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Centres éducatifs fermés : les recommandations de Dominique Versini pour une meilleure prise en charge des jeunes

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En juillet dernier, la défenseure des enfants a rendu publique une étude sur les centres éducatifs fermés (CEF) (1) qui, si elle confirme « l’intérêt de ce programme à bien des niveaux, […] soulève également de nombreuses questions dont les deux principales tiennent au profil des adolescents accueillis et à l’appauvrissement du dispositif global de la protection judiciaire de la jeunesse. » Selon Dominique Versini, il en résulte un « dommage direct » pour ces jeunes faute d’autres types de prise en charge. Ils se trouvent ainsi « stigmatisés, étiquetés “délinquants difficiles” et se voient souvent fermer la porte des autres types d’établissements », estime la défenseure, qui formule un certain nombre de propositions – transmises à la ministre de la Justice – afin d’améliorer la prise en charge éducative des adolescents commettant des infractions.

L’adhésion du jeune au projet éducatif

Avant toute chose, rappelle la défenseure, l’accueil en CEF exige que le jeune adhère au moins au projet qui lui est proposé, une nécessité constante en matière éducative mais plus prégnante dans ce type d’établissement dans la mesure où le placement a pour objectif d’éviter, de retarder ou de mettre fin à l’emprisonnement des adolescents. Aussi Dominique Versini préconise-t-elle d’« inscrire dans l’ordonnance du 2 février 1945 [relative à l’enfance délinquante] une obligation faite aux magistrats de veiller, préalablement à la décision de placement, notamment en CEF, au discernement suffisant du jeune quant aux enjeux de ce placementet à sa compréhension effective du dispositif. »

Au-delà des difficultés d’ordre conceptuel, des difficultés d’ordre réactionnel peuvent aussi compliquer l’adhésion au projet éducatif, liées entre autres à la personnalité des adolescents visés par les CEF : des jeunes âgés de 13 à 18 ans, multirécidivistes, en grande difficulté d’insertion sociale et psychique, et pour lesquels les autres structures n’ont rien pu faire. Se fondant sur une expérimentation menée notamment par le CEF de Valence (Drôme), Dominique Versini suggère d’« adapter, en s’appuyant sur l’équipe pluridisciplinaire de l’établissement [éducateurs et personnel issu de l’hôpital psychiatrique], les réponses faites aux actes de l’enfantpour éviter une escalade symétrique dans leur gravité et ainsi lui permettre de s’inscrire durablement dans le dispositif » (2). Elle souhaite également garantir la présence effective d’un pédopsychiatre auprès des CEF et sa participation systématique à l’évaluation des adolescents dès leur accueil dans l’établissement (3).

Par ailleurs, les centres éducatifs fermés sont par nature fermés « juridiquement » du fait de la volonté de créer une alternative à l’incarcération et d’instaurer un accompagnement éducatif contraint. Malgré tout, le droit carcéral ne s’y applique pas, une ambiguïté que les adolescents ne comprennent pas toujours. Et ce, d’autant plus que les CEF présentent de plus en plus souvent des caractéristiques visibles d’enfermement (hauteur des murs, vidéosurveillance…). Quid alors en cas de non-respect du placement en CEF ? Pour Dominique Versini, il convient d’« affirmer que, la fugue n’étant pas une infraction, elle ne peut constituer, lorsqu’elle n’est pas inscrite dans un contexte de réitération ou de commission d’infraction, un motif d’incarcération, même dans le cadre d’un placement en CEF ». Ou encore de dire que, « dans le cadre des CEF, l’incarcération ne peut-être ordonnée qu’en cas de réitération d’une infraction entraînant une révocation des mesures de sûreté en cours (contrôle judiciaire, sursis avec mise à l’épreuve, aménagement de peine) ».

Malgré ces difficultés, sur le fondement même du programme éducatif des CEF, la défenseure considère que les droits des enfants, tels qu’ils résultent de la Convention internationale des droits de l’enfant, sont respectés.

