« Les jours ne sont pas tous faciles » pour Ema Boukhers, qui n’a ni bras ni jambe. C’est un médicament utilisé durant les années 1960 contre les nausées matinales chez les femmes enceintes (la thalidomide) qui a provoqué les graves malformations de ses membres à la naissance. Pour autant, son handicap physique n’empêche pas Ema d’avoir une vie sociale et culturelle, à Tours, où elle vit autonome dans un appartement. Elle a même voulu faire du cinéma. Lors d’une fête de quartier, elle fait la connaissance du photographe Franck Boucher, à qui elle demande de lui constituer un book pour les castings. L’artiste refuse. « Ça me semblait trop difficile de prendre des photos en pied de quelqu’un qui n’en a pas », explique-t-il. Lui-même partiellement amnésique depuis un accident datant de 2002, il se reconnaît parmi les handicapés. Le temps passe, il se perfectionne et trouve l’angle qui lui permettra de donner de la photogénie au corps peu ordinaire d’Ema Boukhers. Il la suivra au jour le jour dans ses activités, afin de montrer que cette quadragénaire peut faire beaucoup de choses sans mains ni pieds. Ce sera « La vie d’Ema », projet qui remporte le prix Insertion et Solidarité de la Caisse d’épargne Loire-Centre Vendôme. Cette bourse lui permet de réaliser un reportage de trois semaines chez Ema. Les clichés issus de cette immersion racontent une histoire, celle d’une femme dotée d’une forte personnalité, coquette et rêveuse, qui fait ses courses, sa lessive et la cuisine, qui fume et se maquille, mais qui se rend aussi chez son prothésiste pour apprendre à se servir de « jambes ». Ema se prête volontiers au jeu afin de démontrer que, en étant lourdement handicapée, il est aussi possible d’avoir son logement, une vie familiale –? elle a un fils d’une vingtaine d’années–, et pour « donner espoir à ceux qui se morfondent ».
Franck Boucher rehausse numériquement ses photos couleurs. « Le monde d’Ema est ainsi. Il me fait penser à celui d’Amélie Poulain. Ce n’est donc pas un reportage en tant que tel mais plutôt mon interprétation de son quotidien », admet-il. Disponible en ligne après avoir été accrochée aux Promenades photographiques de Vendôme, l’exposition rejoint les autres photos prises par Franck Boucher dans le cadre du « Human Social Art », concept qu’il a inventé pour décrire son travail à dimension sociale, humaniste et artistique.