Le 25 mai dernier, le Conseil d’Etat a condamné l’Etat à délivrer une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » et à verser 3 000 € d’indemnités à un travailleur agricole marocain, pour usage abusif du statut de travailleur saisonnier. La décision a été rendue publique le 9 juin par la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE).
Saisie du cas de ce salarié – et de 18 autres dans la même situation –, la HALDE l’avait en effet soutenu dans ses démarches après avoir conclu à l’existence d’une discrimination à son égard. En cause dans cette affaire : la pratique de plusieurs employeurs dans les Bouches-du-Rhône, validée par les services déconcentrés du travail, consistant à recruter des travailleurs agricoles marocains pendant de nombreuses années, souvent sur la même exploitation agricole, sous couvert de contrats de travailleur saisonnier systématiquement renouvelés et prolongés. Une pratique qui « empêche l’application aux salariés des dispositions relatives à l’emploi et à la protection sociale, en raison du statut dans lequel ils ont été “enfermés”, avec le concours de l’administration », avait dénoncé la Haute Autorité dans une délibération du 15 décembre 2008.
En l’espèce, le plaignant a été bénéficiaire, tous les ans entre 1982 et 2004, d’un contrat de travailleur saisonnier pour des périodes de six mois qui ont été portées, pour chaque contrat, à huit mois. Ce prolongement a été systématiquement accordé par l’administration alors que le code du travail ne le prévoit que de manière exceptionnelle, un contrat de saisonnier ne pouvant en principe excéder six mois. Ayant ainsi vécu en France les trois quarts de l’année tous les ans depuis plus de 20 ans, il a en conséquence réclamé une carte de séjour à la préfecture des Bouches-du-Rhône. Après avoir essuyé un refus, le requérant s’est alors tourné vers le tribunal administratif de Marseille. Lequel a annulé la décision du préfet… avant que la cour administrative d’appel ne tranche, de son côté, en faveur de ce dernier.
Mais au final, le Conseil d’Etat a donné raison au plaignant, ordonnant au préfet de lui délivrer une carte de séjour « vie privée et familiale », titre délivré de plein droit entre autres aux étrangers qui peuvent prouver qu’ils résident habituellement en France depuis plus de dix ans.
Les sages du Palais Royal ont justifié leur décision notamment par l’ancienneté de la présence de l’intéressé en France, « dont il n’a jamais été éloigné plus de quatre mois », le caractère systématique de l’allongement de la durée de son séjour à huit mois, la circonstance que l’étranger exerçait chaque année des activités qui n’étaient pas uniquement celles de production agricole prévues par ses contrats saisonniers ou bien encore le fait qu’il avait « ainsi fixé en France le centre de ses intérêts professionnels ».
Avec cette décision, le Conseil d’Etat met un terme à la possibilité de recruter des travailleurs saisonniers sur une longue durée avec un statut précaire.