuyer sur ces institutions », constate Jean-Claude Richez, coordinateur de la mission « observation évaluation » à l’INJEP (Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire).
Ces rapprochements de terrain devraient trouver un prolongement avec les nouvelles directions régionales de la jeunesse et des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) dans lesquelles sont regroupées les directions de la jeunesse et des sports et des affaires sanitaires et sociales. Selon Jean-Claude Richez, ces pôles vont faciliter les rencontres des acteurs du social et de l’éducation populaire, et permettre une meilleure articulation des approches. « Les acteurs de l’éducation populaire ne peuvent plus faire l’impasse sur la question sociale », analyse-t-il. « Nous avons tout intérêt à apprendre à travailler ensemble et à décloisonner nos champs d’intervention plutôt que de rester enfermés dans nos dispositifs respectifs », approuve Gilles Le Bail, président du Cnajep (Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d’éducation populaire). « A l’heure de l’affrontement avec le marché, l’éducation populaire et le travail social ne sont pas des mondes si éloignés en ce qu’ils refusent, tous deux, de voir le secteur lucratif faire de l’argent avec le social », observe, pour sa part, Michel Chauvière. « L’éducation populaire s’était construite sur un travail d’émancipation, de libération de l’individu. Il lui faut maintenant tisser du lien social, mener un travail d’intégration, éduquer dans une norme sociale commune », avance également Jean-Marie Mignon (4).
Mais au-delà, d’aucuns se demandent si l’éducation populaire ne serait pas à même d’incarner, dans le secteur de l’action sociale, une alternative – ou tout au moins une forme de résistance – à l’individualisme et à la standardisation des pratiques. Car, depuis les années 1980, la décentralisation et l’arrivée de dispositifs inscrivant les travailleurs sociaux dans une logique d’aide individuelle ont considérablement réduit la dimension collective du travail social. « Certes le travail social est historiquement du côté de la réparation et privilégie surtout l’approche individuelle alors que l’éducation populaire met l’accent sur l’émancipation et l’action collective, souligne Jean-Claude Richez. Mais, à la faveur de la crise que nous traversons, les travailleurs sociaux s’aperçoivent qu’ils doivent désormais intégrer la dimension collective pour sortir de l’assistance et faire en sorte que les usagers deviennent des acteurs. Dans ce contexte, l’éducation populaire permet d’insuffler du sens et des valeurs pour réinterroger les pratiques et les références du travail social » (5). « La démarche est terriblement d’actualité dans la mesure où elle crée du collectif alors que nous sommes dans une société de plus en plus individualisée et que tout le travail social en France est centré sur l’individu, ce qui isole et empêche les personnes de voir qu’elles peuvent agir collectivement », complète François Chobeaux. Selon lui, se référer aux valeurs de l’éducation populaire permettrait même d’aller bien plus loin que la loi 2002-2 rénovant l’action sociale et médico-sociale, qui réduit la participation des usagers à « une approche consumériste, qui éloigne des valeurs d’émancipation ».
Partageant le même constat, des acteurs du secteur social travaillent à l’émergence de mouvements d’action collective. En témoignent des initiatives comme le réseau « 7,8,9 », MP4-Champ social ou l’Appel des appels. Parallèlement, à un niveau plus institutionnel, on peut observer une forte incitation au développement des démarches privilégiant le groupe plutôt que l’individu – comme le montrent tous les discours en faveur de l’intervention sociale d’intérêt collectif (ISIC), qui rassemble sous une même appellation le travail social communautaire, le travail social avec les groupes ou le développement social local (6). Cet élan vers le collectif rencontre les aspirations de nombreux travailleurs sociaux, notamment des assistants sociaux, qui « cherchent à se réconcilier avec le collectif pour éviter de voir leur travail se réduire à une fonction de guichet », comme l’analyse Jacques Ladsous.
Or, pour certains professionnels, il existerait une forte proximité entre ces formes d’action sociale collective et l’éducation populaire, qui se retrouveraient autour des notions de citoyenneté et d’implication des personnes. Signe de cette parenté étroite, un des axes de travail de l’inter-réseaux des professionnels du développement social urbain (IRDSU) s’intitule « Travail social, développement communautaire, éducation populaire et citoyenne » (7). L’un des objectifs du chantier vise à renforcer les capacités et l’autonomie des personnes dans une perspective d’empowerment. Ce mot anglais est justement, pour Jean-Marie Mignon, « une bonne traduction de ce qu’est l’éducation populaire car il correspond à l’idée de rendre une personne autonome pour en faire une force pour la communauté dans le respect des besoins de la société ».
