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La réussite éducative gagne les quartiers

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Mal perçu lors de sa création, en 2005, le programme de réussite éducative s'installe dans le paysage des quartiers prioritaires. Les acteurs concernés y voient un levier efficace pour répondre aux besoins des enfants et de leurs familles à travers une intervention sociale pluridisciplinaire dans le cadre de parcours individualisés. Certains, toutefois, craignent de le voir se substituer aux politiques de droit commun.

« C'est un dispositif qui a trouvé sa place sur le territoire », constate Frédéric Bourthoumieu, président de l'ANARE (Association nationale des acteurs de la réussite éducative) (1). « Il produit du sens et permet de renforcer la transversalité avec des partenariats forts au bénéfice des enfants en difficulté », déclare Muriel Noirot-Bellot, ancienne chargée de mission au sein du centre de ressources sur la politique de la ville RésOVilles, à Nantes. « Il s'est imposé dans le paysage », poursuit Nourredine Boubaker, directeur régional adjoint de la jeunesse et des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) du Languedoc-Roussillon, chargé des relations avec l'ACSé (Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances) qui s'occupe de la mise en œuvre du dispositif depuis 2007. Après cinq ans d'existence, plus de 500 programmes de réussite éducative (PRE) ont essaimé en France – la plupart du temps dans les quartiers situés en zone urbaine sensible auxquels le dispositif s'adresse en priorité –, touchant plus de 360 000 bénéficiaires, dont un quart environ dans le cadre d'un parcours individualisé. Créé pour des enfants âgés de 2 à 16 ans, le dispositif mène des « actions d'accompagnement au profit des élèves du premier et du second degrés et de leurs familles, dans les domaines éducatif, périscolaire, culturel, social ou sanitaire », précise la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005 (2). Inspiré d'actions menées en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, son fonctionnement est détaillé dans le chapitre sur l'égalité des chances du plan de cohésion sociale (3). Premier objectif : « accompagner les enfants en fragilité » en tablant sur la « prévention précoce » afin de « faciliter leur insertion sociale, leur développement personnel et leur réussite scolaire ». Second objectif : « accompagner les collégiens en difficulté » en leur redonnant « un cadre et des repères » pour « leur ouvrir un avenir social et professionnel ».

En février dernier, et alors que le dispositif était arrivé à échéance en décembre 2009, la secrétaire d'Etat chargée de la politique de la ville, Fadela Amara, annonçait, lors des IVes rencontres nationales de la réussite éducative (4), qu'il serait prorogé pour trois ans. Si les professionnels du secteur social ou éducatif concernés s'en sont trouvés globalement rassurés, l'inquiétude demeure néanmoins dans la mesure où certaines préfectures n'ont, pour l'instant, reconduit le dispositif que pour 2010. « Nous sommes dans une année de transition, explique Serge Fraysse, directeur du service « éducation et santé » au sein du département « cohésion sociale et territoriale » de l'ACSé. Mais tout laisse à penser que ce programme, apprécié des élus locaux, continuera dans le cadre du futur contrat urbain de cohésion sociale. » « La crainte sur les financements est légitime et il faut rester vigilant. Je suis néanmoins optimiste car il existe une lisibilité – au moins pour 2010 et 2011 », affirme, pour sa part, Nourredine Boubaker.

En attendant d'y voir plus clair, les acteurs concernés ne comptent pas renoncer à la réflexion qu'ils ont entamée sur leurs pratiques. Cette dernière est en effet vite apparue nécessaire au regard des nombreuses critiques qui ont marqué les débuts du dispositif – et dont il continue à faire l'objet (voir encadré, page 29). « Il y a eu, au départ, une grande prudence des travailleurs sociaux », se souvient Sylvie Perles, coordinatrice du programme de Vaulx-en-Velin (Rhône). « Le dispositif a un peu tâ­tonné à ses débuts, il y a eu beaucoup d'improvisation », note également Nourredine Boubaker. Il avoue même que sa première réaction a été le « scepticisme » face à l'intitulé, « réussite éducative », qui « posait problème en raison de son caractère généraliste et polysémique » (5). Les conseils généraux craignaient également que l'Etat ne marche sur leurs plates-bandes. Quant aux acteurs de la politique de la ville, ils ont dû réviser leurs habitudes, le PRE introduisant une approche individualisée dans une politique jusque-là territoriale. Du côté des travailleurs sociaux, entre autres points d'achoppement, c'est la confidentialité des données qui a attisé les inquiétudes, donnant lieu, notamment au sein des premiers PRE, à un gros travail d'outillage éthique et méthodologique pour produire des chartes de déontologie susceptibles de rassurer l'ensemble des partenaires. Aujourd'hui, la plupart des programmes en sont dotés.

