Le Conseil constitutionnel a définitivement validé le dispositif « anti-arrêt Perruche » prévu par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Se prononçant sur une question prioritaire de constitutionnalité transmise par le Conseil d’Etat, il a décidé que l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles n’est pas contraire à la Constitution. Ce texte prévoit qu’un enfant né handicapé ne peut pas se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance et limite le préjudice indemnisable des parents en excluant les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap. Etant précisé que la compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale. Rappelons que cette législation a été introduite après que la Cour de cassation, dans un arrêt dit « Perruche » en 2000, a admis qu’un enfant né lourdement handicapé pouvait demander réparation du préjudice résultant de son handicap(1).
Pour le Conseil constitutionnel, la limitation du préjudice indemnisable décidée par le législateur ne revêt pas un caractère disproportionné au regard des buts poursuivis, à savoir : d’une part, répondre aux difficultés rencontrées par les professionnels et les établissements de santé pour souscrire une assurance dans des conditions économiques acceptables compte tenu du montant des dommages-intérêts alloués pour réparer intégralement les conséquences du handicap et, d’autre part, éviter les conséquences sur les dépenses d’assurance maladie de l’évolution du régime de responsabilité médicale, garantir l’équilibre financier et la bonne organisation du système de santé. De plus, cette limitation n’est contraire ni au principe de responsabilité, ni au principe d’égalité, ni à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit.
En revanche, et comme d’autres juridictions avant lui(2), le Conseil constitutionnel condamne l’application rétroactive du dispositif « anti-arrêt Perruche » aux instances en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi le 7 mars 2002. La loi « handicap » du 11 février 2005 a en effet rendu la loi de 2002 applicable à toutes les instances en cours à l’exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l’indemnisation. « Cette première exception pose à elle seule une difficulté, la jurisprudence du Conseil constitutionnel interdisant qu’il soit porté atteinte aux décisions passées en force de chose jugée. Or le terme “irrévocablement” est plus restrictif que ceux de “passés en force de chose jugée” »(3), expliquent les sages dans leur publication officielle de jurisprudence, Les cahiers du Conseil constitutionnel(4). « Par suite, la disposition critiquée [est] dans cette seule mesure contraire à l’article 16 de la déclaration de 1789 ». En outre, le Conseil constitutionnel a estimé que les motifs d’intérêt général poursuivis par le législateur ne pouvait justifier des modifications « aussi importantes » aux droits des personnes qui avaient, avant le 7 mars 2002, engagé une procédure en vue d’obtenir la réparation de leur préjudice. Cette mesure rétroactive est donc contraire à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a également profité de cette décision pour préciser que les motifs d’intérêt général poursuivis par le législateur auraient pu justifier que les règles posées par la loi du 4 mars 2002 soient rendues applicables aux instances à venir concernant des enfants nés avant le 7 mars 2002. « Le contrôle de la rétroactivité de la loi n’interdit pas que le législateur déroge aux règles de droit commun de l’application dans le temps des lois nouvelles en matière de responsabilité, et décide de rendre la loi nouvelle applicable aux situations juridiques nées antérieurement. Les motifs d’intérêt général poursuivis par le législateur eussent justifié une telle mesure »(5), souligne le Conseil constitutionnel, laissant entendre qu’une modification législative en ce sens ne serait pas déclarée contraire à la contraire à la Constitution. En l’état actuel de la législation, les enfants nés avant le 7 mars 2002 et leurs parents peuvent donc présenter une action en justice en vue d’obtenir la réparation intégrale de leurs préjudices. Ce qu’a confirmé en 2008 la Cour de cassation en décidant que le dispositif « anti-arrêt Perruche » ne s’applique pas aux enfants nés avant l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002(6).
(2) La Cour européenne des droits de l’Homme en 2005, puis la Cour de cassation et le Conseil d’Etat en 2006, ont condamné la rétroactivité du dispositif en jugeant qu’il ne s’appliquait pas aux actions judiciaires intentées avant l’entrée en vigueur de la loi de 2002 – Voir ASH n° 2425 du 14-10-05, p. 5, n° 2440 du 27-01-06, p. 9 et n° 2449 du 31-03-06, p. 14.
(3) Est irrévocable une décision dont les délais de recours ont été épuisés et qui n’est susceptible que d’un recours en révision, alors qu’a force de chose jugée une décision non susceptible de recours suspensif d’exécution, que ce soit une décision de première instance ou d’appel. Dans ce deuxième cas, la décision d’une juridiction qui a statué en dernier ressort présente, même si elle peut faire l’objet ou est effectivement l’objet d’un pourvoi en cassation, le caractère d’une décision passée en force de chose jugée.
(4) Les cahiers du Conseil constitutionnel – Cahier n° 29, p. 17 –
(5) Les cahiers du Conseil constitutionnel – Cahier n° 29, p. 17 –