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En état d’urgence

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A Draguignan, dans le Var, les inondations du 15 juin ont tué 12 personnes et provoqué des dégâts dont l’ampleur est encore à évaluer. Les services sociaux se sont mobilisés en urgence pour assurer l’accueil, l’orientation et l’hébergement des sinistrés. Mais beaucoup reste à faire… Reportage.

A l’entrée sud de Draguignan, déchets et lambeaux de plastique ou de tissu s’accrochent encore aux arbres qui dominent la Nartuby, petite rivière profondément encaissée qui coule dans les quartiers ouest et sud de la sous-préfecture varoise. Le 15 juin dernier, des pluies torrentielles ont transformé le discret cours d’eau en furie, tuant au passage 12 personnes à Draguignan (1). Près de trois semaines après la dramatique inondation qui a balayé la Dracénie jusqu’à la côte de l’Esterel, des quartiers entiers restent sous le choc. A Brossolette, Saint-Hermentaire ou au Grand Fournas, les rez-de-chaussée des maisons et des immeubles ont été vidés. Les coins de rue boueux sont encore encombrés par du mobilier rendu inutilisable, et la puanteur apportée par l’inondation persiste. Les travailleurs sociaux du conseil général et les personnels du centre communal d’action sociale (CCAS), mobilisés en urgence, demeurent sur la brèche pour pallier tant bien que mal les besoins des sinistrés.

A la maison départementale du territoire de Draguignan, dépendant du conseil général du Var, la permanence d’accueil et d’orientation ne désemplit pas (2). Jacqueline Roche, commerçante sur les marchés, a vu sa maison de Figanières envahie par les eaux. « Nous sommes partis à temps, mon mari, ma fille, mon fils et moi, avec notre voiture et notre camion. C’est tout ce que nous avons pu sauver », raconte-t-elle, stoïque. La famille a depuis trouvé un appartement à louer, mais elle est venue ici se renseigner sur les aides dont elle pourrait bénéficier. La maison départementale jouxte les locaux de la sous-préfecture du Var, dans un centre-ville où les traces de la catastrophe ont été vite balayées. Dès le 16 juin, c’est ici qu’une cellule de crise s’est installée, progressivement transformée en cellule d’accueil, puis en permanence d’accueil et d’orientation. « Cette maison est un peu le centre administratif de la ville, explique Stéphane Gouiffes, responsable territorial Dracénie et Fayence. Alors les premiers sinistrés, pas du tout habitués des services sociaux, ont débarqué spontanément, dans une grande détresse, dès le mercredi matin. » Rapidement, une équipe de volontaires s’organise, composée de travailleurs sociaux, de psychologues, de puéricultrices, de cadres ainsi que d’un agent détaché par le CCAS pour participer à l’accueil et aider à trouver des hébergements provisoires. « Nous avons eu jusqu’à 15 travailleurs sociaux répartis dans les étages pour recevoir les demandes des sinistrés », poursuit Stéphane Gouiffes. Première urgence : l’accueil et l’écoute. « Des gens arrivaient en pleurant, ils étaient reçus par un psy ou une assistante sociale en fonction des besoins. Heureusement, ils repartaient parfois avec le sourire… »

En exploration sur le terrain

Au fur et à mesure que les lignes téléphoniques sont rétablies, les appels affluent. « Nous avions des coups de fil de personnes qui ne voulaient pas quitter leur maison, même ravagée, relate Agnès Lecomte, adjointe de territoire de l’Aire dracenoise, qui a participé à la cellule de crise. Et beaucoup de personnes âgées avaient besoin d’être rassurées. » Rapidement, travailleurs sociaux et psychologues partent sur le terrain pour organiser des groupes de soutien, et vérifier la sécurité et les besoins des personnes. « Des collègues étaient arrivés en renfort de l’ensemble du département. Pendant qu’ils prenaient le relais à la cellule, nous sommes partis explorer les quartiers isolés », expose Myriam Philippe, assistante de service social à l’aide sociale à l’enfance (ASE). A la fin de chaque demi-journée, l’équipe se réunit pour faire le point sur les besoins repérés. « Stéphane Gouiffes recherchait les personnes ressources à même d’y répondre, poursuit Myriam Philippe. Moi qui suis assistante de service social à l’ASE, je n’étais, par exemple, pas en mesure de répondre correctement aux demandes spécifiques de personnes âgées. » Pour faire face, le responsable territorial sollicite des collègues chargés habituellement de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) ou formés aux questions de handicap… Son rôle l’amène également à mobiliser les services techniques pour que les professionnels puissent accéder à certains quartiers isolés par l’inondation. Voire à accompagner une famille pour la reconnaissance d’un corps. « Nous avons improvisé. Nous n’étions pas préparés à une catastrophe d’une telle ampleur et nous ne disposions d’aucun protocole rédigé, résume Stéphane Gouiffes. Mais je crois que chacun a trouvé logiquement sa place, il n’y a pas eu de questionnement. » Et ce alors que certains travailleurs sociaux vivaient eux-mêmes qui un deuil, qui un sinistre, voire une incertitude quant au devenir de proches durant les 24 à 48 heures qui ont suivi la catastrophe.

