C’est un sérieux coup de semonce, à la hauteur de la colère des acteurs du terrain. Les membres du Collectif des associations unies « pour une nouvelle politique publique du logement » viennent d’adresser au secrétaire d’Etat au logement et au Premier ministre un document dans lequel ils détaillent les « conditions de réussite » de la refondation du dispositif d’hébergement et d’accès au logement. Rappelant ainsi à l’Etat ses responsabilités « en tant que garant de la solidarité nationale », ils attendent une « réponse forte de la part du gouvernement », sous peine de voir ce dernier « porter la responsabilité de l’échec de la refondation dont on a défini collectivement les principes », précise Christophe Robert, délégué général adjoint de la Fondation Abbé-Pierre.
Le collectif est donc bien décidé, comme il l’avait annoncé après son rendez-vous avec Benoist Apparu, le 19 mai dernier (1), à entrer dans un rapport de forces. Car la mise en œuvre, selon les associations, laisse « entendre que l’ambition initiale a été perdue de vue », démentie « par une réalité administrative et financière qui contredit les promesses et étouffe la dynamique d’origine ». Lacunes, dysfonctionnements, manque de coordination, incohérences… « On est bien loin de répondre à l’objectif de faire en sorte que plus personne ne soit contraint de vivre à la rue », se désole Christophe Robert. Plus de 8 000 places ont dû encore être ouvertes cet hiver, avant d’être refermées les beaux jours revenus.
Les associations, qui font face à des réductions budgétaires les conduisant « à reconfigurer dans l’urgence » leurs activités, voire à envisager des licenciements, refusent une « réforme au rabais ». Elles demandent les moyens nécessaires à la réforme, soit « le maintien des budgets pour 2010 au minimum à hauteur des crédits consommés en 2009 » et des crédits pour le fonctionnement des nouveaux dispositifs, notamment la mise en œuvre du « service intégré de l’accueil et de l’orientation » (SIAO), qui souffre aussi d’un manque de coordination et de pilotage. Les instructions ministérielles vont pour l’heure à contresens de cette demande. La circulaire sur la mise en œuvre du SIAO préconise plutôt « un redéploiement de crédits ». « On ne peut pas non plus se satisfaire de la formule d’une circulaire envoyée aux préfets le 26 mai, indiquant que “la priorité ira à la réduction des places en hôtels et en hébergement d’urgence” », ajoute Hervé de Ruggiero, directeur général de la FNARS. D’autant que de nombreuses personnes prioritaires pour accéder à une place d’hébergement dans le cadre de la loi sur le droit au logement opposable (DALO) restent sans solution et que les effets de la crise ne cessent de gonfler les rangs des précaires.
Autre sujet d’inquiétude : la ligne dédiée à l’accompagnement social est pour l’heure insuffisante. Les associations demandent un budget fléché pour trois ans « à un niveau proportionnel aux logements mobilisés dans la période et aux besoins de chaque territoire ». Reste que, étranglés financièrement, les départements risquent d’être peu enclins à supporter une charge supplémentaire. « C’est à l’Etat de se débrouiller pour répartir les compétences, quitte à ajouter au pot », tranche Christophe Robert. Plus globalement, les associations préconisent d’associer les départements à la conduite de la refondation, au titre de leurs compétences en matière d’action sociale.
L’inconditionnalité de l’accueil est dans ce contexte de restriction générale gravement remise en cause. « On le constate pour les publics migrants, dénonce Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile. Cela se traduit par une non-prise en charge, un temps d’accueil plus court ou une judiciarisation de l’hébergement » quand les demandeurs d’asile font valoir leurs droits devant les tribunaux. Remédier à ces carences nécessite une adaptation qualitative et quantitative des dispositifs, notamment dans les endroits les plus tendus, et de construire des schémas territoriaux d’accueil, articulant les SIAO et les dispositifs dédiés aux populations migrantes, plaident les associations. Les besoins de tous les publics vulnérables – migrants, personnes en souffrance psychique, sortants de prison… – appellent en outre, selon elles, à un pilotage interministériel du chantier.
Le secteur associatif craint aussi que le principe du « logement d’abord » ne reste qu’un slogan. En 2010, plus de 10 000 ménages ont encore été expulsés avec le concours de la force publique. « Les associations ont demandé de suspendre les expulsions en dédommageant les propriétaires, on nous a opposé une fin de non-recevoir », déplore Christophe Robert. Obligatoires depuis le 1er mars 2010, les commissions de coordination des actions de prévention des expulsions ne sont en outre présentes que dans un tiers des départements. Et « parmi celles qui sont installées, certaines rencontrent déjà des difficultés de fonctionnement, prévisibles compte tenu des moyens insuffisants sont elles disposent ». Le collectif demande donc, en plus d’un « engagement fort dans le sens d’une prévention digne de ce nom », la création d’une offre diversifiée d’accompagnement des publics fragiles, notamment ceux en souffrance psychique sortant d’institutions.
Il réclame aussi des mesures pour favoriser l’offre de logements sociaux. Au-delà, il attend que « le chantier de la refondation soit publiquement replacé au rang de priorité nationale sous la responsabilité et la garantie du Premier ministre ». C’est-à-dire un signe fort de volonté politique.