Les modalités de mise en œuvre du « RSA jeunes », désormais fixées par un décret du 26 août (voir ce numéro, page7), ne font que confirmer les craintes des organisations de lutte contre l’exclusion et pour l’insertion des jeunes. Dès l’annonce du « plan d’action en faveur de la jeunesse », il y a près d’un an, les associations et les syndicats avaient fustigé les critères très restrictifs d’extension du revenu de solidarité active aux moins de 25 ans (1), que le gouvernement justifie par son refus de promouvoir une « logique d’assistance ».
L’obligation d’avoir travaillé au moins deux ans au cours des trois dernières années est une condition « inatteignable », juge l’association AC !. Se fondant sur la délibération de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations du 20 octobre 2008, qui alertait sur l’exclusion des moins de 25 ans du RSA généralisé, elle appelle, avec d’autres organisations de soutien aux chômeurs, les déboutés du dispositif à saisir le tribunal administratif. Il devra se prononcer, selon elle, sur « la permanence de la discrimination par l’âge ».
Pour Gilles de Labarre, président de Solidarités nouvelles face au chômage, cette condition est « éthiquement discutable : on pénalise les jeunes qui n’ont pas suffisamment travaillé, ce qui revient à dire qu’ils sont responsables de leur situation alors qu’ils sont les premières victimes de la crise ». Les plus en difficulté seront donc exclus du dispositif, alors que, selon l’INSEE, plus de 20 % des 18-24 ans vivaient en dessous du seuil de pauvreté en 2007, contre 13,4 % tous âges confondus. En outre, « de nombreuses périodes d’activité ne sont pas prises en compte dans le calcul des heures de travail, comme le service civique ou le bénévolat, alors qu’elles constituent des marchepieds vers le monde professionnel, regrette Gilles de Labarre. Les jeunes sans qualification, qui enchaînent les contrats de courte durée, les périodes de chômage et les contrats précaires de 20 ou 26 heures, auront du mal à totaliser le nombre d’heures requis. » Le ministre de la Jeunesse et des Solidarités actives, Marc-Philippe Daubresse, a d’ailleurs refusé de confirmer l’estimation de 160 000 jeunes concernés auparavant avancée par l’exécutif.
Une seule chose est sûre : l’Etat, qui, à la différence du RSA généralisé, financera la totalité du dispositif, y compris la partie « socle », a budgété seulement 20 millions d’euros pour le versement de l’allocation d’octobre à la fin de l’année. Ce qui permet au député (PS) Christophe Sirugue, rapporteur à l’Assemblée nationale de la mission Solidarité pour la loi de finances pour 2011, de déduire que « moins de 15 000 personnes » toucheront l’allocation. Ce manque de précision sur le nombre attendu d’allocataires, qui restera insuffisant même dans son hypothèse la plus haute, « n’est pas le signe d’un grand volontarisme », pointe Jacques Lepage, chargé du dossier « RSA » au Secours catholique. Pourtant, réduire à un an la durée de travail demandée et prendre en compte la période de référence depuis les 18 ans du demandeur permettrait, selon lui, d’augmenter le nombre de bénéficiaires sans trahir la logique du dispositif. Reste qu’au-delà du nombre d’heures travaillées, explique Jean-Claude Mancipoz, président de l’Association des directeurs des caisses d’allocations familiales, les jeunes qui cumulent les employeurs et les « petits boulots » seront également confrontés à des tracasseries administratives supplémentaires. « L’inconnue porte sur la montée en charge du dispositif et la difficulté des bénéficiaires à réunir tous les justificatifs. »
S’il représente donc une avancée puisqu’il a brisé le statu quo qui avait jusqu’ici empêché les moins de 25 ans de bénéficier du RMI, le dispositif est donc loin répondre au problème de la précarité des jeunes. « 20 à 25 % de ceux accueillis en centre d’hébergement et de réinsertion sociale en Ile-de-France ont moins de 25 ans, relève Matthieu Angotti, directeur adjoint de la FNARS (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale). Nous avons très peu d’outils pour prendre en charge ce public ayant très peu d’expérience professionnelle et en rupture familiale. » Ce qui montre que la mobilisation de la solidarité familiale, qui guide certains choix politiques à l’égard de la jeunesse, ne fonctionne pas toujours.
La FNARS défend donc l’idée que les jeunes les plus démunis doivent bénéficier d’une « protection particulière intégrant une allocation d’autonomie » dès lors qu’ils ne sont ni en emploi, ni en formation. Et elle réclame sur le long terme, une politique « cohérente » de la jeunesse, de la petite enfance à l’insertion professionnelle. Au-delà, elle a demandé, comme d’autres, à Marc-Philippe Daubresse un « droit de suite » au « Livre vert » qui avait nourri le plan pour la jeunesse (2). Certaines de ses préconisations, comme l’expérimentation d’une dotation d’autonomie, sont restées lettre morte.