« Grâce au travail mené en commun et malgré le contexte politique et social qui existe sur ces questions, nous sommes sortis du fantasme initial qui voyait dans le PRE un outil de renforcement du contrôle social », assure Bertrand Gohier, coordonnateur du PRE de Rennes et vice-président de l'ANARE. Pour Frédéric Bourthoumieu, bon nombre de reproches sont d'ailleurs émis « par des gens qui n'ont pas été voir ce qui se fait vraiment sur le terrain ». Cinq ans après ses débuts, le dispositif n'en est plus à faire ses preuves, il les a faites, affirme le président de l'ANARE. « Au­jourd'hui nous éprouvons surtout le besoin de centrer nos analyses sur ses fondements et sur certaines démarches, comme l'accompagnement des familles ou l'individualisation », observe-t-il. Deux études nationales, menées sous l'égide de l'ACSé, sont d'ailleurs en cours de réalisation : l'une sur la place des familles et l'autre sur l'incidence du dispositif sur les pratiques professionnelles. Au plan local, le centre de ressources sur la politique de la ville Profession Banlieue, en Seine-Saint-Denis, vient également de terminer une enquête qualitative, avec le soutien de l'ACSé, sur les parcours personnalisés de réussite éducative dans le cadre d'une recherche-action avec les équipes concernées (6). Et, en 2009 – pour ne citer que cet exemple –, ce sont trois régions (Languedoc-Roussillon, Bretagne et Pays-de-la-Loire) qui ont organisé un atelier interrégional regroupant une trentaine de coordonnateurs de réussite éducative. « Il s'agissait d'aller vers davantage de qualité », explique Nourredine Boubaker, qui s'est fortement engagé dans la réflexion.

Comment expliquer cette propension du PRE à susciter échanges et analyses ? Outre le besoin de se doter d'un cadre pour répondre aux critiques que le PRE suscite, les acteurs de la réussite éducative, globalement enthousiastes vis-à-vis de ce dispositif, ont pris la mesure de son caractère novateur. Le fait que le pilotage opérationnel ainsi que la gestion des crédits soient portés par une structure juridique souple – GIP (groupement d'intérêt pu­blic), caisse des écoles, EPLE (établissement public local d'enseignement), centre communal d'action sociale… – confère au PRE une réactivité qui lui permet de s'adapter rapidement aux besoins des enfants et de leurs familles. « Il faut parfois attendre six mois pour un rendez-vous avec un orthophoniste dans un CMPP [centre médico-psycho-pédagogique] alors que le PRE a des vacataires qui peuvent intervenir très vite », note Bénédicte Madelin, directrice de Profession Banlieue.

Créé à l'initiative des chefs d'établissements scolaires, des communes et de leurs regroupements, des départements, des caisses d'allocations familiales et de l'Etat, le dispositif ne doit pas se plier à une organisation-type. Il « essaie de coller au plus près de la réalité du terrain », observe Valérie Lallour, assistante sociale référente de parcours à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Cette importante marge de manœuvre a permis aux équipes de faire preuve d'inventivité. Comme à Courcouronnes (Essonne), où le dispositif, porté par le GIP Centre Essonne, a été à l'initiative d'un « bus des parents » qui stationne plusieurs fois par semaine devant les groupes scolaires du quartier du Canal pour accompagner les familles dans leur rôle éducatif.

En outre, l'imprécision relative aux activités susceptibles d'être mises en place – le plan de cohésion sociale indique seulement qu'elles mêlent « soutien scolaire, écoute de l'enfant et activités récréatives » – renforce la latitude d'intervention des pro­fessionnels. Bien qu'une part importante – mais néanmoins en baisse – des actions proposées demeure orientée vers le soutien scolaire, « notre but premier n'est pas la réussite scolaire mais la réussite éducative au sens large, ce qui implique un travail autour du bien-être de l'enfant », précise Valérie Lallour. « Cela permet d'aborder une série de champs qui visent tant l'épanouissement culturel de l'enfant que son ouverture sociale, le soutien à la santé, sa scolarité… », poursuit Bertrand Gohier, de Rennes. Et ce, dès 2 ans, « ce qui offre la pos­sibilité de faire de la prévention précoce », insiste Serge Fraysse, de l'ACSé.

