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Logement : refaire surface

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Depuis avril 1998, à Angoulême, le groupement d’intérêt public Charente Solidarités est informé par le préfet de toute procédure d’expulsion dans le département, et peut alors mettre en œuvre un suivi individualisé des familles visant au remboursement de leurs dettes et parfois à leur relogement.

Mademoiselle S. vit avec son enfant handicapé dans un logement social au loyer de 152 €. Elle a déjà fait l’objet de deux mesures d’expulsion par le passé. Elle ne règle plus son loyer. Monsieur L. ne paie pas celui de sa maison depuis 1999, sa dette atteint 36 000 €. Monsieur X. tient absolument à rester dans son appartement alors que celui-ci n’est pas adapté. Sa dette de loyer s’élève à 8 000 €. Madame G. est sur le point de partir de son trois-pièces. Elle s’acquitte de son loyer, mais ses voisins se plaignent depuis plusieurs semaines de tapage nocturne…

A la préfecture de Charente, à Angoulême, autour de la table, le secrétaire général de la préfecture, deux huissiers de justice et des représentants de la direction départementale de la sécurité publique et de la gendarmerie départementale écoutent attentivement les quatre travailleuses sociales du service de prévention des expulsions du groupement d’intérêt public (GIP) Charente Solidarités (1). Chacune, devant sa pile de dossiers multicolore, présente à tour de rôle les rapports sociaux réalisés concernant des Charentais pour lesquels a été faite une demande de concours de la force publique pour qu’ils quittent leur logement. Ces rapports abordent aussi bien la composition du ménage que ses revenus ou les aides sociales dont il dispose. L’objectif est, d’une part, d’informer le plus précisément sur leur situation et, d’autre part, d’apporter des éléments concrets sur le travail réalisé par chaque ménage pour remédier à sa dette de loyer. Au final, il revient au secrétaire général, Jean-Louis Amat, par délégation du préfet, de statuer sur l’octroi ou non de la force publique pour expulser ces personnes. Une décision qui repose, en partie, sur les résultats de ­l’accompagnement social effectué par Charente Solidarités. Depuis avril 1998, la charte départementale pour l’amélioration de la prévention des expulsions engage en effet le préfet à informer le GIP de toutes les procédures d’expulsion du département, dès la première convocation au tribunal. Les travailleurs sociaux se mettent alors immédiatement à la disposition des ménages pour tenter de trouver les solutions les plus adaptées. L’accompagnement, individualisé, se fait du début à la fin de la procédure, de l’assignation à l’expulsion ou au remboursement total de la dette.

Il y a un an, Mélanie Robion, conseillère en économie sociale et familiale (CESF), est ainsi entrée en contact avec Hélène Chagnon, 36 ans, qui vit avec ses deux jeunes enfants dans une HLM de quatre pièces dans le centre d’Angoulême. A l’époque, la jeune femme, qui touche le revenu de solidarité active (RSA), est hospitalisée. « Lorsque madame Robion m’a téléphoné, j’étais loin de me douter de ce qui se passait dans ma vie. Je venais de me séparer de mon mari, qui avait déjà laissé quelques dettes. Je ne m’étais jamais occupée de mes papiers et je me suis laissé submerger. » Elle apprend par la CESF qu’une procédure d’expulsion est engagée contre elle. Comme une majorité de personnes suivies par le groupement, Hélène Chagnon n’ouvre plus son courrier, « par peur ».

Des résultats probants

La rencontre avec Charente Solidarités est décisive. Les six premiers mois d’accompagnement permettent à la mère de famille de « reprendre pied » : budget, soins, assurance logement, reprise du paiement du loyer, etc., Mélanie Robion l’accompagne à tous les niveaux et l’encourage à se présenter au tribunal le jour de l’audience. « J’ai pu être maintenue dans les lieux mais j’ai été sanctionnée. Aujourd’hui, je rembourse ma dette petit à petit, soit 20 € par mois. Comme celle-ci s’élève à 4 100 €, j’en ai pour des années. » Hélène Chagnon est reconnaissante de l’action de la professionnelle : « Sans le GIP, nous nous serions sans doute retrouvés à la rue », déclare-t-elle, soulagée. Un accompagnement qui retentit sur d’autres aspects de sa vie – son aide à domicile, sa demande pour l’épicerie sociale, les formations qu’elle envisage… De même, son appartement a récemment subi quelques réaménagements, et elle se sent bien chez elle, « pour la première fois depuis des mois ». Aidée par Mélanie Robion, elle remplit une demande d’aide du fonds de solidarité pour le logement (FSL) pour solder sa dette, ce qui devrait clore la procédure d’expulsion. Ce dossier sera remis aux collègues de Mélanie Robion.