La frustration face à l’urgence

Situé à environ 700 mètres de là, le CCAS a lui aussi encaissé le choc, tout en essayant de parer au plus pressé. « Nous connaissions tous, de près ou de loin, l’un des disparus ou les lieux où il y a eu des morts, confirme Sylviane Lagny, assistante sociale de formation et coordinatrice, au sein du CCAS, du centre local d’information et de coordination gérontologique (CLIC). Une telle catastrophe, ça vous tétanise. » Composée d’une quinzaine d’agents administratifs et de professionnels de l’aide à domicile, l’équipe s’est d’abord concentrée sur les besoins urgents des bénéficiaires habituels : personnes âgées ou titulaires de l’aide à domicile. « Dès que notre ligne téléphonique a été rétablie, nous avons appelé toutes les personnes qui se trouvaient inscrites chez nous pour vérifier leur situation et leurs besoins, explique Fabienne Giraud, responsable du service d’aide à domicile. Seules trois personnes âgées bénéficiaires ont été sinistrées. » Lorsque les usagers ne répondaient pas, des agents se rendaient sur place. « Puis nous avons contacté toutes les personnes inscrites au registre communal mis en place pour faire face aux situations de canicule », poursuit Fabienne Giraud. Pendant environ une semaine, l’équipe administrative a ainsi passé une bonne partie de son temps au téléphone. « Nous travaillions même entre midi et 14 heures, raconte Fabienne Giraud. Puis notre activité est revenue à peu près à la normale. »

Sylviane Lagny souligne pourtant la difficulté et l’insatisfaction de devoir agir dans l’urgence pour une équipe habituée à un fonctionnement plus routinier. « Je ne me suis pas rendue sur le terrain. J’ai essayé de soutenir les agents sur place, de gérer les urgences, tout en différant ce qui pouvait l’être. J’ai tenté aussi de faire fonction de régulateur pour rassurer l’équipe. » Mais la désorganisation imposée par l’urgence l’a laissée frustrée « C’est comme s’il n’y avait pas eu de début ni de fin aux actions entreprises. J’ai fait un petit quelque chose par-ci par-là, tentant d’aller d’une cellule de crise à une autre, avec l’impression de n’être qu’une petite goutte d’eau dans tout cet effort. » Elle fait en revanche une analyse positive de l’action mise en œuvre pour réaliser le bilan social des familles qui ont spontanément contacté le CCAS. « Elles étaient dans un tel traumatisme qu’il fallait vraiment creuser, voire stimuler la demande et leur rappeler qu’elles n’étaient pas forcément sans ressources, que ce soit dans leur réseau familial ou grâce à leur assurance, qui pouvait prendre en charge quelques mois de loyer. »

