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Un levier pour l’emploi

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Créée en 2009 dans le Pas-de-Calais, la « mission insertion par l’emploi » aide les bénéficiaires du RSA à retrouver un poste. Mise en place par le conseil général, elle prospecte le marché du travail dans les différents territoires du département et développe son réseau de partenaires pour en faire bénéficier les publics en difficulté.

Dans son bureau, Sylvie Frayssinhes doit jongler avec les dossiers qui s’empilent, les piles de papiers d’où dépassent des CV, et avec les coups de fil à passer. Elle tapote sur son ordinateur portable tout en discutant avec l’animateur-correspondant avec lequel elle partage ce bureau au sein de la « maison du département solidarité » (MDS) de Calais. Elle attend Sandra, une jeune femme qui a dû quitter son poste de serveuse dans un restaurant parce que son patron n’appréciait pas son travail, et qui vient de trouver un emploi de femme de chambre à temps partiel. Un revers dont ne se satisfait pas Sylvie Frayssinhes : « Demain, je vais l’emmener dans un centre de formation à ­Boulogne-sur-Mer pour qu’elle puisse donner suite à une offre de contrat de professionnalisation en aide de cuisine pour un restaurant de Calais. »

Voici quelques mois, Sylvie Frayssinhes travaillait encore à la chambre des métiers de Calais. Aujourd’hui, elle fait partie de l’équipe de 12 ? conseillers spécialisés qui ont intégré la toute nouvelle « mission insertion par l’emploi » (1), créée en septembre 2009 par le conseil général du Pas-de-Calais. Avant la mise en œuvre du revenu de solidarité active (RSA), le département comptait près de 50 000allocataires du RMI, et cherchait un moyen de leur faciliter l’accès à l’emploi. Au terme d’une réflexion menée en 2008, le conseil général a constaté qu’il devait aller au-delà des dispositifs socioprofessionnels d’insertion et de remobilisation existants, destinés à préparer les personnes à retravailler. Il faut désormais permettre à celles-ci d’accéder véritablement à l’emploi. « A travers la création de cette mission, le but du département était d’assumer pleinement le rôle de chef de file qui lui a été conféré dans le domaine de l’insertion avec la loi sur le RSA, et notamment d’être présent sur le champ de l’insertion par l’emploi. La mission a donc pour objectif d’aller chercher le travail où il se trouve. Il s’agit également de développer la transversalité des politiques départementales et de les mobiliser en quelque sorte comme un levier d’emploi », explique Jérôme Pruvost, coordonnateur de la « mission insertion par l’emploi ».

Une équipe aux profils croisés

Les 12 conseillers rattachés à la mission dépendent des chefs de services locaux « allocation insertion » (2) travaillant au sein des MDS des 9 territoires du département (3). Ils sont issus, pour la plupart, du secteur de l’insertion par l’activité économique, de l’animation, de l’intérim spécialisé dans le handicap, de Pôle emploi ou encore de Cap emploi. Avant d’intégrer cette nouvelle structure départementale, ils ont déjà acquis une bonne expérience du monde de l’emploi, de l’insertion ou de la formation. Une complémentarité des profils qui, selon Jérôme Pruvost, représente un atout pour développer les réseaux et ouvrir des portes jusqu’ici fermées : « Nous avons, par exemple, un conseiller issu de la restauration qui nous permet de développer des contacts dans ce secteur assez difficile d’accès. Et sur un territoire comme la communauté d’agglomérations d’Hénin-Carvin, qui se veut un pôle d’excellence en logistique, il est également très important d’avoir des conseillers qui connaissent bien les contraintes de l’intérim. » Par leurs connaissances des réalités économiques de chaque territoire, les conseillers doivent en particulier être à même de prospecter le « marché caché » de l’emploi et d’établir progressivement une cartographie des besoins actuels et futurs des entreprises dans le département, pour aller décrocher les offres d’emploi non publiées.

