Le 11 septembre, Jeanne Rameau a eu 100 ans. Mais pas de grande fête : son village ne compte que 80 âmes, son mari est mort depuis quarante ans, son seul enfant encore vivant – il a 77 ans – ne lui rend visite que tous les quinze jours ; quant aux petits-enfants, arrière et arrière-arrière-petits-enfants, elle ne les voit pratiquement jamais… Jeanne vit seule dans ce hameau du Morvan où elle est née et a passé toute sa vie. Rue de la Mairie, sa voisine s’appelle Béatrice Amagat, photographe de déco et d’architecture. Celle-ci s’est intéressée à la très vieille dame et, avec l’aide de la journaliste Françoise Huart, relate dans l’ouvrage Vie de Jeanne Rameau à quatre-vingt-dix-neuf ans un siècle d’une vie simple dans une région rurale. Les photos, nombreuses, montrent les paysages morvandiaux au fil des saisons, et l’intérieur, plus quotidien, de la petite maison sans cachet de Jeanne. Fine observatrice, Béatrice Amagat fixe son objectif sur le réveil qui égrène doucement les heures que Jeanne occupe, été comme hiver, de la même façon. Elle photographie aussi sa tasse de Nescafé, autre rituel d’après-déjeuner, ses plantes, son aide ménagère – « une vraie tornade » –, le placard rempli de boîtes de gâteaux, son nécessaire à couture – la centenaire arrive toujours à viser le très étroit chas de l’aiguille !
Le texte, dense, retrace le quotidien de Jeanne. Souvent seule – la journée, les rares habitants partent travailler dans les alentours. « Y’a plus grand monde, se désole notre veuve. Y’a plus de jeunes et, comme très vieux, y’a madame V., à la ferme, elle a 101 ans (elle est bien plus vieille que moi !), mais elle a pas toujours sa tête. » En observant les traits de cette femme qui pose sagement devant l’objectif, difficile de croire qu’elle a un siècle derrière elle. Elle n’a pas perdu son autonomie, sa vie est faite de petits riens, de bonheurs furtifs et précaires. Certes, elle n’entend plus bien et ne voit plus très clair, elle est souvent déprimée quand les dimanches sont trop longs, sans visites ni sorties, mais elle se dit « pas prête d’être enterrée ! »