Prise en charge globale et « cousue main »

Cette approche transversale articule plusieurs types d'interventions dans une logique de prise en charge globale sans saucissonner l'enfant et sa famille. Elle repose sur une autre particularité du dispositif : la pluridisciplinarité des professionnels impliqués. Concrètement, le programme prévoit la création d'équipes de réussite éducative – ou équipes pluridisciplinaires de soutien – qui « mobilisent, autour de l'enfant et des parents, tous les professionnels de la petite enfance : enseignants, éducateurs, animateurs, travailleurs sociaux, psychologues, pédopsychiatres et rééducateurs (kinésithérapeutes, orthophonistes) ». Ces équipes, dont les membres qui continuent d'être rattachés à leur institution employeur, sont amenées à se rencontrer régulièrement pour débattre, sous la houlette du personnel du PRE (coordonnateur et référents de parcours notamment, voir encadré, page 30), des situations particulières rencontrées. « C'est un dispositif très structurant dans le sens où il oblige à formaliser un partenariat entre des professionnels d'horizons différents, qui échappent ainsi aux contingences institutionnelles pour réfléchir ensemble à des cas concrets », explique Nourredine Boubaker, qui y voit la préfiguration de « nouvelles professionnalités ».

Le dispositif a ainsi vocation à faire du « cousu main », comme l'indique Florence Langrade, coordinatrice du programme de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Pour y parvenir, les professionnels mettent en œuvre des parcours individualisés – outil central du dispositif – dont l'objectif est de proposer la prise en charge la plus adaptée aux besoins de l'enfant. « C'est un système souple dans lequel les interventions peuvent prendre toutes les formes possibles, au cas par cas », explique Florence Langrade. « Nous avons le temps d'étudier un cas particulier, de rencontrer les familles, de les accompagner dans leurs démarches, ce que ne peut plus faire la polyvalence de secteur qui est débordée », note Valérie Lallour. Et de raconter, à titre d'exemple, son intervention auprès d'une famille en errance orientée par le 115 dans un hôtel situé à une heure de l'école : « Il a fallu demander au directeur d'école de faire preuve de souplesse avec elle, le temps de trouver un autre logement plus près de l'institution scolaire », ajoute la référente de parcours d'Aubervilliers.

« Ce regard croisé permet de réactiver les leviers du droit commun », se félicite Sylvie Perles, de Vaulx-en-Velin. Polyvalence de secteur, CMPP, associations de prévention spécialisée, associations d'éducation populaire, clubs sportifs… sont sollicités pour répondre aux problématiques de l'enfant. A Rennes, par exemple, le programme, très attentif à assurer une continuité éducative pendant les vacances scolaires, a établi des partenariats avec les associations organisatrices de centres de vacances pour que les enfants puissent quitter leur quartier durant l'été.

Lorsque l'orientation vers les services de droit commun n'est pas possible ou ne suffit pas, le PRE met en place, dans le cadre des parcours individualisés, des actions qui lui sont propres. Ici, un enfant ayant des problèmes de comportement a pu bénéficier de la présence d'un animateur supplémentaire sur le temps de la restauration scolaire, en lien avec le service éducation de la ville. Là, ce sont des collégiens exclus temporairement de leur établissement qui ont été pris en charge, en accord avec les familles, par le service jeunesse de la ville. Ailleurs, le dispositif a servi à acheter une paire de lunettes ou une prothèse auditive. Autre exemple : à Clichy-sous-Bois, le programme offre la possibilité d'une co-intervention (assistante sociale et éducateur spécialisé) qui vise, de façon préventive, à désamorcer certaines difficultés éducatives qui pourraient, à terme, se dégrader et alourdir le travail de l'aide sociale à l'enfance.

L'individualisation des parcours en question(s)

A côté des parcours individualisés, subsistent toutefois de nombreuses actions collectives – conformément, d'ailleurs, au plan de cohésion sociale qui prévoyait un « accompagnement collectif ou individuel des enfants et de leur famille ». C'est le cas à Clichy-sous-Bois où un accueil (trois heures par jour) est proposé à certains enfants durant la moitié des vacances scolaires pendant que d'autres sont orientés vers un atelier-théâtre organisé par le PRE. Mais ce type d'action n'a pas les faveurs de l'Acsé qui insiste sur la nécessité de rééquilibrer les financements au profit des parcours individualisés. « Il va falloir toiletter un peu le PRE – en tout cas, être vigilant sur la nature des actions financées », précise, à ce propos, Nourredine Boubaker, représentant de l'ACSé en Languedoc-Roussillon.