N’étant pas perçu par les acteurs économiques comme un opérateur naturel du champ de l’emploi, le conseil général mise également sur sa nouvelle équipe d’insertion par l’emploi pour créer des liens avec l’ensemble des partenaires que sont les fédérations ou associations professionnelles, les entreprises, les chambres consulaires, ou encore les instances de développement économique. « A travers notre action de développement des réseaux et le discours que nous tenons auprès d’opérateurs tels que Pôle emploi, les missions locales, le plan local pour l’insertion et l’emploi ou la maison de l’emploi, nous contribuons à faire changer l’image du conseil général, en le positionnant aussi comme un acteur de l’insertion professionnelle », estime Michel Goliot, conseiller pour le territoire du Boulonnais.

La satisfaction des employeurs

Blouse blanche, protège-chaussures et charlotte sur la tête, Steeve Godin, âgé de 32 ans, travaille depuis quelques jours chez Idéal Croquembouche, une petite entreprise de Calais spécialisée dans la fabrication de pièces en nougatine pour les pâtissiers et les traiteurs. Après avoir travaillé dans le sud de la France comme steward sur des bateaux, ce titulaire d’un BEP en hôtellerie est revenu à Calais pour s’occuper de sa grand-mère malade. Bénéficiaire du RSA, il était au chômage depuis plus de un an lorsque Sylvie Frayssinhes lui a trouvé ce CDD de six mois renouvelable. « Ça a été très rapide. La conseillère m’a contacté le jeudi, et le lundi suivant je commençais à apprendre les processus de cuisson de la nougatine. Ça rejoint ce que j’ai fait lors de mes études, et c’est intéressant parce qu’on travaille avec une matière noble et qu’on la voit se transformer. » Sylvie Frayssinhes avait contacté cette jeune entreprise innovante, plusieurs fois récompensée lors de manifestations nationales et européennes, pour connaître ses besoins. Avant de proposer des candidats, elle avait pris le temps de visiter plusieurs fois l’entreprise. « La conseillère est venue voir comment on fonctionnait, ce qui a permis de gagner du temps, souligne avec satisfaction Lydie Christophe, qui dirige l’entreprise avec son mari. Par rapport à ce que peuvent proposer d’autres acteurs de l’emploi dans le département, les candidats présélectionnés par la mission correspondaient davantage à ce que nous recherchions, et je trouve qu’ils sont plus motivés. »

Les conseillers, qui accompagnent des allocataires du RSA déjà proches de l’emploi, travaillent en étroite collaboration avec les animateurs-correspondants des « maisons du département solidarité » de chaque territoire. Ces animateurs, en amont de l’action des conseillers, tentent de résoudre les difficultés de santé, de logement ou de mobilité qui rendent souvent impossible, du moins très difficile, l’accès direct à un emploi. Un important travail de remobilisation est en effet souvent nécessaire pour aider des personnes qui n’ont pas travaillé depuis de longs mois à reprendre confiance en elles. Certaines n’arrivent plus à sortir de leurs quartiers pour aller travailler ou débarquent sur le marché de l’emploi avec l’image de leurs parents eux-mêmes au chômage depuis longtemps. D’autres ne sont pas qualifiées ou, à l’inverse, sont titulaires de masters n’offrant aucune perspective de travail sur les bassins d’emploi des territoires… Toujours en amont, les animateurs-correspondants peuvent également mettre en place des mesures préparant à l’emploi, à l’instar des chantiers-écoles ou de la validation de projet pro­fessionnel. Le rôle de l’animateur est en outre essentiel dans le repérage et l’orientation des candidats potentiels vers les conseillers. « L’intérêt de cette coordination entre l’action des animateurs et celle des conseillers de la mission, c’est que nous avons une grande réactivité. Hier, lorsque j’ai reçu une dame qui avait une expérience dans l’animation, ça a fait tilt. Je me suis souvenu d’une offre qui correspondait à ce profil, et je l’ai immédiatement dirigée vers la conseillère », raconte Hervé Leplat, animateur-correspondant à la MDS de Calais.

