En quoi cet ouvrage se distingue-t-il du Nouveau dictionnaire critique d’action sociale (2) ?
Ce dernier procède d’une analyse critique, à dominante sociologique, des termes utilisés dans l’action sociale. Il a une vision « sur » le travail social. Nous, nous proposons un dictionnaire « en » travail social, en prise avec la réalité de ce champ ; son objet est d’aider les professionnels à s’approprier les notions qui façonnent leur action. Nous avons voulu d’abord stabiliser des concepts propres au travail social : beaucoup de termes sont largement utilisés mais jamais analysés, parce qu’ils sont considérés comme relevant de la seule
pratique. Nous retenons ainsi le « bureau » et les « véhicules de service », qui participent, à notre avis, à la structuration des pratiques. Par ailleurs, nous intégrons des notions plus transversales, qui témoignent de l’évolution de la société et sur lesquelles les professionnels ont des choses à dire. Par exemple les SDF : cette catégorie renvoie à une approche globalisante et misérabiliste des sans-abri ; elle nous semble peu opérationnelle pour le travail social, qui prend en charge des individus et suppose qu’ils peuvent évoluer. S’il est dans l’action, le travail social produit aussi des savoirs que nous voulons valoriser. C’est, à mon avis, une science, qui, comme les autres sciences, participe à la connaissance du monde.
Comment avez-vous travaillé ?
Ce dictionnaire est tourné vers la recherche de sens et, surtout, vers l’opérationnalité, qui est la finalité du travail social. Le professionnel doit y trouver matière à réflexion et à action. Les articles ont été rédigés par des acteurs du travail social qui possèdent une expertise sur le sujet traité issue de leur expérience professionnelle.
Vous critiquez notamment l’« autonomie » et la « confiance »…
Ce sont deux exemples de faux amis dans le travail social. L’autonomie des usagers est certainement la référence la plus utilisée. Or, présentée comme une promesse de liberté et de libre arbitre, elle constitue en fait un accompagnement vers la perte d’une toute-puissance du désir individuel. Les usagers n’ont d’autre choix que de se soumettre à la loi du groupe dans le cadre d’une socialisation. Plutôt que de se référer à une autonomie illusoire, pourquoi le travail social n’assumerait-il pas un projet visant une dépendance la plus heureuse possible ? De même, les professionnels en appellent en permanence à la « confiance » : confiance entre eux, avec les usagers…
Cette invocation impose à ces derniers de dire la vérité et de se conformer à la parole professionnelle. Or, ce qui compte, c’est la qualité du travail effectué, qui n’existe que lorsqu’elle est reconnue par l’usager. Des relations tendues, voire méfiantes, peuvent être davantage porteuses que des relations basées sur une confiance invoquée pour taire les différences.
Vous épinglez aussi le verbe « militer »…
Bon nombre de jeunes professionnels sont critiqués par des « anciens » sous prétexte qu’ils seraient devenus des techniciens qui auraient perdu leur âme de militants. Or la militance puise ses valeurs dans une éthique personnelle, alors que le professionnalisme trouve sa source dans une déontologie – des valeurs collectives – d’un corps de métier. Ce qui pose question puisque, sauf pour les assistants sociaux qui ont un code de déontologie – non reconnu officiellement –, celle-ci est largement absente dans le travail social.
Votre dictionnaire risque de vieillir très vite et devra être réactualisé…
Il faudra effectivement s’y atteler. Nous avons tenté de repérer les concepts pouvant structurer le champ mouvant du travail social et, dans cette cartographie, il y a forcément des oublis. Par ailleurs, les notions et les problématiques devront être adaptées en fonction de l’évolution de la professionnalisation et de la recherche en travail social.
(1) Qui a codirigé ce dictionnaire avec Laurent Ott, éducateur, formateur et chargé de recherche à l’EFPP (Ecole de formation psycho-pédagogique) – Ed. Dunod, 22 €.
(2) Dirigé par Jean-Yves Barreyre et Brigitte Bouquet, il a été réactualisé en 2006 – Voir ASH n° 2477 du 10-11-06, p. 50.