Le tour de vis sécuritaire du gouvernement choque même au-delà des frontières. Les experts du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’ONU, réunis les 11 et 12 août à Genève, ont déploré une « recrudescence notable de la xénophobie » et une « stigmatisation de l’immigration comme cause de tous les maux » en France (1). Des inquiétudes qui font écho à l’indignation, voire à la colère des associations et des acteurs de terrain après les mesures répressives annoncées par Nicolas Sarkozy à l’encontre des Roms et des gens du voyage, mais aussi des délinquants, notamment ceux d’origine étrangère (voir ce numéro, page 5). Des annonces faites en termes brutaux, voire belliqueux – Nicolas Sarkozy parle de « guerre contre les trafiquants et les délinquants » –, fermant la porte à toute réflexion de fond et intervenant à la suite de deux faits divers survenus en juillet : les violences commises contre des policiers à Grenoble et l’attaque par des gens du voyage de la gendarmerie de Saint-Aignan (Loir-et-Cher) après la mort d’un jeune de leur communauté ayant forcé un contrôle routier.
Tout d’abord en parlant indistinctement des gens du voyage et des Roms, le président de la République fait un amalgame entre deux populations. Alors que les premiers (environ 400 000 en France) sont français à 95 % et ne vivent que pour un tiers encore dans des caravanes, les seconds (20 000 sur le territoire) viennent de Roumanie ou de Bulgarie. Ce sont eux qui sont visés par les reconduites à la frontière quasi immédiates en cas d’atteintes à l’ordre public ou de fraudes. Lors de l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’Union européenne en 2007, le gouvernement français a imposé des mesures transitoires qui les empêchent de travailler sur le territoire et de bénéficier des prestations sociales jusqu’en 2013. « N’inversons pas les responsabilités ! », s’indigne donc le collectif Romeurope, qui réclame le libre accès des Roms à l’emploi plutôt que d’en faire « des boucs émissaires d’une politique sécuritaire inefficace ».
Quant au démantèlement des camps illicites, s’il concerne majoritairement les Roms – qui, privés de ressources régulières s’installent dans des bidonvilles –, il s’applique aussi aux gens du voyage. Plusieurs associations, comme France terre d’asile, Amnesty International, la Feantsa (Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans-abri) ou la FNARS (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale) reprochent au gouvernement de ne pas sanctionner les communes de 5 000 habitants qui ne créent pas d’aire permanente d’accueil pour ces publics, comme l’exige pourtant la loi Besson. Fin 2008, 62 % d’entre elles ne remplissaient pas cette obligation. Et encore, selon France terre d’asile, sur les 42 000 emplacements jugés nécessaires, seule la moitié serait opérationnelle. Il est « contradictoire de commencer par supprimer ces campements avant même de faire appliquer la loi ! », relève Amnesty International.
Ce démantèlement est d’autant plus inefficace qu’il « ne provoquera rien d’autre qu’un déplacement vers d’autres camps illicites et donc une précarisation et une exclusion sociale encore plus grandes », ajoute la FNARS. Ce qui réduira « à néant le travail engagé par les intervenants sociaux », que ce soit pour favoriser le suivi sanitaire des Roms ou améliorer leurs conditions d’habitat. La fédération est d’autant plus inquiète que « dans certains départements, des consignes préfectorales sont d’ores et déjà données aux services sociaux pour refuser l’accès des Roms aux structures d’hébergement ». Selon l’association Hors la rue, plus de 6 000 mineurs rom roumains ou bulgares présents sur le territoire vont être exclus de toute scolarisation. « Les mesures annoncées présentent un grave danger pour ces enfants, dont la situation économique, sociale et sanitaire est déjà extrêmement préoccupante. »
Outre les mesures à l’encontre des Roms et des gens du voyage, la volonté de déchoir de la nationalité française « toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un policier, d’un militaire de la gendarmerie ou de toute autre personne dépositaire de l’autorité publique » a suscité un large tollé. D’autant que cette déchéance pourrait être étendue aux cas de « polygamie, d’excision, de traite d’humains ou d’actes de délinquance grave ». Les associations de défense des droits de l’Homme, à l’instar du MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), n’ont pas manqué de dénoncer « l’assimilation des étrangers et des personnes d’origine étrangère à la délinquance ». Pour le GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés), « il ne s’agit plus du débat légitime en démocratie sur la manière d’assurer la sûreté républicaine, mais bien d’une volonté de désigner comme a priori dangereuses des millions de personnes à raison de leur origine ou de leur situation sociale ». 49 organisations associatives, syndicales et politiques invitent ainsi à signer en ligne un « Appel citoyen refusant toute politique de la peur et de la haine » (2) et prévoient un rassemblement, le 4 septembre, à Paris et dans toute la France.
Autre public à nouveau montré du doigt, « les parents manifestement négligents » des mineurs délinquants, dont Nicolas Sarkozy veut voir aujourd’hui la responsabilité engagée sur le plan pénal. « Quel éducateur, quel enseignant, quel élu local pourrait croire que la stigmatisation de familles déjà fragilisées socialement pourrait faciliter la restauration des liens parents-enfants et soutenir leur rôle parental essentiel ? », s’interroge le SNPES (Syndicat national des personnels de l’éducation et du social)-PJJ-FSU.
« Dans un contexte de crise économique qui frappe déjà plus durement les plus démunis, stigmatiser les “mauvais pauvres” revient à abandonner sur le bord de la route ceux qui, au contraire, ont le plus besoin d’aide et d’accompagnement », écrit Nicole Maestracci, présidente de la FNARS, dans une tribune au journal Libération du 17 août. Elle dénonce « une rupture du pacte social qui donne tout leur sens aux diminutions annoncées des budgets destinés aux plus démunis […] et des financements aux associations de solidarité qui assurent le lien social dans les quartiers sensibles ».
Cette présence sociale auprès des habitants, Monique Berthet, directrice du service de prévention spécialisée du Codase (Comité dauphinois d’action socio-éducative), à Grenoble, s’en fait l’écho, dans un témoignage diffusé par le Comité national de liaison des associations de prévention spécialisée. Dans les jours qui ont suivi les événements du quartier de La Villeneuve qui ont servi de détonateur au discours du 30 juillet de Nicolas Sarkozy, elle rapporte que « les éducateurs ont […] sillonné les rues pour […] aller vers les personnes pour tenter d’objectiver la situation, redonner du sens et sortir des effets d’une médiatisation amplifiée, qui construisent des raccourcis dans le raisonnement, des images faussées et qui développent en boucle une insécurité encore plus forte ».
(1) Ils devraient adopter leurs recommandations le 27 août prochain.
(2) Sur