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Un nouveau rapport aux familles ?

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Profondément réformé il y a trois ans, le dispositif de protection de l’enfance cherche ses marques. Au cœur de ce chantier, la redéfinition des places respectives de l’intervention administrative et judiciaire devrait conduire à un rapport renouvelé aux familles. Mais, désorientés par différentes modifications de leurs conditions d’exercice, les travailleurs sociaux semblent en peine de retisser le lien avec les usagers.

Près de 6 milliards d’euros : tel est, calculé par l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée (ODAS), le montant des dépenses dévolues en 2009 par l’ensemble des dépar­tements à l’aide sociale à l’enfance (1). Représentant 80 % de ce total, le placement des enfants (en familles d’accueil ou en établissement) se taille la part du lion. « Diminuer le nombre de placements et travailler autrement avec les familles : voilà le pari », affirme Patricia Adam, députée (PS) et conseillère générale du Finistère (2). « L’enjeu n’est pas uniquement financier », précise celle qui est aussi présidente du groupement d’intérêt public Enfance en danger (3). « Si, dans les cinq ans qui vien­nent, on dégageait 10 % des sommes dédiées au placement pour intervenir plus en amont auprès des familles en précarité, au titre de la prévention, on pourrait démultiplier les aides en milieu ouvert et les formes alternatives d’accompagnement sans faire exploser les budgets des départements », souligne-t-elle. Cependant, le contexte actuel de stigmatisation des parents « défaillants » n’est pas favorable à l’engagement d’un dialogue renouvelé avec eux.

« Le service social était, jusqu’à présent, un lieu où les gens venaient librement déposer les soucis qu’ils pouvaient avoir avec leurs enfants, et là commençait la vraie prévention », explique Françoise Léglise, présidente de l’Association nationale des assistants de service social (ANAS). « Or maintenant, avec l’instauration des informations préoccupantes et des évaluations qui vont avec, nous sommes de plus en plus perçus par les parents comme le service qui vient enquêter, et dont il faut se méfier », constate-t-elle. En outre, « le secret professionnel des travailleurs sociaux – qui gêne tout le monde – n’a cessé de subir des coups de canif, alors qu’il représentait quand même pour les familles la possibilité d’aller dire des choses qui ne sont pas faciles à confier. “Quid” alors de la prévention ? », s’interroge Françoise Léglise. « Comment, dans ces conditions, s’autoriser à en­tendre des confidences qui permettraient de bien travailler avant que ne s’aggravent les difficultés ? »

Plus globalement, ajoute-t-elle, la relation avec les usagers est biaisée du fait de la multiplication des dispositifs contractualisés, qui impliquent assez directement le service social (comme le revenu de solidarité active ou le Fonds de solidarité logement). Partant, celui-ci devient de plus en plus un passage obligé, et non un espace où se construit un lien fondé sur la demande et la confiance. « Même les personnes dont les difficultés sont ponctuelles et/ou qui ne veulent pas avoir à faire avec le service social se voient contraintes de passer par lui, comme s’il s’agissait d’un guichet où venir chercher sa prestation », fait observer Françoise Léglise. Le service social se trouve ainsi non seulement bureaucratisé, mais aussi complètement embolisé : débordés de tâches qui ne correspondent pas à l’essence de leur travail, les professionnels, cantonnés derrière leur ordinateur, n’ont plus le temps d’aller au-devant des usagers.

Avec « les organisations et procédures qui se mettent actuellement en place dans le cadre du nouveau système de repérage des enfants en danger, le risque est bien réel de voir la place laissée au temps d’échange avec la famille se réduire », redoutent aussi les membres d’un groupe de travail réunis pendant deux ans par l’ODAS pour réfléchir à la place des parents dans la protection de l’enfance (4). Composé de représentants de conseils généraux, d’associations et des ministères chargés des affaires sociales et de l’Education nationale, ce cénacle se dit très ­préoccupé par la montée de l’exclusion « avec l’enfant comme première victime » – ce qui, outre la modification des circuits d’alerte, peut expliquer l’inflation du nombre d’informations préoccupantes constatée par plusieurs départements. Lesquelles s’avèrent très maladroitement communiquées aux familles.

