Recevoir la newsletter

« On reste frileux au sujet du harcèlement à l’école »

Article réservé aux abonnés

Racket, coups, injures… Ces formes connues de la violence à l’école inquiètent à juste titre parents et enseignants. Il existe pourtant dans les salles de classe une forme de violence plus discrète mais tout aussi destructrice : le harcèlement scolaire, ou « school bullying ». Les explications de Jean-Pierre Bellon, professeur de philosophie, qui dénonce ce phénomène dans son ouvrage « Harcèlement et brimades entre élèves ».

Comment vous êtes-vous intéressé au harcèlement à l’école ?

Dans les années 2000, nous avons fait avec plusieurs chefs d’établissement le constat que la violence à l’école n’est pas faite que de coups et blessures, ni même de racket, mais qu’elle comporte aussi toute une violence cachée faite de petites choses auxquelles on ne prend pas garde. Lorsque l’on interroge les élèves, c’est surtout ce type de violence qu’ils évoquent.

C’est ce que vous appelez le « school bullying »?

Le mot bullying vient de l’anglais. Il s’agit des coups répétés que les veaux donnent à leurs congénères. Le mot français « harcèlement » traduit bien cette idée de répétition, de durée et, au bout du compte, de quelque chose qui rend la vie de certains élèves insupportable. Le harcèlement à l’école se caractérise aussi par la présence d’un public, les pairs. Nous employons à ce propos l’expression : « invisible visibilité », car si le harcèlement doit être vu par les autres élèves, il doit rester invisible aux yeux des adultes pour ne pas être sanctionné.

Connaît-on les chiffres du harcèlement à l’école ?

L’enquête que nous avons menée auprès de 3000 collégiens dans plusieurs établissements confirme à peu près les études étrangères : 10 % d’élèves se considèrent comme étant régulièrement victimes, et 5 % comme étant régulièrement agresseurs. En revanche, nous ne savons pas si le phénomène est en augmentation, mais les enquêtes de longue durée menées dans les pays scandinaves révèlent une relative stabilité dans le temps. On sait, en revanche, que des tendances nouvelles amplifient les effets du harcèlement. La première tendance concerne la montée en puissance des réseaux sociaux sur Internet. L’élève est non seulement persécuté à l’école, mais aussi en ligne. La seconde est le développement dans les cours d’école de certains jeux dangereux, qui visent toujours un peu les mêmes élèves.

Toutes les tranches d’âge et tous les milieux sont-ils concernés ?

On n’a jamais établi de relations directes entre un climat social défavorisé et le harcèlement. C’est un phénomène plastique qui s’adapte à tous les milieux. Dans un quartier chic, il sera plus soft dans ses formes. Dans un quartier plus difficile, il pourra s’accompagner de violences. En termes de tranches d’âge, l’enquête montre que plus l’âge des harcelés augmente, plus le harcèlement diminue. A l’inverse, chez les harceleurs, il tend à augmenter, tant il est vrai que c’est toujours une disproportion des forces : le plus fort contre le plus faible et le plus âgé contre le plus jeune. Et c’est au lycée que le harcèlement prend ses formes les plus terribles, peut-être parce que personne n’a jamais mis de frein aux harceleurs jusque-là. Enfin, en ce qui concerne le genre, il s’agit d’un phénomène plutôt masculin. Il existe cependant un harcèlement féminin davantage fait de rumeurs et d’exclusion. Le harcèlement comporte en outre une forte dimension sexiste, avec une violence particulière faite aux filles.

Existe-t-il un profil psychologique de l’élève harcelé ou harceleur ?

Du côté des harcelés, pas vraiment, même s’il existe sans doute une petite faiblesse, une différence qui explique qu’ils aient été choisis comme victimes. Mais il y a un point commun chez tous, c’est l’absence d’amis. Lorsqu’un élève se met à perdre son réseau amical, il est temps de s’inquiéter. Du côté des harceleurs, même s’il ne faut pas généraliser, ils présentent souvent un certain charisme associé à un déficit d’empathie et à des repères sociaux et moraux mal établis… Il y a certainement une carence éducative du côté familial, voire, dans certains cas, une véritable complicité des parents.

Pourquoi les autres élèves laissent-ils faire ?

Une enquête canadienne montre que la plupart des élèves témoins d’une situation de harcèlement se sentent extrêmement mal à l’aise, mais ne savent pas quoi faire. Pour cette raison, la sensibilisation des élèves est très importante car ils sont les plus à même de signaler aux adultes ce qui se passe – sans être d’ailleurs toujours entendus, parce qu’il existe aussi une mauvaise information du côté des professeurs. Il faut dire que le harceleur est souvent plutôt sympathique et drôle. Il apparaît comme un élément moteur, et sait en outre très bien à qui il peut s’en prendre. Tandis que l’élève harcelé est une victime qui souffre. C’est quelqu’un de replié sur lui-même.

