Le Conseil d’Etat a rejeté, le 19 juillet, la requête de 11 organisations qui, emmenées par le GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés), demandaient l’annulation des circulaires des ministres de l’Immigration et de la Justice des 20 et 23 novembre dernier (1) relatives aux conditions d’application de l’immunité accordée aux personnes ayant apporté une « aide humanitaire » à des étrangers clandestins (2). Deux textes qui, à leurs yeux, donnent des hypothèses dans lesquelles les personnes venant en aide aux sans-papiers ne doivent pas être poursuivies une définition plus restrictive que la loi.
Les mêmes associations avaient déjà essuyé un échec, en janvier dernier, lorsqu’elles avaient réclamé la suspension de ces mêmes textes au juge des référés de la Haute Juridiction (3).
Les circulaires controversées ont été élaborées dans l’attente d’une modification législative destinée, en particulier, à mieux protéger les travailleurs sociaux appelés à apporter une aide humanitaire aux clandestins. Pour rassurer les associations, le ministre de l’Immigration, Eric Besson – pour qui le « délit de solidarité » n’existe pas –, a rendu publique et diffusé auprès des préfets une circulaire du ministère de la Justice qui précise aux parquets le cadre juridique applicable en matière d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers en France. Michèle Alliot-Marie leur indique notamment que les notions de « danger actuel ou imminent » et de « sauvegarde de la vie ou de l’intégrité physique de l’intéressé » posées dans la loi doivent s’interpréter largement sans se limiter au seul péril immédiat stricto sensu encouru par l’étranger. Sur cette base, elle appelle ainsi les parquets à ne pas engager de poursuites pénales du chef d’aide au séjour irrégulier à l’encontre des membres des associations qui fournissent des prestations telles que des repas, un hébergement ou un service médical, lorsque l’acte visé n’a d’autre objectif que d’assurer les conditions de vie dignes et décentes au clandestin.
Le Conseil d’Etat n’a donc rien trouvé à redire aux textes incriminés. Mais, élément notable, il reconnaît sans aucune ambiguïté que, aux yeux de la loi, l’aide désintéressée aux sans-papiers est un délit. Les sages du Palais Royal notent en effet que la circulaire du garde des Sceaux du 23 novembre 2009 « ne fait que réitérer les dispositions du 3° de l’article L . 622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) en permettant de sanctionner l’aide au séjour irrégulier non seulement dans un but lucratif mais aussi dans un but non lucratif ». Le « délit de solidarité » existe donc bel et bien.
Pour le reste, la décision rendue par le Conseil d’Etat se situe dans le prolongement de l’ordonnance du juge des référés de la Haute Juridiction. Un moyen n’avait pas été développé devant lui : la méconnaissance par le 3° de l’article L. 622-4 du Ceseda des objectifs de la directive européenne du 28 novembre 2002 définissant l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers. Selon les organisations requérantes, il y avait une contradiction entre la définition française du délit de solidarité et la définition européenne, qui conditionne cette infraction à son caractère intentionnel et, pour l’aide au séjour, au but lucratif (4). Une analyse écartée par le Conseil d’Etat pour qui, s’il résulte clairement de la directive européenne que les Etats membres doivent prévoir des sanctions pour l’aide au séjour irrégulier lorsque cette aide est apportée en toute connaissance de cause et dans un but lucratif, le texte n’interdit pas dans le même temps aux Etats membres de sanctionner aussi l’aide au séjour irrégulier à des fins non lucratives. Dès lors, aux yeux des sages, la circulaire du 23 novembre 2009 est conforme aux objectifs de cette directive puisqu’elle ne fait que réitérer les dispositions du 3° de l’article L. 622-4 du Ceseda en permettant de sanctionner l’aide au séjour irrégulier non seulement dans un but lucratif mais aussi dans un but non lucratif.
(2) Immunité accordée notamment à « toute personne physique ou morale, lorsque l’acte reproché était, face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l’intégrité physique de l’étranger, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ou s’il a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte ».
(4) L’article 1er de la directive dispose que « chaque Etat membre adopte des sanctions appropriées à l’encontre de quiconque aide sciemment une personne non ressortissante d’un Etat membre à pénétrer sur le territoire d’un Etat membre […] et à l’encontre de quiconque aide sciemment, dans un but lucratif, une personne non ressortissante d’un Etat membre à séjourner sur le territoire d’un Etat membre en violation de la législation de cet Etat relative au séjour des étrangers ». Précisons que ce même article prévoit également que tout Etat membre peut décider de ne pas imposer de sanctions à l’égard des personnes qui aident sciemment un clandestin dans le cas où elles agissent dans un but non lucratif et pour apporter une aide humanitaire à l’étranger concerné.