Gestion des risques

Une étude des courriers annonçant à ces derniers l’arrivée d’une information préoccupante concernant leur enfant a été menée par le groupe de travail de l’ODAS dans sept départements. Elle montre que les lettres adressées aux parents « s’inscrivent davantage dans une logique de gestion des risques institutionnels que dans un souci de lisibilité de l’action et de pédagogie », soulignent les rapporteurs. Ces derniers pointent un contraste flagrant entre le flou qui entoure les éléments de préoccupation justifiant l’intervention annoncée – le plus souvent désignés par l’expression générique de « difficultés concernant votre enfant » – et la précision de la référence légale fondant la légitimité de l’intrusion dans la vie familiale. Ainsi, l’article L. 226-3 du code de l’action sociale et des familles est généralement mentionné, mais aucune lettre n’en présente le contenu : au destinataire de rechercher ce que ce texte peut bien signifier. De la même manière, la terminologie employée dans ces courriers, qui est le plus souvent constituée de sigles et d’un vocabulaire professionnel non explicité – comme l’expression « mandater un travailleur médico-social » pour parler de l’évaluation de la situation familiale –, rend difficilement compréhensible l’intervention qui se profile. Bref, « on voit très bien que les professionnels ne s’adressent pas aux familles comme ils aimeraient que l’on s’adresse à eux-mêmes… », résume Alain Grevot, directeur de services à l’association Jeunesse culture loisirs et technique (JCLT) de Beauvais (Oise), co-animateur du groupe de réflexion.

Maryvonne Caillaux, permanente du mouvement ATD quart monde, fait le même constat : entre familles et professionnels, c’est le dialogue de sourds. « Vous aidez les gens, lâche-t-elle aux travailleurs sociaux, et apparemment beaucoup ne vous aiment pas. » En fait, « vous vous trouvez face à des familles habitées par la peur ou la méfiance devant les interventions que vous proposez, face à des personnes qui ont du mal à accepter ou à comprendre le soutien que vous leur apportez ». Si la militante associative n’hésite pas à interpeller les professionnels au nom des personnes qui « disent d’abord souffrir du mépris et du sentiment de ne compter pour rien », elle n’ignore pas pour autant le désarroi des « pompiers » de la collectivité, diligentés sur les lieux des « sinistres sociaux ».« Dans une société prise dans des logiques de plus en plus sécuritaires et de rentabilité, qui vont à l’encontre des besoins des plus faibles et des plus démunis, les professionnels sont soumis à des injonctions très paradoxales au niveau du temps, de la bienveillance et du contrôle », analyse-t-elle. Les travailleurs sociaux doivent, en outre, faire face à des situations de plus en plus nombreuses de cumul des précarités, sans avoir le moyen d’y remédier, ce qui peut susciter chez eux un sentiment d’impuissance et de culpabilité. Les comportements incohérents et déroutants de certaines familles en grande souffrance sont aussi cause de celle des professionnels, ajoute Maryvonne Caillaux. « L’inexplicable atteint en nous ce qu’il y a de plus vulnérable », commente-t-elle, soulignant que « se faire proche des souffrants » est une démarche coûteuse, susceptible de vous atteindre profondément. Aussi, les professionnels doivent travailler collectivement pour nommer leurs difficultés et avancer sans se « laisser enfermer dans une souffrance qui ne produit que fatalisme et découragement », insiste la porte-parole des familles fragilisées.