Quelles sont les conséquences du harcèlement ?

Elles sont nombreuses. Un rapport remis en 2002 au ministre de l’Education nationale montre un lien très net avec l’absentéisme. Les élèves qui vivent cette souffrance au quotidien vont tout faire pour ne pas aller à l’école. On observe aussi une baisse sensible des résultats, car il est très difficile de bien travailler lorsqu’on est en but à ce genre de pression. Il y a également une dégradation de l’humeur et une perte de l’appétit, jusqu’à des épisodes dépressifs. L’image de soi est très dégradée, et les victimes racontent après coup tout le travail qu’elles ont dû faire pour se reconstruire. Les jeunes harcelés peuvent aussi développer une violence contre eux-mêmes ou leur famille. Selon le directeur de l’observatoire européen de la violence scolaire, un élève harcelé court quatre fois plus de risques qu’un autre d’avoir des tendances suicidaires.

Existe-t-il des signaux d’alerte ?

Du côté des parents, cela n’est pas évident. Très souvent, l’élève ne veut pas raconter à sa famille ce qu’il subit. Cela n’est pas facile à avouer car il en a honte. Les familles perçoivent bien un repli sur soi, mais quantité d’adolescents passent par là. En revanche, j’insiste sur le fait que perdre ses amis est un signal très net. Les enseignants, eux, sont au contact de la classe, même si ça n’est que trois ou quatre heures par semaine. Ils peuvent être attentifs à certaines choses – les surnoms, les moqueries, les blagues à répétition… Les surveillants et les conseillers d’éducation peuvent jouer aussi un rôle, ainsi que l’assistante sociale, le médecin scolaire ou l’infirmière, quand ils sont présents. Le problème est que la formation des enseignants en matière de psychologie de l’enfant est souvent égale à zéro. Quelques IUFM ont mis en place des formations, mais il reste un réel déficit dans ce domaine.

Que peut faire l’école face à un cas de harcèlement ?

Non seulement il faut informer les familles mais aussi sanctionner – même si ce doit être de manière proportionnée, car si les élèves estiment que la sanction est injuste, elle aura pour effet de renforcer le harcèlement. Un suivi de la situation est également nécessaire, autrement les conséquences peuvent être très négatives. Il faut de plus intervenir auprès des pairs. Un chef d’établissement m’expliquait qu’un cas de harcèlement était une excellente occasion d’éducation civique. D’abord, ne pas le cacher, expliquer ce qui se passe et rappeler que cela fait souffrir et peut se révéler dangereux. Des séances de sensibilisation peuvent être organisées en direction des élèves, et en particulier des délégués de classe, qui jouent un rôle essentiel. Il faut savoir que le harceleur joue beaucoup sur le rire. Quand le public se détourne, le harceleur a tendance à s’arrêter. Ensuite, on peut aussi essayer de lui faire prendre conscience du mal qu’il fait. En Espagne, certains travaillent sur le développement de l’empathie. Mais cela suppose l’intervention de spécialistes de la psychologie de l’enfance et de l’adolescence. Quant aux parents, très souvent, ils sont contraints de changer leur enfant d’école. C’est souvent la seule chose à faire pour protéger le jeune. Je pense au témoignage d’un jeune qui a été harcelé au quotidien sans que ceux qui l’ont persécuté ne soient jamais sanctionnés. Il a été contraint de changer d’établissement pour suivre une formation qui n’était pas celle qu’il souhaitait au départ.

Les mentalités évoluent-elles ?

Lorsque j’ai commencé à parler de ces questions, on me répondait des choses comme : « Ça s’est toujours fait, c’est formateur. » C’est moins vrai aujourd’hui. J’observe une prise de conscience et une reconnaissance de la souffrance des victimes. On reste toutefois assez frileux sur ce sujet. Je mets ça sur le compte d’une sorte de consensus qui veut que la violence soit réservée aux quartiers difficiles. Et si l’on pense que la violence scolaire a des racines sociales, le plus simple est d’attendre que la société change. A l’inverse, si l’on se dit que les causes sont peut-être dans l’école, cela implique de revoir nos pratiques pédagogiques, d’être plus attentif au vécu des élèves… C’est plus difficile.

REPÈRES

Jean-Pierre Bellon est professeur en lycée. Avec Bertrand Gardette, conseiller principal d’éducation en lycée professionnel, il a créé en 2007 le site Internet www.harcelement-entre-eleves.com. Ils publient ensemble Harcèlement et brimades entre élèves. La face cachée de la violence scolaire (Ed. Fabert, 2010).

Rencontre

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur