La traduction législative des mesures sécuritaires annoncées par le chef de l’Etat le 30 juillet, à Grenoble, est bel et bien engagée. Après avoir été voté par les députés en février dernier, le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi 2) a été adopté en première lecture le 10 septembre par les sénateurs. Durci par les dispositions voulues par l’exécutif, il suscite les plus vives inquiétudes des acteurs de la justice, de la lutte contre l’exclusion, de la défense des libertés et des droits des étrangers.
Au terme d’une négociation avec sa majorité, en fronde contre une « surenchère sécuritaire », le gouvernement a, certes, dû accepter une version édulcorée de ses amendements les plus emblématiques, qui avaient été rejetés par la commission des lois du Sénat. Ainsi, l’extension des peines planchers en cas de violences aggravées par des primo-délinquants a été retenue, mais pour les délits les plus graves (passibles d’au moins dix ans de prison et ayant entraîné une incapacité de travail supérieure à 15 jours). La peine de sûreté de 30 ans ou la perpétuité incompressible seraient réservées aux meurtres de représentants de l’autorité publique commis en guet-apens ou en bande organisée. Le texte restreint en outre la comparution immédiate des mineurs (sans rencontre préalable avec le juge des enfants) à ceux condamnés dans les six mois précédents pour la même infraction.
Reste que, même révisée, cette mesure fait réagir les professionnels de l’enfance, dont l’Unicef-France. Les dispositions régissant l’ordonnance du 2 février 1945 – texte fondateur de la justice des mineurs – permettent au juge des enfants de veiller à l’intérêt supérieur de l’enfant, souligne l’organisation. Elle rappelle par ailleurs qu’une réforme de l’ordonnance de 1945 est en cours et déplore « que des modifications substantielles y soient apportées, en catimini et en l’absence de toute concertation ». Le Syndicat national des personnels de l’éducation et du social-PJJ-FSU craint, quant à lui, que, « avec cette modification législative, le rôle prépondérant du parquet se confirme au détriment de la place du juge des enfants dont la fonction est d’inscrire chaque acte délinquant dans le contexte et le parcours de vie du mineur afin d’adapter au mieux la sanction pénale à sa personnalité ». Cette mesure nierait par conséquent la spécificité de la justice des mineurs. De plus, relève Jean-Pierre Rosenczveig, président de Défense des enfants International-France et du tribunal pour enfants de Bobigny, il existe déjà dans la loi « un quasi-flagrant délit pour mineurs » par la procédure de présentation immédiate, dont l’usage est d’ailleurs de plus en plus courant.
Toujours concernant les mineurs, les sénateurs ont entériné la possibilité d’instaurer un couvre-feu individuel pour les moins de 13 ans, tout en limitant ses modalités. Alors que le texte issu de l’Assemblée nationale prévoyait que le préfet pouvait prendre une telle mesure, les sénateurs ont fait de la restriction de la liberté d’aller et venir après 23 heures une sanction éducative prononcée au titre de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. Le texte étend toujours le recours au contrat de responsabilité parentale, notamment aux parents d’un mineur de 13 ans condamné pour une infraction. Mais il ne prévoit plus que, dans la perspective de la signature d’un tel contrat, le procureur de la République informe le préfet et le président du conseil général des suites données aux infractions commises par le mineur. Le président du conseil général en serait avisé dans le cadre des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance.
Autre mesure qui inquiète cette fois les acteurs de la lutte contre l’exclusion : celle qui met en demeure les occupants d’une « installation illicite » de terrain, en vue d’y établir des habitations, de quitter les lieux dans les 48 heures, sous peine d’évacuation forcée, lorsque cette occupation « comporte de graves risques pour la salubrité, la sécurité ou la tranquilité publiques ». Si les bidonvilles et autres campements de sans-abri peuvent donc être visés, les squatteurs de logements ou de locaux sont en revanche pour l’heure épargnés. La disposition les concernant, qui avait conduit l’association Droit au logement et la Fondation Abbé-Pierre à manifester devant le Sénat le 10 septembre, a été supprimée pour des raisons techniques. Elle devrait être représentée à l’Assemblée nationale en seconde lecture, comme, on peut l’imaginer, d’autres amendements visant à revenir aux intentions initiales de l’exécutif…
L’association AIDES, quant à elle, s’insurge contre un article prévoyant de soumettre à un examen médical « toute personne ayant commis sur une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, dans l’exercice de ses fonctions, des actes susceptibles d’entraîner sa contamination par une maladie virale grave ». « Du dépistage forcé ? », s’indigne AIDES, qui rappelle que le consentement est un « principe éthique fondamental protégé par le code de déontologie médicale et le code de santé publique », hormis pour des crimes d’une extrême gravité, comme le viol. Pour AIDES, ce texte témoigne d’une méconnaissance des modes de transmission du VIH et « s’inspire d’un amalgame douteux » entre séropositivité et délinquance.
Entre autres nouveautés, le projet de loi prévoit l’extension du port du bracelet électronique, après leur peine, aux récidivistes condamnés à plus de cinq ans de prison, ou encore la condamnation à un an de prison des étrangers dérogeant aux obligations de présentation périodique à la police dans l’attente d’une mesure d’éloignement du territoire.