Retrouver le sens du travail éducatif

De fait, le mal-être semble s’être largement diffusé chez les travailleurs sociaux qui interviennent dans le champ de la protection de l’enfance. « On note aujourd’hui la difficulté des équipes qui se trouvent confrontées à des situations de plus en plus complexes et à des tensions sociales », constate Yvan Ferrier, directeur général adjoint du développement social au conseil général du Gard et président de l’Association nationale des directeurs d’action sociale et de santé des conseils généraux (Andass). La souffrance au travail des professionnels est aussi due à l’évolution des conditions dans lesquelles ils exercent leur activité, ajoute Jean-Marie Vauchez, président de l’Organisation nationale des éducateurs spécialisés (ONES). Il y a, selon lui, une « perte du sens dans le travail éducatif », qui revient comme un leitmotiv dans les réunions de terrain régulièrement organisées par l’association. A cet égard, certaines modifications de dispositifs institutionnels lui semblent avoir un rôle important. Ainsi, en maison d’enfants à caractère social, comment remplir son rôle éducatif lors du repas quand on passe d’une salle à manger traditionnelle à un self-service ? A l’école d’éducateurs, explique Jean-Marie Vauchez, on apprend que ce temps est un outil privilégié pour échanger avec les enfants et leur faire comprendre certaines normes sociales (un repas se déroule dans un certain ordre, on ne se comporte pas n’importe comment à table, etc.). Or les self-services qui se multiplient dans les établissements so­ciaux et médico-sociaux induisent des attitudes professionnelles qui ne sont pas du tout équivalentes. Dans une salle à manger, le repas est une médiation éducative. Dans un self-service, l’éducateur veille à ce que les enfants ne prennent pas trop de desserts : il est dans une posture de surveillance et de contrôle. Toutes les réglementations ont un impact sur la possibilité de partager des moments de vie avec les enfants, affirme ce responsable. « Plus moyen de se baigner tranquillement dans une petite rivière, difficile de partir avec un sac à dos et le casse-croûte du midi préparé par le cuistot : la liste des contraintes sur les temps de loisirs et de sports serait très longue à développer. » Etant très souvent liées à des questions de sécurité, ces transformations sont présentées comme incontournables et leurs effets sur le travail éducatif sont souvent minimisés. « Pourtant, au final, les collè­gues sentent bien qu’ils ne font plus tout à fait le même travail. » Or, si les institutions éducatives n’éduquent plus, qui s’en chargera ? « Devrons-nous nous contenter de structures coercitives destinées à réprimer l’indiscipline d’enfants mal éduqués ? » Même s’il peut y avoir des bénéfices secondaires à rester dans une place de surveillance et à esquiver la rencontre, « les éducateurs ne peuvent pas céder sur la relation éducative, ils ne doivent pas se détourner des signes ténus que manifeste un enfant quand il a quelque chose de véritablement important à dire », souligne Jean-Marie Vauchez. Il faut également que, de leur côté, les managers du secteur social et médico-social « gardent un pied dans la dimension clinique, relationnelle, du métier » et prennent des risques pour soutenir l’activité éducative, insiste-t-il.

S’engager pour les aider à bien grandir

Faire que les enfants ne soient pas seulement protégés mais puissent s’appuyer sur des adultes fiables pour grandir, tel est l’enjeu. Celui-ci ne tient pas forcément de la gageure. Ainsi, dans le lieu de vie et d’accueil (LVA) La Bergeronnette, à Torpes (Saône-et-Loire), travailler avec des enfants rime avec engagement, pas avec désenchantement. Composé d’une équipe de professionnels correspondant à 5,5 équivalents temps plein pour six jeunes ac­cueillis, âgés de 6 à 21 ans, cette microstructure fonctionne de façon collégiale et très ouverte : famille et amis des enfants comme des professionnels peuvent y venir. « Si nous avons une vie privée ailleurs, nous ne sommes pas privés de vie ici », résume Eric Jacquot, responsable de ce LVA. A la Bergeronnette, pas de turn-over, d’absentéisme ni d’arrêts maladie, mais l’existence d’espaces de régulation animés par un psychanalyste et un psychologue clinicien, et l’enthousiasme d’une petite équipe soudée, qui travaille sur la permanence. « Ici, ce qui soigne, c’est la continuité d’un visage qu’on connaît et reconnaît, la solidité d’adultes qui ne s’effondrent pas devant la violence des jeunes et ne les rejettent pas », commente Eric Jacquot.

Son expérience en centres éducatifs renforcés (CER) ou fermés (CEF) conduit Yves Darnaud, directeur général de la Sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence de la Drôme, au même constat : il faut en revenir aux fondamentaux du métier – le « faire ensemble » et le « vivre avec » –, sachant que ce qui fait sens, dans l’action éducative, c’est l’engagement des professionnels. Un engagement d’autant plus fort que l’équipe a le sentiment de bien résister aux attaques des jeunes, précise Yves Darnaud. Et de souligner, à cet égard, l’importance des qualités de l’environnement institutionnel : implication des instances dirigeantes de l’association pour soutenir et accompagner les personnels, valeurs partagées au quotidien, formation des professionnels et style de management à même de favoriser leur créativité et de combattre stress, usure et déprime. « Il n’y a pas de recettes, c’est la conjonction d’un faisceau d’éléments qui fait qu’on ne se décourage pas, estime Yves Darnaud. Et puis, il y a toujours un moment où ça devient gratifiant quand quelque chose se débloque et ouvre des possibles. »

A-t-on réussi ?

