Alors que l’échéance de la réforme du financement de la dépendance approche, les professionnels et les personnes concernées craignent de voir s’éloigner la promesse de la création d’un « cinquième risque » de protection sociale. Déjà, les pistes annoncées par le gouvernement, en juin 2008, n’avaient pas répondu à leurs attentes. Après que le rapport sénatorial rendu public le 8 juillet de la même année a renforcé leurs craintes, celui de la députée (UMP) de Meurthe-et-Moselle, Valérie Rosso-Debord (voir ce numéro, page7) sur le financement de la prise en charge des personnes âgées dépendantes enfonce le clou. Trois propositions sont particulièrement décriées : l’obligation de souscrire à une assurance individuelle contre la perte d’autonomie, la récupération sur le patrimoine des sommes versées au titre de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et le recentrage de celle-ci sur les personnes les plus dépendantes.
En confiant aux assurances la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées, la mission parlementaire « met fin au caractère universel de l’APA », commente Alain Villez. Le conseiller technique de l’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux) regrette que les propositions de l’association et du GR31 (1) pour une « nouvelle branche de la protection sociale destinée à financer une prestation unique et universelle de compensation pour l’autonomie ouverte à toute personne en situation de handicap, quel que soit l’âge », n’aient pas été entendues. Même déception au CNRPA (Comité national des retraités et personnes âgées), également attaché à la création d’un « droit universel » financé par la seule solidarité nationale.
Pour la Fnapaef (Fédération nationale des associations de personnes âgées et de leurs familles), qui appelle à une « concertation urgente » sur les propositions du rapport, une assurance universelle obligatoire est envisageable à condition qu’elle exclue « tout appel aux assurances privées » et respecte « les fondements de la sécurité sociale ». La réserve est également de mise à l’UNA (Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles). Le rapport ramène le sujet « à celui d’une assurance auto en le sortant des politiques publiques », s’inquiète Emmanuel Verny, son directeur général. « Les personnes doivent recevoir un droit en fonction de leurs besoins, pas de ce qu’ils vont payer. La redistributivité est un principe fondamental de notre modèle social », ajoute-t-il. Dans une récente note, l’Unccas (Union nationale des centres communaux d’action sociale) précise sa position sur le sujet. Si le recours aux assurances privées devait avoir lieu, comme l’avait d’ailleurs annoncé le gouvernement, « ce mode de financement devrait rester accessoire à un financement majoritairement public et se faire sous certaines conditions ». Les contrats devraient ainsi être « universels et donc facilement transférables en cas de changement d’entreprise, de chômage ou de départ en retraite afin de permettre la continuité de la couverture des personnes ». Ils devraient également être « solidaires », c’est-à-dire « collectifs ou mutualisés ». S’ils étaient obligatoires, ils devraient, selon l’Unccas, être « souscrits dès l’entrée dans la vie active », alors que, selon le rapport de Valérie Rosso-Debord, cette souscription n’interviendrait qu’à partir de 50 ans.
La reprise sur succession pour les bénéficiaires « les plus aisés » de l’APA, également envisagée par le gouvernement, mais à partir d’une valeur de patrimoine plus élevée (130 000 €, contre 100 000 € pour la mission parlementaire), est unanimement rejetée. L’Unccas s’y oppose au regard de l’expérience de l’ancienne prestation spécifique dépendance (PSD), « système basé sur la prise en compte du patrimoine, qui avait conduit à une diminution de la demande d’accompagnement de la part des personnes âgées ». Emmanuel Verny relève également le seuil « assez faible » préconisé. « Toute personne propriétaire de sa maison pourra être concernée, souligne-t-il. Le rapport précise en outre que le montant moyen annuel de l’APA est de 4 908 € et qu’il est versé pendant environ quatre ans. La reprise s’élevant jusqu’à 20 000 €, les bénéficiaires vont au final payer la totalité de leur allocation ! Nous ne sommes plus dans la solidarité nationale. »
Le recentrage de l’APA sur les personnes les plus dépendantes (GIR 1 à 3) comporterait aussi plusieurs travers. Outre qu’elle réduirait de fait le nombre de bénéficiaires, « cette préconisation oublie les maladies neurodégénératives, pointe Emmanuel Verny. Dans leur cas, les personnes savent faire mais ne font plus. » Sans compter qu’en l’absence de prise en charge, celles relevant du GIR 4 risqueraient de basculer plus rapidement dans la grande dépendance, d’autant que le outils de prévention restent insuffisant. Alors que l’UNA attendait des propositions « pour une vraie politique de prévention du vieillissement », le rapport n’a pas répondu, selon elle, à cette ambition, malgré « une excellente partie sur les constats ».
(1) Groupe des 31 organisations représentant les personnes âgées et les personnes handicapées ou intervenant auprès d’elles, membres du conseil de la CNSA.