On le voit, par le biais de ramifications multiples, le secteur de l’action sociale n’en a pas fini avec l’éducation populaire. Qu’ils s’en inspirent dans leurs actions ou qu’ils l’invoquent comme un idéal, des travailleurs sociaux continuent à y percevoir une démarche susceptible de les aider à affronter, mieux armés, les enjeux contemporains. Faut-il discerner dans ce processus d’appropriation, et à la faveur d’une libéralisation accrue de l’action sociale, une chance pour l’éducation populaire de se ressourcer ? Ou bien est-ce un premier pas vers sa dissolution ? Après tout, peu importe, disent en substance certains de ses militants, l’important, c’est que persistent, sur le terrain et quelle que soit la formulation utilisée, des pratiques concrètes d’éducation populaire.
L’éducation populaire « s’éclaire par son époque » en reflétant les grandes questions de société du moment, estime Jean-Marie Mignon, conseiller technique et pédagogique supérieur à la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale d’Ile-de-France (8). Née au XVIIIe siècle des premières démarches d’alphabétisation en direction des adultes, puis des enfants, l’éducation populaire ne se développe vraiment qu’« à partir du XIXe siècle avec la création de la Ligue de l’enseignement pour le versant laïque et de l’ACJF (Association catholique de la jeunesse française) pour le versant catholique » , précise l’historienne Geneviève Poujol. Les dernières décennies du XIXe siècle marquent la première apogée de l’éducation populaire : il s’agit d’éduquer le peuple au plus vite pour faire vivre la toute jeune démocratie. Les universités populaires se multiplient rapidement dans toute la France, suivies, après la Première Guerre mondiale, par les auberges de jeunesse. Malgré l’échec des universités populaires qui n’ont jamais réussi à toucher le plus grand nombre, le Front populaire relance le mouvement, en 1936, grâce à l’appui de Léo Lagrange, sous-secrétaire d’Etat aux sports et aux loisirs.
Lors de la Seconde Guerre mondiale, des militants de tous horizons se rencontrent dans les réseaux de Résistance. Ils seront à l’origine de la création d’importantes associations d’éducation populaire à la Libération, soutenues par l’éphémère direction de la culture populaire et des mouvements de jeunesse, confiée à Jean Guéhenno. L’éducation populaire est alors à nouveau florissante.
Mais, sous la Ve République, le mouvement est éclaté en différents ministères : la jeunesse – confiée à Maurice Herzog – est séparée de l’éducation et la culture, placée sous la tutelle d’André Malraux. Paradoxalement, la forte exigence de transformation sociale qui émerge en mai 1968 marque le début de l’essoufflement du mouvement. Avec les années 1970, la naissance de l’animation socioculturelle annonce la dilution du militantisme des années précédentes dans un professionnalisme neutre. Aujourd’hui, selon Jean-Marie Mignon, l’éducation populaire est surtout « perçue comme une éducation civique » (9).
Selon la version institutionnelle, donnée par le Cnajep (Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d’éducation populaire), le secteur de l’éducation populaire représente plus de 430 000 associations (soit 49 % du nombre total des associations en France), ce qui équivaut à près de 680 000 emplois (environ 330 000 ETP), plus de 6 millions de bénévoles et un budget cumulé de l’ordre de 18 milliards d’euros, soit 1,4 % du PIB.
Reste que ces chiffres ne valent pas définition. « On entretient, la plupart du temps, au sujet de l’éducation populaire, un discours implicite, qui permet d’éviter de la caractériser de façon formelle, de contourner sa définition », analyse Jean-Marie Mignon, conseiller technique et pédagogique supérieur à la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale d’Ile-de-France (10). Ne vaudrait-il pas plutôt parler de ses définitions ? « La simplicité du terme recouvre en effet un objet bien complexe. On y pénètre comme dans un dédale, en découvrant que la définition des uns ne recouvre pas celle des autres, qu’elles se côtoient sans toujours se croiser », poursuit Jean-Marie Mignon.
Les organismes qui s’en réclament forment une nébuleuse aux contours flous dans laquelle on trouve des associations sportives, des mouvements de jeunesse, des centres de vacances, des ciné-clubs, des maisons de la jeunesse et de la culture (MJC), des chantiers de jeunes (11)… Dans ce grand fourre-tout, Jean-Marie Mignon distingue néanmoins quatre grands faisceaux d’activités : les activités complémentaires à l’école autour du loisir ; l’éducation permanente ; l’action culturelle qui permet l’accession de tous aux œuvres artistiques et culturelles et favorise la démocratisation des moyens de productions culturelles ; l’engagement dans la cité. « Il existe de multiples pratiques de terrain dans des champs très variés », commente Laurent Bihel, chargé de mission Développement social urbain au Mans, qui mentionne également l’intégration des populations étrangères, l’action communautaire, l’écologie ou l’action civique pour le respect des droits humains (12). « Tout cela peut-il être rassemblé dans un ensemble cohérent qu’il est possible de penser globalement ? », se demande Jean-Marie Mignon. Rien n’est moins sûr : « L’éducation populaire n’est pas un mouvement homogène, constate le sociologue Michel Chauvière. C’est plutôt une mouvance ou mieux une convergence de différentes organisations, en même temps qu’un label ou un drapeau utilisable, comme d’autres utilisent l’économie sociale ou le développement durable. »
Ancien éducateur spécialisé, secrétaire général du Cedias-Musée social
Quels sont les liens historiques entre l’action sociale et l’éducation populaire ?
