Depuis le 27 juin 2002, les personnes sourdes ayant besoin d’une aide juridique passent à la permanence du 6, rue Drouot, dans le IXe arrondissement de Paris. Bâtiment D, au quatrième étage, le bureau d’Anne-Sarah Kurtado ne désemplit pas. L’accès au droit des sourds, c’est son combat depuis toujours. Le livre qu’elle a écrit témoigne de son parcours pour défendre bec et ongles son projet de permanence juridique, la seule en France, gratuite et ouverte cinq jours sur sept. « La justice est un monde très codifié, avec ses propres règles et un langage compliqué, souvent difficile à traduire précisément en langue des signes. Et encore, beaucoup de personnes reçues à la permanence ne maîtrisent pas bien cette langue, ni l’écrit ou la lecture d’ailleurs », explique-t-elle. A Anne-Sarah de trouver le moyen de se faire comprendre, mais aussi d’expliquer, de réexpliquer et de diriger. « Mon travail, c’est de leur donner des outils pour leur autonomie. » Les problèmes des personnes qui viennent la consulter sont nombreux et variés – procédures de divorce, dépôts de plainte, étrangers sans papiers, prud’hommes, discriminations… –, et parfois inattendus, comme cet homme venu la voir car il considérait que ses parents préféraient son frère entendant, ou cette dame se plaignant que deux personnes qu’elle avait invitées à dîner lui avaient posé un lapin ! « Quand ils estiment que quelque chose n’est pas juste, ils font appel à moi », résume la juriste.
Un livre captivant, qui donne à découvrir tous les aspects méconnus de la vie des malentendants. Encore plus surprenant quand on apprend que la juriste est elle-même atteinte de surdité – elle est appareillée – et malvoyante ! Dans Est-ce qu’on entend la mer à Paris ?, on rit (jaune) devant les absurdités de l’administration à la française qu’Anne-Sarah a dû surmonter pour ouvrir sa permanence. On compatit aussi lors de ses moments de doute, où elle en a « marre de ramasser la misère humaine pour la rejeter plus loin ». La plupart des sourds que la juriste rencontre sont en effet les moins favorisés socialement d’une communauté déjà marginale. Parfois, les réponses qu’elle leur apporte ne sont que des solutions de fortune…
Heureusement, au fil des ans, elle constate une évolution de la société, notamment grâce à Internet ou encore au décret du 20 août 2004 imposant aux tribunaux de faire appel à un interprète en langue des signes si nécessaire, obligation pour laquelle elle a longuement milité.