A la maison départementale du territoire de Draguignan, l’organisation de la cellule d’accueil s’est affinée peu à peu. L’un des travailleurs sociaux se concentre sur le regroupement de toutes les informations à transmettre aux sinistrés : coordonnées des associations susceptibles de contribuer à l’aide alimentaire ou vestimentaire, numéros de téléphone des administrations utiles, etc. Les murs de la salle de réunion du rez-de-chaussée sont aujourd’hui encore recouverts d’affichettes écrites de sa main : « La poste ouvre des postes restantes gratuites, contacter le 04 83 XX XX XX » ; « pour les listes de personnes décédées, s’adresser à l’état civil au rez-de-chaussée de la mairie de Draguignan » ; « les Restos du cœur sont ouverts jusqu’au 9 juillet »… L’équipe s’est également constituée des fiches types, à remplir pour chaque demandeur en fonction de l’aide sollicitée : aide financière d’Etat, vestiaire, dons de mobilier, de vaisselle, d’électroménager… Très vite, en effet, est apparue la nécessité de constituer une sorte de guichet unique pour toutes les demandes. « Le département présente un tissu associatif relativement faible, qui était fortement demandeur d’une coordination que nous avons mise en place progressivement, d’abord avec le CCAS, puis avec l’ensemble des associations », résume Stéphane Gouiffes. Des réunions hebdomadaires ont désormais lieu tous les vendredis. « Il s’agit d’expliquer l’évolution de notre organisation, de communiquer aux différents partenaires les aides que nous pouvons apporter directement aux sinistrés ou aux associations, commente Mireille Nerrière, en temps normal coordinatrice quartiers solidaires et vie associative sur Fréjus-Saint-Raphaël, actuellement coresponsable de la permanence d’accueil et d’orientation. En même temps, elles nous font remonter concrètement leurs besoins. » Un système de fiches conditionnant la fourniture de certaines aides associatives a donc été mis en place. « Il y a eu une crainte de la part des associations constituées que des demandes indues ou redondantes soient formulées », justifie Mireille Nerrière. Du coup, pour bénéficier de dons gérés par les associations ou le CCAS, il faut d’abord obtenir la précieuse fiche délivrée à la maison départementale des territoires. Des dons, pourtant, la ville en déborderait presque à présent… Au pied de la mairie, le gymnase a été réquisitionné pour y stocker vêtements, chaussures, vaisselle, linge et jouets offerts par des particuliers. Mais ici comme aux devantures des associations, on peut lire la même affichette : « Faute de place pour les stocker, nous n’acceptons plus les dons de vêtements. » Trop de dons et une aide rationnée… une situation un peu contradictoire.

Le manque de logements sociaux

Au CCAS, si la période d’urgence est passée, le téléphone continue de sonner. Une dame appelle pour savoir si l’électricité est revenue dans l’immeuble qu’elle a quitté pour se réfugier dans sa famille. Un agent administratif habitant la même résidence lui confirme que cela ne reviendra pas avant au moins une semaine. Mais le service logement reste particulièrement sur le qui-vive. Il reçoit continuellement des personnes venues s’informer des possibilités de relogement ou de l’avancement de leur dossier. « Je n’en peux plus, on n’a plus rien à proposer », s’exaspère Carole Majorel, habituellement chargée de l’admission en résidence étudiante et du RSA. Depuis le 15 juin, la jeune femme s’échine à trouver des solutions d’hébergement ou de relogement, en collaboration avec Alexandra Picot-Roubaud, adjointe administrative au service logement du CCAS. Sur les murs de leur bureau, pourtant, des affichettes annoncent des propositions d’hébergement chez l’habitant (dont certaines gratuites), des logements privés ou sociaux, des propositions de locations de cabanons, de caravanes, de mobile-homes. « Mais ce n’est déjà plus à jour, les choses partent très vite », explique Alexandra Picot-Roubaud. Et les loyers dans la région sont assez élevés (450 € pour un studio), sans compter l’arrivée des vacances, qui rend caduques un certain nombre d’offres réservées par des touristes.