L’éducation populaire s’enracine dans trois courants : les Lumières, qui affirment qu’il est possible de se former continuellement, même adulte, le mouvement social chrétien, qui veut approfondir l’idéal démocratique, et le mouvement ouvrier, qui œuvre à valoriser ses membres et à les faire progresser dans leur milieu. Or, dès l’origine, le mouvement social chrétien et le mouvement ouvrier sont liés à l’action sociale – si tant est qu’on ne la réduise pas à l’assistance. Autre lien : Jean Guéhenno, qui a été chargé de développer l’éducation populaire après la Seconde Guerre mondiale, faisait partie, entre les deux guerres, du même cercle que Robert Guarric, un des pères de l’action sociale en France. En outre, les outils de l’éducation populaire ont beaucoup servi aux premiers éducateurs spécialisés – dont j’étais –, notamment à travers l’idée que l’activité pouvait servir de support à la relation et dans la façon d’aborder le savoir autrement que dans la transmission.
En quoi le travail social et l’éducation populaire se rejoignent-ils ?
Je défends l’idée que les travailleurs sociaux, tout comme les militants de l’éducation populaire, agissent dans la perspective de rendre les gens plus autonomes. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui pensent que l’action sociale peut se résumer à un face-à-face ; elle est, au contraire, à la fois individuelle et collective. De la même façon, je m’inscris en faux contre l’idée que le travail social serait du côté de la réparation et l’éducation populaire du côté de la mobilisation sociale. Qu’est-ce que « réparer » une personne sinon l’aider à retrouver sa dignité au sein de la société, autrement dit à la « mobiliser » ? A mon sens l’éducation populaire et l’action sociale se recoupent dans la mesure où elles s’appuient toutes deux sur des principes identiques. Ce qui est fondamental, dans les deux cas, c’est la capacité à donner aux gens la possibilité de garder la tête haute dans une société qui n’en tient pas compte.
Dans le contexte actuel, l’éducation populaire peut-elle être une référence pour l’action sociale ?
L’éducation populaire peut aider à lutter contre la marchandisation des services en réhabilitant les idées de gratuité et d’engagement personnel qui sont mises à mal par la concurrence des associations entre elles et avec le secteur marchand. Je suis convaincu que ce mouvement, en tant qu’espace de liberté et de démocratie, peut nourrir ce qui va émerger du vacillement des marchés. Disons qu’elle est aujourd’hui en sommeil. Cela ne veut pas dire qu’elle est morte, au contraire !
Propos recueillis par C. S.-D.
(1) C’était d’ailleurs le titre du dossier consacré à l’éducation populaire de Vie sociale n° 4 – Cedias-Musée social, 2009.
(2) In Une histoire de l’éducation populaire – Ed. La Découverte, 2007.
(4) In Une histoire de l’éducation populaire – Op. cit.
(5) L’INJEP prépare, pour 2011, un numéro de la revue Agora Débats/Jeunesses sur le thème « Education populaire et intervention sociale ».
(6) Le Conseil supérieur du travail social a réaffirmé sa volonté de « donner envie aux professionnels et aux bénévoles de l’action sociale d’agir dans les diverses dimensions de l’action collective » (Développer et réussir l’intervention sociale d’intérêt collectif – Presses de l’Ecole des hautes études en santé publique, 2010) – Voir également ASH n° 2624 du 18-09-09, p. 24.
(7) Un colloque sur ce thème, intitulé « Faire société autrement », aura lieu à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) les 28 et 29 janvier 2011 – Rens. :
(8) In Une histoire de l’éducation populaire – Ed. La Découverte, 2007.
(9) Ibid.
(10) In Une histoire de l’éducation populaire – Ed. La Découverte, 2007.
(11) On trouve notamment la FCPE, les CEMEA, le CNLAPS, mais aussi ATTAC, l’UCPA…
(12) « Education populaire : disparition ou mutation ? » – Vie sociale n° 4 – Cedias-Musée social, 2009.