Car la particularité du GIP est d’être un guichet unique. « Le FSL, les expulsions, l’accompagnement social lié au logement, l’habitat indigne… toutes les questions liées au logement des personnes les plus défavorisées sont pilotées par Charente Solidarités et traitées d’un bureau à l’autre de façon transversale », souligne Gervais Rougier, directeur de la structure. A l’origine, en 1997, le service de prévention des expulsions, financé par le fonds de solidarité pour le logement, ne comptait qu’un juriste. Très vite, le directeur se rend compte qu’il est plus important d’embaucher des professionnels du secteur social. Aujourd’hui, elles sont quatre (deux assistantes de service social et deux CESF), avec les mêmes fiches de poste, mais toute une panoplie de savoir-faire. Si les résultats sont là pour prouver l’efficacité du service – depuis 2006, le nombre d’expulsions est en baisse en Charente, alors qu’il a doublé dans l’Hexagone –, c’est, selon Gervais Rougier, grâce à « un partenariat extraordinaire » : « Préfecture, tribunal, huissiers, conseil général, travailleurs sociaux de secteur, bailleurs HLM, caisse d’allocations familiales… Il n’y a pas aujourd’hui un professionnel du logement en Charente qui ne participe au dispositif. »

L’année dernière, pas moins de 700 dossiers d’impayés de loyer ont été traités par les quatre travailleuses sociales, dont 40 nouveaux dossiers en moyenne par mois. Le profil des personnes accompagnées apparaît varié. Il s’agit fréquemment de ménages modestes – plus du tiers des usagers sont bénéficiaires des minima sociaux. « Depuis cinq ans, nous voyons arriver de plus en plus de travailleurs pauvres et, depuis trois ans à peine, des retraités précaires. Enfin, on dénombre une part importante d’hommes isolés. » En effet, le directeur pointe une différence de comportement selon le sexe en ce qui concerne le paiement des charges. « C’est flagrant. Les hommes et les femmes ne gèrent pas les priorités de la même façon. Le rapport au logement n’est pas le même, celui aux dettes non plus. Je sens les femmes plus angoissées par ces situations et, quand nous entrons en relation avec un couple, le lien se fait généralement avec l’épouse. »

L’hétérogénéité des publics

Des foyers aux revenus plus importants sont aussi concernés par les dettes de loyer. « Nous effectuons le même travail avec ces familles qu’avec les autres, même si c’est souvent plus difficile pour elles d’avoir affaire aux services sociaux. En revanche, nous ne pouvons pas demander d’aide financière – conditionnée par les ressources –, mais nous cherchons des solutions adaptées », note Sandie Salomon, CESF. De même, il arrive que le groupement ait affaire à des accédants à la propriété dont le logement est saisi. En règle générale, les occupants partent d’eux-mêmes, mais s’ils refusent, le nouvel acquéreur peut lancer une procédure d’expulsion. Les négociations sont alors plus complexes pour les travailleuses sociales que dans une procédure d’expulsion locative. « Elles parviennent généralement à obtenir du nouveau propriétaire des délais pour le relogement », précise Gervais Rougier, qui préférerait néanmoins que son service puisse intervenir en amont de la procédure de saisie-vente. « C’est compliqué, car nous n’avons pas toujours connaissance des impayés. Il n’y a, dans ce cas de figure, pas d’information systématisée de la part de la préfecture. Nous sommes en train de finaliser un partenariat expérimental avec une banque qui nous signalera les arriérés afin que nous mettions rapidement nos outils à disposition des ménages concernés. » Mais pour ces « ex »-propriétaires, la difficulté reste d’accepter une aide sociale qu’ils jugent souvent « honteuse ».