Toutefois, l’un des grands problèmes des métiers éducatifs, c’est qu’« on ne sait jamais si on a réellement réussi », complète Jean-Bernard Prim, directeur des ­ressources humaines de la Fondation d’Auteuil. C’est pourquoi le besoin de reconnaissance des intervenants est d’autant plus grand. Or « il faut avoir une parfaite conscience du lien entre le bien-être au travail des professionnels et la bientraitance des jeunes », affirme Jean-Bernard Prim. Comme en écho, revient alors l’insidieux questionnement de Maryvonne Caillaux, permanente du mouvement ATD quart monde : « Comment des travailleurs sociaux habités par un trop grand désarroi personnel pourraient-ils entendre le désarroi des familles ou des enfants qui leur sont confiés ? »

DES DIFFICULTÉS À PROMOUVOIR UNE EXPERTISE PARTAGÉE

« Quand nous avons travaillé sur la loi réformant la protection de l’enfance, nous nous sommes enthousiasmés et sommes allés très vite, trop vite », analyse Michel Dinet, président du conseil général de Meurthe-et-Moselle et de l’ODAS (Observatoire national de l’action sociale décentralisée). Aussi convient-il maintenant d’engager le « chantier de la parole des familles et des enfants, anciens enfants et jeunes majeurs, que nous n’avons pas eu le temps de mener », déclare-t-il.

De fait, la participation des usagers pourrait être « un enjeu déterminant de connaissance pour l’action publique, tant au niveau des besoins auxquels elle doit répondre, qu’au niveau des réponses qu’elle propose et de leur adéquation », estime le groupe de travail réuni par l’ODAS autour de la question de la place des parents dans la protection de l’enfance (5). Une place qui se révèle des plus congrue. Ainsi, « peu de départements se sont engagés […] dans le soutien à la création et au fonctionnement d’associations d’usagers, tel Le fil d’Ariane qui regroupe des parents d’enfants suivis dans le cadre d’une mesure de protection judiciaire ou administrative de l’enfance », souligne l’ODAS. En outre, l’existence de formules diversifiées de travail avec les familles (groupes de parents, présence des familles aux réunions de synthèse concernant leur enfant) est loin d’être la règle (6).

Ici et là, cependant, des conseils généraux s’emploient à recueillir le point de vue des familles ou des mineurs pris en charge lors de l’élaboration de leurs schémas départementaux de protection de l’enfance ou dans le cadre de démarches-qualité. Pour être productifs, ces processus de consultation des usagers doivent être savamment organisés. En effet, explique l’ODAS, « les expériences d’animation de groupes de parole réunissant localement « parents-usagers » de la protection de l’enfance et acteurs institutionnels témoignent de la grande difficulté de l’exercice ». Il faut une bonne dose de professionnalisme pour dépasser le registre de l’expression des souffrances et doléances individuelles. A cet égard, il y a sans doute beaucoup à apprendre des co-formations organisées par le mouvement ATD quart monde, qui réunissent des professionnels et des personnes en situation de précarité (7).