Sur le terrain, pourtant, les professionnels font montre d'une certaine ambivalence face au tout-individuel. Nombre d'entre eux redoutent que les parcours individualisés ne conduisent à nier les causes sociales des difficultés des familles et, ce faisant, à faire peser sur elles l'entière responsabilité de leurs problématiques. Ce que confirme paradoxalement Nourredine Boubaker : « Repérer les enfants fragiles, leur proposer ainsi qu'à leur famille un soutien individualisé susceptible de concerner d'autres domaines que le scolaire tels que la santé, le socio-médical voire les problèmes psychologiques, n'est-ce pas une façon de “psychologiser” les problèmes sociaux, d'occulter des éléments essentiels de contexte comme l'absence de mixité sociale, la dégradation avérée de certains quartiers et des conditions de vie des habitants ? […] N'y a-t-il pas, enfin, un risque de sur-désigner les familles, de les accabler un peu plus encore ? » (7).

« Ce ne sont pas des questions qu'on ignore », avance Frédéric Bourthoumieu. Conscient des difficultés posées par les ­parcours individualisés, le président de l'ANARE préfère d'ailleurs évoquer l'« accompagnement personnalisé »: « On a beaucoup parlé d'individualisation au début du dispositif, analyse-t-il. Depuis, les choses ont évolué, notamment grâce aux acteurs de terrain. A côté des actions individuelles (par exemple en ce qui concerne la santé ou le soutien psychologique), les PRE n'ont jamais mis de côté l'accès aux loisirs ou à la culture, qui renvoient surtout au collectif. » De fait, pour la plupart des professionnels, actions collectives et individuelles ne s'opposent pas. « Le collectif, ça marche pour 80 % des enfants, note Florence Langrade. Mais, pour ceux qui sont les plus en difficulté, l'approche individuelle permet d'aller plus loin, plus vite, en prenant le temps et ce en relation avec les familles. » « Notre objectif, dans le cadre du PRE, est bien de travailler sur l'individuel pour accéder au collectif », observe, quant à elle, Sylvie Perles.

Reste que la question de la stigmatisation des publics est difficile à évacuer dès lors qu'il s'agit de « repérer » les enfants éligibles au dispositif. Certains programmes ont développé des critères stricts, avec un risque d'étiquetage des familles. D'autres ont choisi de créer des espaces de concertation regroupant plusieurs professionnels en accord avec les familles concernées. Comme à Vaulx-en-Velin où l'équipe pluridisciplinaire de soutien – nommée « comité opérationnel » et comprenant des représentants de l'Education nationale (principaux de collège, inspecteurs de l'Education nationale, coordinatrice des assistants sociaux scolaires), de la CAF, des centres médico-psychologiques, de la protection judiciaire de la jeunesse, du CCAS, de la prévention spécialisée et du conseil général – réfléchit au cas par cas pour savoir si l'enfant relève du PRE ou du droit commun. Dans 70 % des cas, néanmoins, le repérage a lieu par le biais de l'institution scolaire. C'est le cas à Aubervilliers où le programme a mis en place un protocole de travail avec l'Education nationale : « Les équipes enseignantes qui repèrent des signes de fragilité chez un enfant l'orientent d'abord vers des dispositifs internes à l'Education nationale, type RASED [réseau d'aides spécialisées aux élèves en difficulté], explique Valérie Lallour. Si elles sentent que cela ne suffit pas, elles demandent à la famille son accord pour que nous intervenions. » Outre l'assentiment des parents, les précautions visant à éviter la stigmatisation passent aussi par le vocabulaire et les expressions utilisés : « On ne parle pas de “repérage” mais d'“identification” », précise Florence Langrade de Clichy-sous-Bois. « Il y a repérage des difficultés, pas des enfants », ajoute Serge Fraysse de l'ACSé.

Autre question qui fait débat : la contractualisation avec les familles préconisée par le plan de cohésion sociale. Ses détracteurs affirment que c'est un autre moyen de faire porter la responsabilité d'un éventuel échec du dispositif sur les familles en lieu et place des professionnels. Frédéric Bourthoumieu estime, pour sa part, que la signature d'un contrat avec les parents n'est « pas indispensable ». Selon lui, beaucoup de coordonnateurs s'en passent d'ailleurs fort bien sur le terrain – ce qui ne les empêche pas de rechercher activement l'adhésion des familles.

