Crise grecque, raidissement allemand, fragilités espagnoles, menaces sur l’euro… Notre pays à son tour se voit sommé de mettre fin volens nolens à l’augmentation continue de son endettement public. Au-delà du respect des règles du pacte de stabilité européen, réaffirmées et durcies, il y va de fait de notre capacité à garder la maîtrise de notre destin. Ce n’est qu’en renouant avec une croissance forte, que n’obère pas le poids d’un déficit public record, que pourront être dégagées les marges de manœuvre indispensables pour préparer l’avenir. A défaut, nous ne lèguerons à nos enfants que nos dettes à régler à notre place.
L’ampleur de l’effort à consentir est à la hauteur des habitudes de facilité que nous avons prises au long des années, en finançant par l’emprunt nos politiques publiques : aujourd’hui, les recettes de l’Etat ne représentent que 55 % de ses dépenses ; la sécurité sociale n’a pu verser ses prestations de décembre 2009 qu’en empruntant la totalité des sommes nécessaires. Il ne faut pas se le dissimuler : entre baisse des dépenses et hausse des prélèvements, le besoin de redressement des comptes publics se chiffre à plusieurs dizaines de milliards d’euros.La réforme des retraites en cours n’est ainsi que le début d’une révision systématique des politiques publiques. Celle-ci ne portera pas seulement cette fois, comme la fameuse révision générale des politiques publiques (RGPP), sur le fonctionnement et l’organisation de l’Etat, mais aussi sur les dépenses d’intervention elles-mêmes. Le Premier ministre vient de l’annoncer dans sa traditionnelle lettre de cadrage en demandant aux ministres de programmer une baisse de 10 % de l’ensemble de leurs crédits d’ici à 2013. Mais ce n’est à l’évidence qu’une première étape dans un contexte où la hausse de prélèvements obligatoires, qui nous situent déjà au quatrième rang des pays de l’OCDE, ne peut jouer que de façon limitée et ciblée.
Seules des réformes structurelles majeures permettront des économies à hauteur des contraintes. Compte tenu de ce que représentent les dépenses sociales au sein des dépenses publiques – les seules prestations sociales en espèces, à quoi elles sont bien loin de se résumer, ont représenté l’an dernier 34 % des dépenses de toutes les administrations publiques –, il est clair que la réforme de l’Etat-providence va rapidement se trouver au cœur des problématiques de réduction de la dette. Dès lors qu’il va s’agir de changer l’échelle des économies à réaliser en repensant certaines politiques et en en remettant d’autres en cause, les conditions dans lesquelles ce débat s’engagera revêtent une importance cruciale au regard de la préservation de notre cohésion sociale. Car les choix qui devront être faits ne pourront l’être que dans la transparence de leurs conséquences sur les personnes autant, sinon plus, que sur les déficits.
Comme souvent dans notre pays, la tentation est d’ores et déjà forte d’un débat binaire : d’un côté, la mise en exergue à la fois du rôle protecteur de prestations élevées à même de soutenir le revenu et la consommation des ménages, et de la contribution à l’emploi des structures gestionnaires ; de l’autre, l’absence de « soutenabilité » de dépenses dont la dynamique doit être coûte que coûte maîtrisée à court et à long terme, peu importe la précarisation accrue que cela ne manquerait pas de provoquer dans l’immédiat si le retour de la croissance permet par la suite le retour au plein emploi.
Pourtant, des options plus ou moins solidaires peuvent être retenues pour le remodelage qui s’annonce des politiques sociales. Il est essentiel que les choix collectifs possibles soient présentés clairement à l’opinion publique et débattus de manière transparente en termes de priorités sociales à préserver comme au regard de la contribution attendue à la résorption des déficits. Mais il est impératif pour cela de disposer d’une vision cohérente de l’ensemble des politiques sociales, qui aujourd’hui fait défaut. La création successive de « Hauts Conseils » a marqué certes une amélioration notable dans l’analyse des problématiques de la retraite, de l’assurance maladie et des questions familiales. Mais les approches restent sectorielles et incomplètes : il est ainsi étonnant de constater qu’aucune structure de ce genre n’examine les perspectives et les scénarios d’évolution des politiques d’action sociale au sens large, dont les enjeux sont pourtant considérables.
Réformer l’Etat-providence ne peut se faire que dans la préservation intransigeante des principes de justice et de solidarité qui fondent notre pacte social, après examen ouvert des options envisageables au regard de leur incidence financière et de leur impact social. Il n’est ainsi que temps de créer un Haut Conseil de la réforme qui porte publiquement ce débat en associant acteurs du social et experts, et en dessinant les schémas d’évolution concevables.