PARRAINAGE DE PROXIMITÉ : APPRENDRE À TRAVAILLER ENSEMBLE

Développer une relation privilégiée avec un enfant qui habite près de chez soi, mais n’appartient pas à son cercle familial ou amical, tel est le principe du parrainage de proximité (8). Complémentaire des mesures d’aide institutionnelle, cette modalité de soutien aux enfants et aux parents en difficulté a été présentée, lors de la réforme du 5 mars 2007, comme une action à promouvoir dans le champ de la prévention et de la protection de l’enfance. Reste à savoir comment s’articule la place des différents protagonistes autour de l’enfant. Ce questionnement est au cœur d’une recherche-action visant à construire un référentiel national sur le parrainage d’enfants placés. Celle-ci a été réalisée en 2009-2010 dans trois départements (l’Eure, le Rhône et la Vienne) par l’Union nationale des associations de parrainage de proximité et l’anthropologue Marie Maïlat, directrice de l’association Artefa. Dans le Rhône, une centaine de professionnels issus de l’aide sociale à l’enfance (ASE), de l’association Horizon parrainage et de quatre sites différents – deux maisons d’enfants à caractère social, un service d’accompagnement externalisé et le foyer départemental d’accueil d’urgence – ont participé à ce travail. Les services de protection de l’enfance peuvent-ils laisser une place à un membre « ordinaire » de la société pour que se crée un lien avec l’enfant en dehors de l’institution ? « J’ai souvent rencontré cette interrogation dans mon travail sur le placement familial », explique Marie-Hélène Gauthier, adjointe au directeur de la protection de l’enfance du conseil général du Rhône. Ainsi, nombre de fois « avons-nous rendu impossible la sortie, l’hébergement d’un enfant confié dans la famille d’un petit camarade d’école » au nom de la responsabilité, souligne-t-elle. D’ailleurs, certains parrainages s’interrompent lorsque l’enfant est accueilli en placement familial, ou bien qu’il retourne chez ses parents. C’est pourquoi il est à la fois nécessaire d’inscrire le parrainage dans le projet de l’enfant pour la durée de la mesure de protection, mais aussi au-delà de celle-ci, dans un temps garanti par l’entente entre les différents partenaires (parrain-marraine, parents, enfant et association de parrainage), estime Marie-Hélène Gauthier.

Expérience de vie pour l’enfant placé, le parrainage met en œuvre une constellation d’adultes qui portent une attention partagée au devenir de l’intéressé. Au sein de cette galaxie, la place des parents est ce qui a le plus bousculé les équipes du département du Rhône. « De nombreux professionnels ont dû cheminer avec cette idée que le parrainage n’est pas seulement destiné à des enfants dont les parents sont absents, mais aussi à des enfants dont les parents présents sont souvent fragilisés », note la responsable. Comment les travailleurs sociaux se représentent-ils ce lien parents-parrains/marraines ? « Forcément, quelque chose va nous échapper à nous, professionnels de la protection de l’enfance, dans la relation qui se construit », répond Marie-Hélène Gauthier. A l’heure où le département se trouve doté de responsabilités très importantes dans ce secteur, l’ASE saura-t-elle se faire suffisamment modeste pour que d’autres acteurs puissent s’investir dans le projet pour l’enfant ?

PROTECTION ADMINISTRATIVE ET JUDICIAIRE : QUELLE ARTICULATION ?

Trois ans après la réforme de la protection de l’enfance du 5 mars 2007, qu’en est-il de l’équilibre entre la protection administrative et la protection judiciaire ? S’« il y a toujours eu consensus pour affirmer la nécessité de cantonner la saisine de l’autorité judiciaire aux situations où la protection administrative se révèle insuffisante », les nouveaux critères énoncés par l’article L. 226-4 du code de l’action sociale et des familles (CASF) (9) maintiennent un flou pour l’interprétation de ce seuil, répond Catherine Sultan, juge des enfants à Créteil (Val-de-Marne). De plus, ajoute la présidente de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), ce texte conduit à cantonner le juge des enfants dans un rôle uniquement coercitif : celui d’autorité pouvant passer outre à l’accord des titulaires de l’autorité parentale et non plus de garant des droits et devoirs des parents dans le sens de la protection de l’enfant, de ses conditions d’éducation et de son bon développement. « Pourtant, la loi de 2007 n’a pas modifié le modèle de la justice des mineurs qui fait du juge des enfants plus qu’un arbitre des conflits entre l’administration et les justiciables […]: une courroie de transmission du projet que notre société se fixe pour l’enfance en difficulté. » Témoignant de nouvelles tensions entre les cellules de traitement des informations préoccupantes et les parquets, du fait d’une amplification des différences d’appréciation, la magistrate fait également état de difficultés rencontrées par les travailleurs sociaux avec leur encadrement en matière de transmission d’informations préoccupantes, et d’une recrudescence des saisines tardives conduisant à des placements rapides dans des situations plus dégradées. Ces différents constats amènent l’AFMJF à demander d’introduire dans l’article L. 226-4 du CASF un critère d’intervention judiciaire en cas de « danger grave et manifeste ».