« A l'encontre de l'ambiance générale de stigmatisation, nous sommes du côté de la valorisation des ressources et du soutien aux compétences familiales ; il est hors de question de disqualifier les familles », revendique Bertrand Gohier. Dans cette perspective, le PRE de Rennes propose à des collectifs de parents des échanges avec des spécialistes sur les questions éducatives encadrés par des animateurs. De fait, le soutien à l'exercice parental est un axe fort du PRE. « Alors que les institutions ne facilitent pas toujours cette place, il s'agit que les familles soient de véritables actrices du projet », note Frédéric Bourthoumieu. « Notre objectif consiste à travailler avec les familles, pas sans elles, poursuit Bertrand Gohier. Nous visons leur autonomie, cela n'a rien à voir avec l'assistanat. »

Il reste cependant difficile de mesurer les effets réels du dispositif. Non seulement l'épanouissement de l'enfant est une notion particulièrement ardue à estimer. Mais les évaluations – pourtant très nombreuses, tant au niveau local que national – soulignent toutes combien il est hasardeux d'apprécier l'impact du programme sur les bénéficiaires, au regard de la multiplicité des dispositifs qui s'adressent au même public. Concernant le champ scolaire, l'ACSé note toutefois que le PRE « est jugé particulièrement efficace pour une meilleure intégration scolaire, un plus grand investissement et une plus grande aisance en classe, une remotivation et une plus grande envie d'apprendre, des progrès en matière de comportement et d'épanouissement à l'école, une plus grande autonomie dans le travail » (8). Et, à Rennes, une étude qualitative montre, de façon plus générale, que le programme a des effets en termes de réassurance et de reconstruction de l'estime de soi des enfants (9).

Malgré ces motifs de satis­faction, certains acteurs soulignent le risque de voir le PRE se substituer aux politiques publiques de droit commun – notamment en aspirant les financements, déjà limités, d'autres secteurs, laissant ainsi de nouveaux publics sur le carreau. « Le dispositif doit rester un simple coup de pouce qui ne doit pas disqualifier le droit commun, car il apporte un nombre limité de réponses et n'est pas adapté aux cas les plus lourds », avance Bénédicte Madelin, de Profession Banlieue. « Il n'a ni la vocation, ni les moyens de remplacer les politiques de droit commun », rétorque Serge Fraysse, qui rappelle qu'il ne s'adresse qu'aux quartiers de la politique de la ville. « Nous veillons à ne pas empiéter sur les autres dispositifs en nous inscrivant en complémentarité et en renfort des ressources éducatives d'un territoire, car la réussite du dispositif tient justement à l'existence d'une politique structurelle et d'un droit commun forts », assure également Bertrand Gohier. Plus radical, le comité de suivi du plan de cohésion sociale suggère même, dans la conclusion de ses observations sur le programme de réussite éducative publiées en avril 2009 (10), que le PRE, loin de disqualifier le droit commun, pourrait au contraire servir de levier pour renouveler les pratiques du travail social. « Ce dispositif est porteur d'innovation sociale et, à ce titre, les acteurs sociaux et éducatifs sont invités à s'en inspirer librement », renchérit Serge Fraysse.

UN DISPOSITIF CRITIQUÉ

Un certain nombre de critiques portent sur les présupposés idéologiques du programme de réussite éducative (PRE). Pour Laurent Ott, philosophe et formateur en travail social (11), le dispositif renforcerait la « logique qui consiste à renvoyer hors de l'école les problématiques sociales, psycho-affectives et culturelles ». Il faciliterait notamment l'expulsion des collégiens du fait de l'« illusion de prise en charge » à l'extérieur de l'école. En outre, le dispositif participe, selon lui, « à faire de la réussite scolaire le centre de la vie de l'enfant ». Il reconnaît toutefois la possibilité d'utiliser ce dispositif de façon plus ouverte en le tirant d'une part « vers le soutien éducatif et pas seulement le soutien à l'école » et, d'autre part, vers un accueil plus collectif. Partageant une position proche, les CEMEA (Centres d'entraînement aux méthodes d'éducation active) ne s'investissent dans une action de réussite éducative que dans la mesure où elle est collective et laisse une véritable place aux familles. « Nous refusons d'y participer lorsque le programme s'applique au pied de la lettre, à savoir comme un dispositif supplémentaire de désignation et de signalement qui contribue à reproduire l'école en dehors de l'école », explique François Chobeaux, responsable des secteurs social et jeunesse des CEMEA.

