« Le dispositif législatif issu de la loi 2002-2 et de celle du 5 mars 2007 sur la protection de l’enfance, ainsi que les effets d’une logique comptable dans laquelle l’offre et la demande administrent un nouveau modèle du travail social nécessitent de reconsidérer et de réélaborer les pratiques de terrain, notamment à l’heure où les problématiques des usagers deviennent de plus en plus lourdes. Pour cela, les convictions individuelles et la seule charité chrétienne ne suffisent pas. Il faut fonder politiquement la collectivité, le collectif de travail.
Comment inventer des formes originales de pratiques ? Et comment exercer professionnellement avec une dégradation effective des moyens ? Où se situe notre capacité d’action dans ce contexte ? Le travail social se soutient du double mouvement de l’institutionnalisation et de la professionnalisation.
Lorsque l’on est salarié, l’identité professionnelle est en adéquation avec l’institution. Nous adhérons à des valeurs, des convictions portées par l’institution pour et avec laquelle nous avons décidé de travailler. C’est elle qui nous donne et nous garantit notre autonomie. La dynamique de changement de la fonction institutionnelle confrontée à un contexte politique, social et économique est ce qui peut aider à inventer des pratiques, des compétences collectives.
Aujourd’hui, les professionnels vivent leur identité professionnelle comme une incertitude, liée à la réalité du terrain et aux mouvements institutionnels. Le travailleur social se retrouve surexposé et fragilisé parce qu’il ne se sent plus supporté par des systèmes de régulations collectives. Face à cette crise des identités et de la pratique éducative, on assiste aussi à une individuation et à une responsabilisation des travailleurs sociaux. C’est à chacun de faire face aux situations des usagers, d’assumer le changement. Nous sommes sommés d’être performants tout en étant livrés à nous-mêmes. Les contraintes ont en effet tendance à s’accuser dans un contexte de concurrence exacerbée, entre les associations, la protection judiciaire de la jeunesse, le conseil général, etc., créant ainsi une insécurité professionnelle permanente.
L’association au sein de laquelle je travaille adopte à l’inverse un type de management qui mobilise un effort collectif pour mieux comprendre ce que nous comprenons mal mais qui nous pousse à résister. C’est en collectif que nous parviendrons à ne pas nous laisser maltraiter professionnellement sous l’effet d’une politique sociale ! Comme l’écrit Robert Castel, « chaque individu doit prendre en charge lui-même les aléas de son parcours professionnel devenu discontinu, faire des choix » (1).
L’institution peut encourager des temps délibératifs où la pratique peut être abordée sans tabou. Les temps informels participent à la construction de la pratique formalisée au même titre que les écrits, les colloques, les congrès, les synthèses, etc. D’ailleurs, cette régulation autonome permet un rite de transmission, de l’histoire du service, par exemple, ce qui échappe à l’organisation rationnelle.
La clinique, c’est difficile car c’est subversif et il faut prendre en compte le sujet. L’analyse des pratiques représente un petit laboratoire de l’institution : on élabore en équipe. L’expertise des travailleurs sociaux provient de leurs expériences et de leur vécu et par conséquent s’oppose à une vision rationnelle, standardisée par une évaluation (audit externe, démarche qualité). Actuellement, la relation d’aide est fortement remise en cause par la loi 2002-2 et celle de 2007 sur la protection de l’enfance. Elles impliquent une certaine amputation du fonctionnement institutionnel et organisationnel, autrefois porté par une cohérence entre l’éthique et la politique sociale.
Les modalités de management ne sont pas toujours respectueuses de l’être humain. Les phénomènes pathologiques liés à nos conditions de travail se sont accrus. Cependant, il ne faut pas désocialiser les travailleurs sociaux. L’espace de délibération est nécessaire au développement des outils que nous devons créer dans un esprit fédérateur et non concurrentiel avec tous les acteurs locaux du dispositif de la protection de l’enfance.
En définitive, l’institution sécurise l’identité professionnelle en instaurant un collectif. Elle nous aide à nous dégager de ce discours de l’inquiétude. De ce fait, notre résistance se situe dans ce positionnement opposé au modèle de l’entreprise par le dynamisme d’une réflexion en continu sur la pratique éducative. »
(1) L’Insécurité sociale. Qu’est-ce qu’être protégé ? – Ed. du Seuil – Coll. La République des idées, 2003.