« Une partie des questions soulevées par la nouvelle partition entre protection administrative et protection judiciaire touche aux identités professionnelles », analyse, pour sa part, Damien Mulliez, sous-directeur de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Au printemps 2010, il a co-animé avec Didier Lesueur, directeur général adjoint de l’ODAS, un séminaire de réflexion sur la complémentarité des rôles dans le nouveau dispositif de protection de l’enfance. En ce qui le concerne, « le président du conseil général ne peut plus être seulement un signaleur d’enfant en danger », explique Damien Mulliez. Sa fonction de responsable de la protection de l’enfance va bien au-delà. Partant, « les professionnels qui agissent en son nom sont porteurs de la loi », et ils doivent travailler sans support judiciaire même dans des situations de danger avéré. De leur côté, les juges des enfants, qui « se sont souvent construits sur la fonction symbolique et l’image du juge protecteur, parfois contre l’aide sociale à l’enfance, […] sont renvoyés vers un rôle plus classique de juge de la contrainte », poursuit le sous-directeur de la PJJ.

La notion d’adhésion est au cœur de cette redéfinition des champs d’intervention, précise Damien Mulliez. C’est elle – et non plus le danger – qui semble marquer la frontière théorique et juridique entre protection administrative et judiciaire. Dans le cadre administratif, l’adhésion à la mesure éducative est une condition de l’intervention du conseil général. Symétriquement, son absence conditionne l’entrée en lice du judiciaire. « Pour le juge, l’adhésion n’est pas une condition, mais un objectif », résume Damien Mulliez. Devient-elle, pour autant, un des critères de fin de l’intervention judiciaire ? « Si le principe de subsidiarité s’applique pour le passage d’une intervention administrative à une intervention judiciaire, il peut également être appliqué dans l’autre sens sous l’impulsion du juge, lorsque l’adhésion de la famille est pleine et entière et que l’action éducative peut s’exercer de nouveau dans un cadre plus négocié », développe Didier Lesueur. Mais il reste à imaginer des passerelles qui donnent du sens à ce passage de relais pour les familles et les enfants concernés. D’autant que le verbe « adhérer » semble particulièrement équivoque : pour de nombreuses familles franciliennes interrogées dans le cadre d’un accueil de jour multifamilial, « adhérer » paraît signifier « se soumettre à quelque chose que l’on ne comprend pas, que l’on n’a pas discuté »...

C.H.

Notes

(1) Voir ASH n° 2664 du 18-06-10, p. 23.

(2) Lors des IVes assises nationales de la protection de l’enfance, organisées les 28 et 29 juin à Marseille par le Journal de l’action sociale avec de multiples partenaires. Journal de l’action sociale : 13, boulevard Saint-Michel – 75005 Paris – Tél. 01 53 10 24 10.

(3) Le GIP Enfance en danger regroupe le Service national d’accueil téléphonique pour l’enfance maltraitée (Snatem) et l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED).

(4) Comme ils l’indiquent dans « La place des parents dans la protection de l’enfance. Contribution à une meilleure adéquation entre les pratiques et le droit » – Rapport établi par Sandrine Dottori, Alain Grevot et Didier Lesueur – Les Cahiers de l’ODAS – Juin 2010 – Disponible sur www.odas.net.

(5) Dans « La place des parents dans la protection de l’enfance. Contribution à une meilleure adéquation entre les pratiques et le droit » – Rapport établi par Sandrine Dottori, Alain Grevot et Didier Lesueur – Les Cahiers de l’ODAS – Juin 2010 – Disponible sur www.odas.net.

(6) Voir ASH n° 2667 du 9-07-10, p. 23.

(7) Voir ASH n° 2625 du 25-09-09, p. 22 et n° 2662 du 4-06-10, p. 32.

(8) Voir notre enquête sur ce sujet, ASH n° 2557 du 9-05-08, p. 33.

(9) Selon l’article L. 226-4 du CASF, le recours à la justice n’est prévu qu’en cas d’échec de la mesure administrative, de refus par les parents de l’aide du conseil général ou d’impossibilité d’évaluer la situation.

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