UN CATALYSEUR DE NOUVELLES FONCTIONS ?

Le programme de réussite éducative (PRE) s'est accompagné de la création de deux nouvelles fonctions : celle de coordonnateur de PRE, qui s'occupe de la gestion des crédits alloués et assure le dialogue avec les partenaires : directeurs d'école, assistants de service social, psychologues… Maître d'œuvre du dispositif, sa formation d'origine varie beaucoup : il vient aussi bien de l'enseignement que du travail social ou de l'animation (bac + 3 ou 4). Quant au « référent de parcours », il est chargé de l'accompagnement des actions préconisées par l'équipe pluridisciplinaire de soutien dans le cadre des parcours individualisés. Comme le coordonnateur, il est en général recruté parmi les professions du travail social (assistant de service social, éducateur, moniteur-éducateur…), de l'animation et de l'enseignement. Bien que les statuts des professionnels qui les occupent soient souvent précaires, ces deux fonctions (qui regroupent environ 1300 professionnels au niveau national) sont de plus en plus affirmées – à tel point que des organismes de formation, comme le Collège coopératif Rhône-Alpes et l'Institut régional du travail social de Bretagne, ont créé des formations spécifiques. D'autres professionnels complètent les équipes du PRE en fonction des problématiques locales : psychologue, éducateur, animateur, nutritionniste, médiateur, enseignant FLE (français langue étrangère)…

UN FINANCEMENT IMPORTANT

Le programme de réussite éducative (PRE) bénéficie d'un budget important, qui tourne autour de 90 millions d'euros par an. En 2005, la loi de cohésion sociale engageait l'Etat à financer, pendant cinq ans, les PRE à hauteur de 100 % si besoin. Aujourd'hui, preuve de la reconnaissance du dispositif sur le terrain, la contribution des institutions partenaires (communes, Education nationale, CAF, conseils généraux, prévention spécialisée, direction départementale de la cohésion sociale, PJJ…) augmente – un mouvement salué par l'ACSé qui voudrait l'accentuer encore. Petit bémol : ce sont les villes qui se sont engagées les premières dans le dispositif qui sont aujourd'hui les mieux dotées aux dépens de celles qui l'ont adopté plus tardivement. Une inégalité de traitement qui va faire l'objet d'une remise à plat des financements « pour une répartition plus équitable » des crédits, explique Nourredine Boubaker, directeur régional adjoint de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale du Languedoc-Roussillon.

Notes

(1) Créée en 2008 pour débattre des questions relatives aux programmes de réussite éducative, l'ANARE s'intéresse aujourd'hui aux problématiques socio-éducative, au sens large – www.anare.fr.

(2) Voir ASH n° 2395 du 18-02-05, p. 21.

(3) Voir ASH n° 2366 du 2-07-04, p. 19.

(4) Organisées à Rennes et intitulées « La réussite éducative, des acquis pour demain : les effets des parcours personnalisés ».

(5) « Les programmes de réussite éducative » – Recherche-action interrégionale Languedoc-Roussillon/Bretagne/Pays-de-la-Loire – Les rendez-vous de RésOVilles – Février 2010.

(6) Recherche-action sur les parcours de réussite éducative dans sept villes de Seine-Saint-Denis – Fabienne Messica – Avril 2010 – Profession Banlieue : 15, rue Catulienne – 93200 Saint-Denis – Tél. 01 48 09 26 36. Le centre de ressources a déjà publié, en décembre 2007, La réussite éducative en Seine-Saint-Denis, nouvelles pratiques professionnelles de Stéphanie Morel.

(7) « Les programmes de réussite éducative », Les rendez-vous de RésOVilles, février 2010.

(8) Source : Rapport Réussite éducative – ACSé, direction éducation santé – Septembre 2009.

(9) Evaluation du programme de réussite éducative de Rennes, décembre 2009, en ligne sur le site de l'ANARE.

(10) En ligne sur www.association-ozp.net/spip.php?article6691.

(11) Et auteur d'un article intitulé « La face obscure de la réussite éducative » – Journal du droit des jeunes n° 273 – Mars 2008.

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