Le contact se noue aisément avec la plupart des personnes en risque d’expulsion, satisfaites de cette main tendue. Cependant, dans environ 20 % des cas, les professionnels du GIP se heurtent à la non-coopération des ménages. « Au départ, beaucoup sont réticents parce qu’ils ne nous connaissent pas ou se méfient des travailleurs sociaux », analyse Mélany Thil, assistante de service social. Mais l’équipe ne se contente pas d’un seul courrier. A chaque stade de la procédure, une relance est envoyée. « Si nous ne sommes toujours pas parvenues à rencontrer la personne au moment de la remise du rapport social au juge, que nous n’avons aucune information et qu’elle n’est pas suivie par un service social, nous pouvons tenter de la voir directement à son domicile. Nous ne laissons jamais tomber personne. D’autant que ces familles les moins à même de décrocher le téléphone et de prendre un rendez-vous sont parfois les plus en difficulté. »

PÉRIMÈTRE
Un guichet unique pour le logement

C’est en mai 1997 qu’a été créé l’ancêtre de Charente Solidarités, le secrétariat du plan départemental d’action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD), afin de remplir sept grandes missions : mise en œuvre du plan, gestion administrative du fonds de solidarité pour le logement, accompagnement social lié au logement, gestion administrative du fonds d’aide aux impayés d’énergie, lutte contre l’insalubrité, ainsi que la prévention des expulsions et la cellule de recours et ses outils. Devenu groupement d’intérêt public en novembre 2001, ce guichet unique regroupe des partenaires du droit public (conseil général, Etat, communauté d’agglomérations et communautés de communes) et du droit privé (les fournisseurs d’énergie et d’eau, l’Union nationale de la propriété immobilière),ainsi que la caisse d’allocations familiales et les bailleurs sociaux…

Afin d’optimiser le dispositif de prévention des expulsions à l’échelon départemental, la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre les exclusions du 25 mars 2009 a rendu obligatoire la création des commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (CCAPEX) (2). En cours d’installation en Charente, la CCAPEX « ne remettra pas en cause le fonctionnement du GIP, affirme Jean-Louis Amat, secrétaire général de la préfecture de Charente. En effet, elle ne donne que des avis ou recommandations et ne prend pas de décisions. » D’ici à la fin de l’année, le champ d’intervention précis de la CCAPEX sera déterminé, en fonction des particularités du département.

Face à la menace, des solutions

Parfois, le contact se noue par l’intermédiaire des bailleurs sociaux. Karine Hervé, assistante de service social au GIP, a rendez-vous chaque mois avec Virginie Vinatier, responsable du service contentieux au groupe Vilogia Horizon, l’un des trois principaux organismes HLM de Charente. C’est elle qui gère les impayés locatifs, soit près de 4 % des locataires de ce bailleur. « Deux étapes se succèdent : le précontentieux, avec un courrier et la mise en place d’un accord ; puis, si l’on n’obtient aucun contact ou aucun paiement, au bout de trois ou quatre mois d’impayés, le dossier est transmis à notre huissier. Au moment de l’assignation, les assistantes sociales du GIP s’en saisissent, et un travail en commun se met en place », explique la responsable, pour qui arriver jusqu’à l’expulsion représente « un échec ».

Reste que, pour la plupart des dossiers de contentieux, des solutions sont trouvées par Charente Solidarités. Parmi lesquelles l’aide au relogement, si le logement se révèle mal adapté (trop grand, loyer trop élevé par rapport aux revenus). « Par exemple, madame C. est en procédure d’expulsion et sa situation familiale vient de changer. Nous demandons donc un appartement plus petit, au loyer moins élevé. Ce qui ne pose pas de problème, puisqu’il n’y a pas de tension au niveau du logement dans le département », expose Karine Hervé. Même chose pour cette famille expulsée à la suite de troubles du voisinage. Dans un premier temps, Vilogia a dû faire intervenir une médiatrice pour établir le dialogue. La locataire incriminée a reconnu les faits et promis de faire attention, mais les pétitions à son encontre ont continué d’affluer. Pour elle comme pour les personnes ayant des difficultés particulières à trouver un nouveau logement (gens du voyage souhaitant se sédentariser, personnes sortant de centres d’hébergement et de réinsertion sociale), la cellule de recours du GIP, composée de partenaires du logement social, du travail social, du monde associatif lié à l’insertion par le logement, d’élus, recherche des solutions, notamment dans le parc public en prêt locatif d’aide à l’intégration (PLAI ) et dans le parc privé en programme social thématique (PST). Elle propose aussi des garanties financières. En outre, une convention passée avec trois associations permet de proposer un service de sous-location : ces associations deviennent elles-mêmes locataires du logement, qu’elles sous-louent à une famille pour une période de six mois renouvelable une fois. Une garantie de poids pour les bailleurs. A terme, si tout se passe bien – pas d’impayés, logement bien entretenu –, elles font glisser le bail au nom de l’occupant, qui bénéficie d’un accompagnement social lié au logement. Dans le cas contraire, l’association met fin au bail et la famille doit quitter l’appartement.

