Le départ inattendu de son président, Julien Damon, a précipité l’Observatoire national de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (ONPES) dans une période indéterminée de latence. Le 18 juin, l’universitaire, professeur associé à Sciences Po Paris, a créé la surprise en annonçant sa démission, qu’il justifie par plusieurs motifs. « Cela fait quatre mois que nous attendons la nomination des nouveaux membres de l’observatoire, explique-t-il. Les délais sont devenus trop courts pour réaliser quoi que ce soit cette année. » Outre ces lenteurs bureaucratiques, des « désaccords de fond » sont également apparus avec les membres du CNLE (Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale), notamment du secteur associatif, devant lesquels il a présenté, le 26 mai dernier, ses propositions pour la « reconfiguration » de l’observatoire.
Conformément à la mission que lui ont confiée au mois de février Benoist Apparu, secrétaire d’Etat au logement et à l’urbanisme, et Martin Hirsch, alors Haut Commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, Julien Damon avait rédigé une « note de projet » dans l’intention de la soumettre au débat. Il préconisait notamment que le rapport de l’observatoire soit transformé en une contribution au rapport annuel au Parlement sur la pauvreté. Une partie aurait relevé de la responsabilité de l’ONPES, dont la participation à ce document majeur de restitution sur l’atteinte des objectifs de lutte contre la pauvreté lui semblait nécessaire, l’autre de celle du gouvernement. Au CNLE, des échanges houleux, nourris d’incompréhensions mutuelles, ont fait surgir un casus belli sur le maintien de l’autonomie de l’observatoire. « Le rôle de l’ONPES, comme celui du CNLE, est d’avoir une expertise indépendante, explique Bernard Seillier, président du CNLE. Je ne vois pas comment fondre cette expertise dans un rapport du gouvernement. »
Parmi les autres sujets de controverse : la question des indicateurs de suivi de la pauvreté. Dans le souci de les rendre plus lisibles et plus compréhensibles, Julien Damon proposait de les compléter par l’évolution des conditions de vie « des 10 % les moins riches », ce qui est apparu comme trop réducteur. « Aucun indicateur ne saurait rendre compte entièrement de la pauvreté, qui comporte des éléments non quantifiables, commente Bernard Seillier. Il y a donc un risque à vouloir les simplifier davantage. Nous avions déjà eu, avec l’ONPES, la DREES et la DARES, un débat sur l’idée d’un “indicateur synthétique”, auquel je ne suis pas favorable. »
Quid des autres pistes envisagées pour les missions de l’observatoire, son périmètre de travail, son organisation et ses moyens ? L’attente de la nomination d’un nouveau président risque de laisser la réflexion au point mort. Dans une lettre adressée le 22 juin au ministre de la Jeunesse et des Solidarités actives, Marc-Philippe Daubresse, et à Benoist Apparu, les membres des collèges « personnalités qualifiées » et « universitaires » de l’observatoire plaident pour une reprise rapide de ses travaux. Leur apport, défendent-ils, est « indispensable pour orienter plus efficacement la lutte contre la pauvreté conjointement avec le CNLE ». Ce dernier attend également le renouvellement de ses membres depuis le mois de février. Pour les acteurs concernés, il est clair qu’une décision politique rapide conforterait la reconnaissance du rôle ces deux institutions dans la lutte contre la pauvreté.