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Centres d’injection supervisés : les acteurs de terrain veulent dépassionner le débat

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Alors que le Premier ministre s’est déclaré opposé à l’expérimentation des salles de consommation de drogue, les associations, experts et certains élus locaux appellent à une réflexion concertée à la hauteur des enjeux de santé publique.

François Fillon a tranché : l’expérimentation des salles de consommation de drogue n’aura pas lieu. « Leur mise en place n’est ni utile, ni souhaitable », a-t-il estimé le 11 août. « La priorité du gouvernement est de réduire la consommation des drogues en France, non de l’accompagner, voire de l’organiser. » Un veto clair et net, destiné à mettre fin, sur ce sujet sensible, à la cacophonie qui ne fait qu’enfler depuis le début de l’été au sein du gouvernement et de la majorité.

Le feu vert de la ministre de la Santé

Le 19 juillet, à Vienne, lors de la conférence internationale sur le VIH, Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, avait en effet annoncé le lancement d’une concertation sur les centres de consommation supervisés. « Des dispositifs qui n’ont pas pour but de dépénaliser l’usage de drogue », s’empressait-elle de préciser, évoquant les enjeux de santé publique. Mis en place dans plus de 45 villes de huit pays, essentiellement européens (Allemagne, Pays-Bas, Luxembourg, Espagne, Norvège, Suisse, Canada et Australie), ces centres accueillent des usagers de drogue sous la supervision de médecins, psychiatres, infirmiers, assistants sociaux ou éducateurs. Les toxicomanes peuvent y consommer leurs produits dans de bonnes conditions d’hygiène grâce aux conseils de ces professionnels et se voir orienter vers le dispositif de soins. Dans une ex­pertise rendue publique le 2 juillet (1), l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) avait plaidé en faveur de ces centres sous certaines conditions, soulignant notamment la diminution des abcès et autres maladies liées à l’injection et des comportements à risques de transmission du VIH/VHC.

Néanmoins, malgré l’intérêt du disposi­tif qui attire un public particulièrement vulnérable (SDF, très dépendants…), la ministre a vite été contredite par ses collègues. Après Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur, qui avait manifesté son opposition début juillet, Etienne Apaire, président de la MILDT (Mission inter­ministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie), a affirmé l’hostilité du gouvernement à l’ouverture de telles structures. Dans une interview au journal Le Monde du 10 août, il estime que « ces centres sont discutables sur le plan philosophique » et qu’« ils ne répondent pas vraiment à la demande d’un point de vue sanitaire ». Et le 9 août, 14 députés UMP se sont également prononcés contre les « salles de shoot » : « Comme si le fait de se droguer dans un lieu aseptisé rendait la drogue plus douce et moins dangereuse », écrivent-ils.

Pourtant, c’est sans compter sur le soutien à Roselyne Bachelot de Nadine Morano, secrétaire d’Etat chargée de la famille, pour laquelle « toutes les pistes pour sauver l’usager de drogue de sa dépendance doivent être expertisées » ; ou de Jean-Claude Gaudin, maire UMP de Marseille, qui soulignait fin juillet que les centres de consommation supervisés « peuvent contribuer à une politique sanitaire à la hauteur des enjeux actuels, en réduisant les contaminations par le virus de l’hépatite C mais aussi les nuisances liées aux “shoots” dans la rue, dans les parkings ou les entrées d’immeubles » et se disait prêt à en ouvrir un à Marseille. La ministre a même trouvé un allié en la personne de Gérard Larcher, président du Sénat, mais aussi sénateur UMP des Yvelynes, qui a proposé que ce sujet fasse l’objet d’une mission parlementaire (2).

Alors que les centres d’injection supervisés mériteraient pour le moins une large concertation avec l’ensemble des partenaires, de la pédagogie et un débat serein, le Premier ministre a donc fermé brutalement la porte. « Une décision purement idéologique, déplore l’Association française pour la réduction des risques. Une fois de plus des arguments politiques sécuritaires axés sur la diminution de l’offre et la criminalisation de l’usage sont mis en avant au détriment d’actions efficaces prouvées et d’un coût moindre que la répression. » « Il faut en finir avec l’obscurantisme et l’irrationalité, dénonce le « Collectif du 19 mai » (3), qui appelle à tenir compte des expériences de terrain et des études scientifiques. Comment la décision du Premier ministre pourrait-elle être juste puisque le président de la MILDT ne cesse de manipuler les données scientifiques et de désinformer le grand public comme les décideurs sur les dispositifs de la réduction des risques ? » Ses représentants espéraient d’ailleurs convaincre François Fillon de revenir sur sa décision lors du rendez-vous fixé avec ses services le 19 août (4). Quant à l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA), si elle souhaite l’expérimentation des salles de consommation, elle propose, afin d’apaiser les esprits, que le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé soit saisi de « cette question de société soulevée par les progrès de la connaissance dans les domaines de la médecine et de la santé ». Patrick Beauverie, de Médecins du monde, rappelle, de son côté, dans Libération du 13 août, que « ce sont les mêmes arguments que l’on a entendus lors de la mise en place des programmes de substitution et d’échanges de seringues dans les années 1990 ».

Dépasser les fantasmes

Dépassionner le débat – qui divise à droite et rassemble à gauche – et avoir une approche pragmatique, telle est également la volonté de l’association « Elus, santé publique et territoires », qui compte une soixantaine de villes adhérentes de tout bord politique. « Il faut passer du fantasme à des choses évaluées : personne ne dit que la drogue prise dans un local aseptisé est moins dangereuse, mais la prendre là permet de réduire les risques pour l’usager et la population », explique son président, Laurent El Ghozi, élu PS à Nanterre et médecin. Afin de dépasser les a priori, l’association conduit un séminaire sur le sujet : elle a déjà auditionné de nombreux experts et acteurs de terrain, visité la salle de consommation de Bilbao (Espagne) et devrait restituer ses travaux le 24 septembre prochain.

« Il faut être pragmatique », recommande lui aussi, Pierre Polomeni, médecin, spécialiste hospitalier en addictologie et membre du groupe d’experts de l’Inserm. Dans une interview à l’AFP, le 13 août, il estime nécessaire de procéder au préalable à une étude de besoins. Si ces derniers sont identifiés, ces salles de consommation peuvent alors être « un outil complémentaire utile au sein d’une politique de réduction des risques plus globale ». Pas sûr, pourtant, que les appels à une réflexion à la hauteur des enjeux de santé publique parviennent à infléchir la logique répressive défendue par le Premier ministre.

Notes

(1) Voir ASH n° 2667 du 9-07-10, p. 13.

(2) Aides soutient la proposition de Gérard Larcher. Julien Dray (PS) préconise, de son côté, la mise en place d’une commission parlementaire pour faire le point sur la toxicomanie tout en évoquant la possibilité d’ouvrir des salles de suivi des toxicomanes.

(3) Qui réunit ASUD, Anitea, Act Up-Paris, Gaïa Paris, Safe, SOS hépatites Paris, salledeconsommation.fr.

(4) Six associations – ASUD, SOS hépatites Paris, Act Up, Anitea, Gaïa, Safe – avaient d’ailleurs ouvert, le 19 mai 2009, « symboliquement », dans la capitale, une salle de consommation à moindres risques pour interpeller les pouvoirs publics sur ce dispositif.

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