Faire avancer l’idée du « revenu minimum adéquat pour une vie décente », dont le concept a été intégré dans une recommandation adoptée par la Commission européenne en octobre 2008 (1). Telle est l’ambition du Réseau européen de lutte contre la pauvreté (EAPN), qui consacre une étude à la définition et aux enjeux de cette notion (2). La commission a mené en 2009 des actions visant à progresser dans la définition de normes européennes en la matière, rappelle-t-il. Parmi elles : une étude sur le revenu minimum au sein de l’Union menée par le Réseau européen d’experts nationaux indépendants sur l’inclusion sociale, dans le cadre de la « méthode ouverte de coordination ». Par ailleurs, dans ses propositions pour la relance économique, en novembre 2008, l’Union a « amené les gouvernements à reconnaître le double rôle de la protection sociale, en tant qu’amortisseur de l’impact social de la crise et levier de la relance de la demande des consommateurs ».
Reste donc à passer de la théorie à la réalité. Mais qu’entend-on concrètement par « revenu minimum adéquat » EAPN souligne que, à l’exception de la Grèce, de la Hongrie et de l’Italie, les Etats membres se sont dotés de mécanismes de revenu minimum – des systèmes d’aide sociale octroyée sous conditions de ressources ou « filets de sécurité ». La notion d’« adéquat », quant à elle, trouve sa définition dans les instruments juridiques internationaux et européens (déclaration universelle des droits de l’Homme, Charte européenne des droits fondamentaux…). Ainsi, la recommandation d’octobre 2008 réaffirme celle adoptée par le Conseil européen en 1992 et rappelle « le droit fondamental de la personne à des ressources et à des prestations suffisantes pour vivre conformément à la dignité humaine ». Elle invite également les Etats à adapter en conséquence leur système de protection sociale.
Reste que, dans les faits, « seuls quelques Etats membres fixent le montant du revenu garanti en tenant compte de ce qu’ils considèrent comme étant les besoins réels des personnes ou de ce qu’il semble adéquat pour assurer leur pleine participation à la société ». Ces dernières années, l’objectif de « rendre le travail rémunérateur » a davantage influencé l’élaboration des politiques et de nombreux pays renforcent la conditionnalité des aides. Les niveaux de revenu minimum, déjà en dessous du seuil de pauvreté (60 % du revenu médian), ne sont généralement pas adaptés à la forte augmentation du coût des besoins réels. EAPN cite la création, en France, du revenu de solidarité active, dont « le caractère adéquat n’est pas abordé sous l’angle de ce qui est nécessaire pour une vie décente, mais sous celui de ce qui semble être une “juste” rétribution pour les personnes participant au marché de l’emploi ».
Son étude présente donc plusieurs approches tendant à cerner ce qu’implique une vie « décente », tout en analysant leurs atouts et leurs inconvénients. Parmi elles, l’outil européen des « indicateurs de la privation matérielle », qui évalue l’accès aux biens et aux services de base jugés essentiels. Au Royaume-Uni, une étude portée par la Fondation Joseph-Rowntree donne, quant à elle, un budget hebdomadaire, pour un éventail de types de familles, susceptible de garantir des conditions de vie jugées acceptables. Autre exemple : un projet européen transnational porté par EAPN Irlande a permis, au sein d’un groupe composé d’experts et de personnes en situation de pauvreté, de budgétiser, à partir d’un « panier de consommation », les besoins pour différents types de ménages. Autant d’initiatives qui montrent la difficulté de trouver un outil à la fois techniquement réalisable et fiable, reflétant l’aspect multidimensionnel de la pauvreté et l’interaction entre les différents facteurs. L’accessibilité et la qualité des services d’intérêt général, y compris des services sociaux, des services publics pour l’emploi et des services financiers, sont à prendre en compte, car ils ont un impact direct sur le pouvoir d’achat réel et sur la qualité de vie des personnes concernées.
De plus en plus d’acteurs tentent donc de donner un sens concret au concept de « caractère adéquat », conclut EAPN. Une tendance qui, selon le réseau, transparaît aussi dans les débats politiques sur la réforme des régimes actuels de revenu minimum. « La dimension européenne pourrait jouer un rôle essentiel de catalyseur et permettre d’avancer sur cette question », plaide l’organisation. Elle organise le 24 septembre à Bruxelles, avec le Réseau belge de lutte contre la pauvreté, une conférence en vue de formuler des propositions concrètes. Objectif : que cette année européenne de lutte contre la pauvreté « laisse en héritage un revenu minimum adéquat, qui aura un impact direct sur la vie des 84 millions de personnes vivant en situation de pauvreté dans l’Union ».
(1) Recommandation intitulée « Promouvoir l’inclusion active des personnes les plus éloignées du marché du travail ».
(2) « Qu’entend-on par revenu minimum adéquat ? » – Disponible sur