Pour que ces personnes arrivent devant l’employeur dans les meilleures dispositions d’esprit, certains conseillers admettent volontiers qu’ils doivent faire du coaching personnalisé. « Il faut voir avec eux les fragilités qui subsistent pour présenter aux employeurs de véritables demandeurs d’emploi ayant des compétences particulières. On essaie de gommer les mots “bénéficiaire du RSA”, pour ne garder que ceux de “demandeur d’emploi” », note pour sa part Sylvie Frayssinhes. La création de la « mission insertion par l’emploi » vise ainsi à améliorer la cohérence et l’efficacité de l’action d’insertion menée par le département. L’équipe des conseillers constitue en effet le dernier maillon qui manquait au conseil général pour mettre en place un parcours complet d’accompagnement des allocataires du RSA. Le suivi peut désormais être réalisé de bout en bout par un seul et même acteur, à la satisfaction des usagers. « Ils se disent que la boucle est bouclée, parce qu’ils sont reconnus comme bénéficiaires du RSA par le département, et que c’est encore le conseil général qui va être à leur côté pour les aider à retrouver un emploi », observe Hervé Leplat.

L’intégration de ce dispositif d’insertion au sein des « maisons du département solidarité » offre surtout la possibilité aux conseillers de bénéficier des synergies départementales et de lever plus facilement des freins à l’emploi. Ainsi, il n’est pas rare que des conseillers sollicitent le conseil général pour débloquer une petite formation complémentaire pour un candidat magasinier-cariste, ou pour financer une journée de perfectionnement sur les normes d’hygiène alimentaire que doit respecter une personne s’apprêtant à signer un CDI dans un restaurant. Face aux employeurs, ces ressources mobilisables en interne sont un atout qui peut faire la différence, défend Jérôme Pruvost. « Si une personne n’a pas de moyens de locomotion pour aller à son travail ou si un manque d’argent empêche quelqu’un de démarrer un boulot, nous pouvons trouver rapidement des aides financières par le biais du conseil général. Ce serait plus long si nous devions faire appel à des interlocuteurs extérieurs. » Loin d’une culture du chiffre, l’équipe de la mission d’insertion dit surtout avoir les moyens de développer un suivi personnalisé de ses publics, augmentant du même coup leurs chances de retrouver un travail. « On définit le projet professionnel avec les personnes et on les accompagne dans toutes leurs démarches d’emploi, détaille Michel Goliot. On va prospecter les entreprises en fonction de leurs projets professionnels, et on est même avec elles lors des entretiens d’embauche. »

Des potentiels d’emploi locaux

En dehors de ce fameux « marché caché » du travail, la mission d’insertion explore d’autres réservoirs potentiels d’emplois, à commencer par les retombées liées à la contractualisation avec les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Par le biais de la participation du département aux investissements réalisés localement – par exemple, par une communauté de communes pour développer une zone d’activité, construire une salle intercommunale ou encore un complexe sportif polyvalent –, l’équipe des conseillers dispose d’un levier non négligeable pour capter une partie des emplois que génèrent de tels projets. La place croissante des EPCI dans l’action publique locale pousse d’ailleurs les conseillers à faire jouer la clause d’insertion sociale dans les marchés publics. « Dans le cadre de la maîtrise d’œuvre départementale, nous développons déjà la clause d’insertion sociale, qui veut que 5 % de la main-d’œuvre des entreprises obtenant des marchés publics soient consacrés à des publics en insertion. Avec les conseillers, nous voulons aller plus loin et étendre cette clause en dehors de nos propres marchés », insiste Jérôme Pruvost. Ainsi, à Frévent, le conseiller spécialisé chargé du territoire du Ternois travaille avec la ville pour que des personnes en insertion puissent être embauchées dans le cadre de la construction d’une station d’épuration. L’enjeu étant que « les personnes engagées par le biais de la clause d’insertion puissent rester par la suite dans l’entreprise », ajoute le coordonnateur de la mission.