Certaines personnes en risque d’expulsion font néanmoins l’autruche du début à la fin de la procédure. Leurs dossiers – une centaine par an – atterrissent le plus souvent devant le préfet pour une demande de concours de la force publique. Dans 90 % des cas, l’octroi de celle-ci se trouve provisoirement suspendu, car on estime qu’un travail peut être engagé avec les locataires mis au pied du mur. Mais pour les 10 % restants, l’intervention de la force publique se révèle inévitable. Le service de prévention des expulsions du GIP ne s’y oppose d’ailleurs pas. « Il arrive même que ce soient les travailleurs sociaux qui la demandent, pour des raisons de crédibilité, affirme Gervais Rougier. Quand les gens sont manifestement de mauvaise foi, il faut que les décisions de justice s’appliquent. »

Pour autant, parfois, le concours de la force publique est accordé sans être mis à exécution. En effet, la période entre la décision et la date d’expulsion est l’ultime occasion pour la personne de se mobiliser et d’entreprendre des démarches. Mélany Thil confirme : « A quelques jours de l’expulsion, nous parvenons encore à trouver des solutions, car certains ménages, croulant sous les difficultés, se manifestent in extremis. » L’action du GIP permet alors de les responsabiliser et d’envisager à terme un règlement de la dette. Résultat : en 2009, seules sept familles ont été expulsées en Charente.

EN CHIFFRES

 En 2009, sur les 390 nouvelles procédures engagées, 15 % concernaient des ménages ayant déjà fait l’objet d’une, voire de plusieurs procédures d’expulsion antérieures.

 93 % des procédures étaient engagées pour des impayés de loyers et 1 % seulement pour troubles du voisinage.

 Le GIP a pu rencontrer 49 % des ménages avant l’audience devant le juge d’instance. Ceux qui comparaissent obtiennent plus facilement des délais de paiement et ne voient pas leur bail résilié.

 Sur 76 concours de la force publique octroyés en 2009, il n’y a eu que sept expulsions effectives : quatre ménages ont pu ensuite être relogés dans le parc privé, deux ont été hébergés et le dernier est parti sans laisser d’adresse.

 Le GIP, qui compte 16 salariés, fonctionne pour l’ensemble de ses missions avec un budget global de 2,5 millions d’euros, dont 350 000 € pour l’accompagnement lié à la prévention des expulsions (pris sur les crédits FSL).

Ne laisser personne à la rue

Là aussi, le GIP est présent pour les accompagner. « Nous ne laissons personne à la rue. Nous trouvons systématiquement des solutions d’hébergement », affirme Gervais Rougier. Quand la date de l’expulsion est connue, le service de prévention des expulsions contacte le 115, lequel prévoit un hébergement, que le ménage est libre d’accepter ou pas. « Mais il ne s’agit alors pas d’un relogement. Si le mauvais payeur était relogé le jour de l’expulsion, celle-ci ne jouerait plus son rôle éducatif ! Il faut dire qu’il s’agit parfois de multirécidivistes ou encore de jeunes dont c’est le premier logement et qui ne considèrent pas le paiement du loyer comme une priorité. Leur montrer tout de suite que la loi s’applique, c’est leur rendre service pour leur prochain appartement. » Que deviennent les personnes expulsées et les personnes relogées ? Mélany Thil regrette que l’on perde peu à peu la trace de nombre d’entre elles : « Notamment celles qui se relogent dans le parc privé. Qui sait si leur logement est décent, adapté ? Il arrive que nous retrouvions des gens quelques années après pour une nouvelle procédure d’expulsion… »

En 2011, le GIP emménagera dans une Maison de l’habitat et du logement, aux côtés de l’association départementale d’information sur le logement (ADIL16 ) et du PACT Charente (mouvement pour l’amélioration de l’habitat). Le guichet unique de la Charente sera ainsi vraiment complet.

Notes

(1) GIP Charente Solidarités : Boîte postale 394 – 16008 Angoulême cedex – Tél. 05 45 24 46 46 – www.charentesolidarites.org.

(2) Voir ASH n° 2644 du 29-01-10, p. 11.

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