Jusqu’ici, 137 demandes ont été comptabilisées. « Mais cela inclut des personnes qui ont déjà mobilisé leur réseau pour se reloger, et certaines qui n’auront peut-être besoin que de travaux de réhabilitation de leur logement, mais dans un délai inconnu », précise Valérie Verhelst, la directrice du CCAS. Ainsi, cet après-midi, défileront en l’espace d’une heure un employé des services municipaux qui vient tout juste d’apprendre qu’il pouvait bénéficier d’une aide financière de l’Etat ; un particulier qui, transféré d’hébergement provisoire en hébergement provisoire, n’a toujours pas trouvé de quoi remplacer le petit studio dévasté qu’il louait, et a finalement décidé de quitter Draguignan ; un couple qui pense avoir trouvé une solution pour s’installer à Aix-en-Provence ; une mère et sa fille qui ont à la fois perdu leur mari et père et leur maison… « Nous manquons cruellement de logements sociaux dans le Sud, note Sylviane Lagny, la coordinatrice du CLIC. En fait, c’était déjà un sujet douloureux avant. Mais aujourd’hui, des personnes qui avaient déjà des difficultés avec un logement insalubre ou trop petit ont basculé dans l’inhabitable, alors que des personnes qui étaient intégrées et logées convenablement se retrouvent à émarger au logement social, parce qu’elles étaient propriétaires avec de faibles revenus, ou mal assurées. » Sans compter que nombre de sinistrés ont également perdu leur véhicule, ce qui restreint encore davantage les options de relogement. A l’image de Marilyne Taytin, une jeune mère qui vivait au Grand Fournas dans un deux-pièces du secteur privé. Malgré son rez-de-chaussée surélevé, elle avait dû fuir vers les étages supérieurs avec ses deux fillettes de 18 mois et 3 ans et demi. Elle fait volontiers visiter l’appartement où elle a vécu un an, désormais vidé et nettoyé avec l’aide d’amis. La porte est difficile à ouvrir, car l’humidité a fait travailler le bois. Sous la pression de l’eau, des vitres se sont brisées et des plaques d’aération ont été arrachées… La jeune femme, qui dort chez des amis, a pu laisser les enfants chez leur père, en attendant d’être relogée. Elle devrait avoir la chance qu’on lui propose une HLM.

Car Alexandra Picot-Roubaud ne désespère pas de trouver des solutions. « Vendredi, nous avons une commission d’attribution de logement HLM. J’ai bon espoir de placer quatre ou cinq familles », poursuit l’adjointe au service logement. Une nouvelle qui soulagera sans doute Ouafa Z., son mari et ses deux enfants, âgés de 10 mois et 4 ans. Ils sont hébergés à l’internat du collège Général-Férié, dans une unique chambre équipée de quatre lits simples, surchauffée par le soleil et sans possibilité de cuisiner. « Nous avons d’abord été évacués vers le gymnase Saint-Exupéry le lendemain de l’inondation, ensuite on nous a transférés au monastère des Petites-Sœurs-de-la-Consolation et, depuis deux semaines, nous sommes ici, résume la jeune femme enceinte de son troisième enfant. On en a un peu marre, d’autant que mon assistant social m’avait annoncé qu’un F3 était disponible pour que nous emménagions aujourd’hui, mais cela a été repoussé à jeudi. »

Selon le CCAS, il resterait environ une cinquantaine de familles en attente de relogement définitif. Un chiffre qui n’est qu’une estimation. « Nous sommes inquiets sur les demandes qui vont arriver à présent, nuance en effet Sylviane Lagny. On pense que des demandes de la part de personnes qui avaient jusqu’ici trouvé des solutions de dépannage dans leur famille ou chez des amis vont émerger pendant l’été. » La perspective d’installation de préfabriqués se profile pour ceux qui n’auraient pas d’autre solution. En attendant, les familles hébergées au collège Général-Férié ont dû quitter l’internat qui fermait le 9 juillet. Deux familles se sont vu attribuer un logement social, mais deux autres doivent se contenter d’un hébergement temporaire en CHRS.

Un vaste mouvement de solidarité

En outre, trois semaines après la catastrophe, les services sociaux craignent de voir apparaître une nouvelle population de demandeurs : des propriétaires à petit revenu dont l’assurance n’autorisera pas un relogement satisfaisant, des travailleurs ayant perdu un véhicule indispensable pour se rendre sur leur lieu de travail, d’autres dont l’employeur ne pourra se relever du sinistre… Beaucoup, pourtant, restent marqués par le vaste mouvement de solidarité qui s’est fait jour. Depuis ces habitants du quartier Saint-Hermentaire qui se sont constitués en collectif pour s’entraider dans les tâches de nettoiement et de réhabilitation, jusqu’aux travailleurs sociaux engagés dans le soutien aux sinistrés. « Il y a eu vraiment une vague de solidarité avec des personnes qui ont mis chez eux des chambres à disposition », se réjouit Sylviane Lagny. « Outre le soutien de l’armée, des pompiers et de nombreux bénévoles, ajoute Valérie Verhelst, nous avons même reçu des appels des communes touchées par Xynthia l’hiver dernier, qui nous ont proposé leur aide pour tout ce qui touche aux demandes d’aide financière auprès de l’Etat. »

Notes

(1) Dans l’ensemble du Var, 25 personnes ont trouvé la mort.

(2) Reportage réalisé les 5 et 6 juillet 2010.

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