Les conseillers peuvent aussi compter sur un autre vecteur d’emplois important : les grands projets programmés dans le Pas-de-Calais que sont le futur musée du Louvre-Lens, l’opération Grand Site, concernant la préservation et la valorisation du littoral entre Calais et Boulogne, et le gigantesque chantier du canal Seine-Nord (4). Qu’il s’agisse de l’activité liée à la construction de tramways à l’occasion de la création du musée du Louvre-Lens, des perspectives de recrutements pour l’aménagement des espaces verts, la réfection de bâtiments ou la sécurité pour l’opération Grand Site, ou encore des emplois dans la voirie et les travaux publics pour le canal Seine-Nord, les retombées pour le département devraient être très significatives. « Un marché comme le canal Seine-Nord devrait dégager des centaines, voire des milliers d’emplois dans le département, confirme Jérôme Pruvost. Au départ, la clause d’insertion n’avait pas été évoquée, et nous avons dû expliquer que, loin d’être une contrainte, cette clause serait un facteur de développement pour tous les territoires. » Des retombées qui ne sont pas pour tout de suite, mais qui mobilisent déjà depuis un certain temps les conseillers chargés des territoires concernés.

Une vision globale des territoires

Le travail de veille et de collecte d’informations réalisé par l’équipe au sein du tissu économique local est en effet indispensable pour pouvoir anticiper les besoins et mettre en place les formations nécessaires pour les bénéficiaires du RSA. Pour les appuyer dans cette tâche, les conseillers peuvent compter sur les responsables des services locaux « allocation insertion ». « Nous avons une vision globale de nos territoires, d’une part, à travers la contractualisation avec les collectivités locales et, d’autre part, par le biais des réunions auxquelles nous participons dans le cadre du service public de l’emploi, qui rassemble les autres partenaires présents sur le champ de l’emploi. Ces liens nous aident à connaître ce qui se passe sur le marché de l’emploi, les arrivées d’entreprises, les reprises d’activités prévues… », indique Maryse Masson, chef du service local « allocation insertion » à Calais.

Certains conseillers bénéficient en outre de l’arrivée sur leur territoire de nouvelles structures permettant d’améliorer le partage des informations et d’avoir une plus grande visibilité sur les évolutions économiques locales. Créée en mai dernier, la plate-forme emploi et mutations économiques du Boulonnais réunit ainsi l’ensemble des services locaux de l’emploi et favorise une véritable mutualisation des connaissances entre les conseillers. Pour Michel Goliot, cette plate-forme donne par ailleurs un poids accru à ce nouveau venu sur le champ de l’emploi qu’est la « mission insertion par l’emploi »: « Par notre participation à ce réseau, nous pouvons prospecter des grandes entreprises, par exemple dans l’agro-alimentaire, qui étaient auparavant un peu des chasses gardées. C’est une clé d’entrée. »

Dix mois après le lancement de la mission, les conseillers ont rencontré quelque 600 employeurs et permis à près de 130 personnes de retrouver un emploi, dont 23 en CDI. Des résultats, notent les responsables, qui doivent être considérés à l’aune de la jeunesse d’une structure en pleine construction, en phase d’investissement sur des projets futurs et encore engagée dans une série d’évolutions. Financée à 50 % par le Fonds social européen (FSE), la « mission insertion par l’emploi » veut s’inscrire au cours des mois à venir dans l’axe 4 du FSE, qui met l’accent sur les partenariats et la mise en réseaux pour améliorer son action d’insertion par l’emploi. Elle devrait enfin développer davantage les maillages entre les différents territoires, pour favoriser les échanges d’expériences et accroître les contacts entre les conseillers, qui disent parfois se sentir assez isolés…

Notes

(1) « Mission insertion par l’emploi »: Hôtel du département – Rue Ferdinand-Buisson – 62018 Arras – Tél. 0321216502 – pruvost.jerome@cg62.fr.

(2) Intégrés à chaque MDS, les services locaux « allocation insertion » (SLAI) s’occupent à la fois des allocations versées aux bénéficiaires du RSA et de leur insertion, cette dernière étant assurée tant sur le plan social (via les animateurs, qui vont régler les questions de santé, de logement, etc.) que sur celui de l’accompagnement vers l’emploi (notamment via les conseillers).

(3) Les territoires du Calaisis, du Boulonnais, de l’Audomarois, du Montreuillois, du Ternois, de l’Artois, de l’Arrageois, de la Communaupole de Lens-Liévin et d’Hénin-Carvin.

(4) Le canal Seine-Nord doit permettre de relier d’ici à 2016 le bassin fluvial de la Seine au reste du réseau européen, par le Nord-Pas-de-Calais.

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