La « charte déontologique type pour l’échange d’informations dans le cadre des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance » (CLSPD), rendue publique par le Comité interministériel de prévention de la délinquance au mois de juin (1), est loin de convaincre les professionnels. Annoncée en octobre dernier dans l’objectif de favoriser le partage des informations nominatives détenues par les travailleurs sociaux, elle a été approuvée par la commission « éthique et déontologie » du Conseil supérieur du travail social (CSTS).
Or la loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance n’a pas modifié le cadre légal du secret professionnel et instaure une « possibilité et non une obligation de partager des informations dans le cadre des CLSPD », relève le SNUAS-FP (Syndicat national unitaire des assistants sociaux de la fonction publique)-FSU. Par conséquent, estime-t-il, « nul besoin de l’avis d’un CSTS qui se discrédite ainsi et qui ne relève pas les contradictions contenues dans les textes législatifs de mars 2007 » promulgués le même jour, l’un portant sur la protection de l’enfance, l’autre sur la prévention de la délinquance. Pour l’organisation, « cette charte répond à une commande politique gouvernementale et installe toujours plus les travailleurs sociaux dans des injonctions professionnelles contradictoires, dictées par des politiques toujours plus sécuritaires. »
Moins sévère, l’ANAS (Association nationale des assistants de service social) n’en est pas moins critique. Sur la forme, elle relève que le CSTS n’a toujours pas été renouvelé depuis la fin de sa mandature, en juin 2009. Ce sont « quelques membres de la commission “éthique et déontologie” de la mandature précédente qui ont été consultés, sans que l’assemblée plénière soit convoquée ou consultée. On peut donc s’étonner que le gouvernement recoure à une instance dont il n’assure pas par ailleurs les moyens d’exister », souligne-t-elle.
Au-delà de ces réserves, l’association pointe les paradoxes de la charte et formule des préconisations pour aider les professionnels à prendre position. L’ANAS souligne que, si le CLSPD est une instance de lutte contre l’insécurité, la finalité de l’échange prévue par la charte est de signaler des situations de personnes en difficulté. Cette confusion des objectifs implique, selon elle, « une lecture biaisée des réalités sociales », qui ne « correspond pas à un constat, mais relève d’une lecture idéologique sécuritaire ».
Sur le fond, la charte contribue, selon l’ANAS, à « troubler les repères ». Si elle ne peut changer la législation sur le respect du secret professionnel, « c’est par des détours que l’on tente de créer une zone de confusion ». Ainsi, « être tenu au secret professionnel mais accepter de porter à la connaissance des autres membres du groupe les informations strictement nécessaires à leur intervention, est-ce vraiment compatible ? » Aussi juge-t-elle « imprécise » la notion d’« informations confidentielles » sur lesquelles, selon la charte, qui reprend les termes de la loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance, les échanges doivent porter au sein des CLSPD. L’ambiguïté est d’autant plus grande que le texte « place aussi le professionnel comme auto-décideur de ce qui est une information à caractère secret ou pas, omettant la loi et la jurisprudence en la matière ». En effet, précise l’association, « le législateur a suivi l’évolution jurisprudentielle qui considère comme secrets les “éléments de vie privée connus ou appris, mais également compris ou devinés à l’occasion de l’exercice de la profession” ». Soit la quasi-totalité des informations connues du professionnel.
Du coup, juge l’ANAS, « l’examen attentif du texte, parce qu’il ne peut se situer en dehors des références légales et déontologiques, vient rappeler que les professionnels soumis au secret n’ont pas à partager d’informations dans le cadre des CLSPD ». Selon elle, les informations confidentielles transmises dans ces instances doivent seulement concerner « des diagnostics de territoires, des propositions d’actions concertées ou des informations sur des actions à venir ». Leur confidentialité doit uniquement tenir « à leur caractère sensible et à la nécessaire discrétion favorisant la réussite de l’action ». D’ailleurs, indique-t-elle, l’article 1 de la loi sur la prévention de la délinquance, qui porte sur l’échange dans le cadre des CLSPD, ne fait pas référence aux informations nominatives. Dans les CLSPD, une autre catégorie d’informations pourrait concerner celles que des personnes non soumises au secret peuvent aborder, mais « cela engage leur responsabilité au regard de l’article 9 du code civil affirmant le droit à une vie privée ainsi que leur devoir de discrétion ».
Au final, l’Association nationale des assistants de service social invite les travailleurs sociaux à s’inscrire « dans d’autres types d’actions relevant pleinement de l’action sociale, plutôt que dans ces espaces que sont les CLSPD ». D’autant que les déclinaisons locales de la charte peuvent laisser craindre des dérives. S’il lui paraît pertinent, dans certains cas, « dans le cadre de diagnostics territoriaux ou d’échanges thématiques, que des travailleurs sociaux ou leurs encadrements participent ponctuellement à des réunions plénières ou en sous-groupes », c’est à condition de ne pas transmettre d’information à caractère secret, conformément à la définition jurisprudentielle. Il en va, insiste l’ANAS, de la confiance des publics à l’égard des travailleurs sociaux, donc de la continuité de la mission de ces derniers.