Le recentrage des CEF sur leur public initial

Au travers de ses auditions, Dominique Versini a constaté que le profil des jeunes accueillis en CEF s’est modifié. Selon les chiffres communiqués par la chancellerie, plus du quart d’entre eux (26 %) sont des primo-délinquants et ne correspondraient pas au profil initialement prévu pour ces centres, voire 42 % si on y ajoute les adolescents n’ayant jamais été condamnés plus de deux fois, et majoritairement à des mesures éducatives. Plusieurs raisons expliquent cette évolution, selon elle : « la volonté de marquer symboliquement la gravité de l’acte par une réponse ferme et immédiate » ; « le manque d’alternatives en termes de placement » ; « la modification du seuil de tolérance des autres types d’établissement d’accueil » (4)… Dans ce contexte, la défenseure des enfants souhaite donc que les CEF se recentrent sur leur objectif initial et, pour les y aider, préconise d’« inscrire dans la loi que l’orientation en CEF [soit] limitée aux adolescents multiréitérants ou récidivistes commettant des actes graves et pour lesquels d’autres types de placement ont été tentés et ont échoué ».

Dominique Versini s’est aussi interrogée sur la difficulté de trouver des accueils d’urgence au pénal, type d’accueil qui se heurte à la fois à la logique judiciaire, avec des délais stricts visant à éviter l’incarcération, et à la logique éducative, qui nécessite de préserver les équilibres de groupe et les parcours. Autres obstacles : la réduction du nombre d’établissements de placement, le principe de « priorité régionale » selon lequel les établissements accueillent en premier lieu les jeunes dont la famille demeure à proximité, « la durée du placement [six mois] qui n’est pas forcément adaptée à l’âge des jeunes accueillis », ce qui pose le problème de la prise en charge des jeunes majeurs… La défenseure des enfants propose à cet égard quelques solutions telles que « garantir un nombre de places d’accueil d’urgence dans les structures existantes, y compris les CEF », « créer une structure dédiée exclusivement à l’accueil d’urgence » ou encore « permettre un accueil au-delà de la majorité pour toute prise en charge débutée avant celle-ci ».

L’amélioration des pratiques professionnelles

Dominique Versini constate par ailleurs que le difficile équilibre entre les enjeux de la procédure pénale et éducatifs a conduit à des « pratiques professionnelles disparates » dans les CEF, exercées par des personnels « sans formation spécifique ni référentiel commun ». « L’expérience des CEF en termes de pratiques pédagogiques se construit au jour le jour, chaque CEF développant un projet pédagogique propre ». Aussi invite-t-elle la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) à construire une réflexion permettant de « dégager les fondamentaux de la prise en charge éducative en CEF et d’aboutir à un référentiel commun aux secteurs public et associatif habilité ». Elle suggère en outre de développer une formation initiale et continue spécifique à la prise en charge en CEF et destinée à l’ensemble des professionnels y intervenant, « afin de favoriser le développement d’une culture commune au sein des établissements ».

La mission des CEF est aujourd’hui d’autant plus difficile à remplir que les « contraintes budgétaires imposées à l’ensemble des services de l’Etat les obligent à faire des choix » (5), tels que le recentrage de l’activité de la DPJJ vers la prise en charge pénale au détriment de l’éducatif (6). Sans surprise, la défenseure des enfants souligne que cette restructuration du dispositif de la PJJ doit nécessairement s’accompagner de moyens matériels et humains.

Notes

(1) Disponible sur www.defenseurdesenfants.fr.

(2) Sur cette expérimentation, voir ASH n° 2660 du 21-05-10, p. 30. Bien qu’elle n’ait pas encore effectué le bilan de cette expérimentation, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse a indiqué à la défenseure des enfants que ses premiers résultats permettaient de « confirmer que ce dispositif sécurisait les équipes et leur pérennisation » et qu’il pouvait être « transposable dans les autres types de structure ».

(3) Une proposition que la direction de la protection judiciaire de la jeunesse ne considère pas souhaitable, jugeant que l’intervention de ce professionnel doit demeurer ponctuelle.

(4) Selon les propos rapportés du procureur de la République de Moulins, si les magistrats ont plus souvent recours aux CEF pour des publics non visés initialement, « c’est parce que les placements “classiques” ne présentent plus le caractère contenant que l’on attend d’eux et ne remplissent plus leur mission d’éducation ou de rééducation des mineurs ».

(5) Le budget total de la DPJJ est passé de 804,5 millions d’euros en 2008 à 777 millions en 2010.

(6) Voir ASH n° 2548 du 7-03-08, p. 41 et n° 2658 du 7-05-10, p. 15.

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