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Dialogue imaginaire

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Rebondissant sur l’actualité des écoles de travail social, Jacky Besson, directeur du Centre de formation de l’Essonne, propose ici un dialogue fictif entre deux jurés d’examen du diplôme d’AMP. Sous les auspices de Kafka et Ubu.

« La Nouvelle (N) : Bonjour, je suis psychologue vacataire dans un institut médico-éducatif et membre de ce jury du diplôme d’Etat d’aide médico-psychologique (AMP) pour la première fois.

L’Ancien (A) : Bonjour, je suis formateur dans un centre de formation de travailleurs sociaux et ne sais plus combien de fois j’ai été membre d’un jury. Aussi, si je puis vous aider, n’hésitez pas.

N :Quels sont les critères à respecter pour évaluer les prestations des candidats ?

A : Connaissez-vous le métier d’AMP ?

N :Un peu ; je crois qu’il s’agit de professionnels qui s’emploient surtout à accompagner les résidents dans les actes de la vie quotidienne et qui parfois peuvent être sollicités pour organiser des activités éducatives.

A : Oui, c’est à peu près cela. D’aucuns considèrent d’ailleurs que cette profession se situerait plutôt au niveau du sous-prolétariat des métiers relevant du secteur médico-social. La modicité du salaire des AMP et la pénibilité de leur travail conduisent souvent – en espérant qu’il ne s’agit pas de paternalisme – les équipes de direction à rendre hommage à leurs qualités professionnelles.

N : Alors, selon vous, sur quels critères doit-on apprécier les performances des candidats, d’autant que ce diplôme est de niveau V et que le niveau VI témoigne seulement d’une maîtrise approximative de la langue française ?

A : Voilà où les complications commencent. Avant la dernière réforme, les questions invitaient les jurys à tenter d’évaluer le positionnement professionnel du candidat. Il s’agissait, le plus souvent, d’interrogations traitant des mesures d’accompagnement à mettre en œuvre, compte tenu de la spécificité de la fonction d’AMP. De plus, le candidat devait obtenir la moyenne, toutes disciplines confondues, un peu comme au baccalauréat, et ne pas avoir de notes éliminatoires. Aujourd’hui, par chance, l’Etat a identifié ou a minima validé, pour tous les métiers relevant du secteur social, les compétences attendues de chaque professionnel. Vous rendez-vous compte du progrès ? Aussi sommes-nous enfin renseignés.

N : Ne serait-ce pas un peu ironique ?

A : Si, bien évidemment. Nous, jury, sommes chargé de nous assurer que les candidats ont bien acquis ces compétences préalablement déterminées. Lesquelles ont été déclinées en domaines de connaissances, la moyenne devant être obtenue dans chacun d’entre eux.

N : Cette réforme a-t-elle eu des effets sur les résultats observés ?

A :Oui, très nettement, à quelques exceptions près pour certaines professions. Les échecs sont beaucoup plus nombreux, même si c’était un peu moins vrai l’an passé.

N : Je me suis procuré les sujets de ces dernières années. J’ai trouvé certaines questions vraiment très pointues, imposant très souvent des réponses à caractère nosographique. En lisant certains sujets, j’ai cru un instant qu’il s’agissait du diplôme d’éducateur spécialisé. Ne serait-il pas plus judicieux de formuler des questions beaucoup plus en rapport avec l’exercice de la profession ? Depuis l’instauration de la VAE, la pratique professionnelle n’a jamais été autant valorisée dans le processus d’obtention d’un diplôme et, a contrario, la théorie autant minorée. Aussi, pourquoi ici serait-elle plus ou moins subrepticement appelée à sélectionner ? S’agirait-il de dissuader de suivre une formation ? Sauf erreur, ce sont bien les centres de formation qui proposent les sujets… Voudriez-vous mettre sur le marché des professionnels à deux niveaux : les nantis au plan de la formation théorique et les autres ?

A : Ne serait-ce pas un peu ironique ? Je ne crois pas qu’il y ait une volonté délibérée de la part de qui que ce soit de « durcir les épreuves » mais, à partir du moment où vous classifiez et compartimentez les connaissances, vous invitez chacun à se référer non pas à l’exercice du métier, mais au référentiel spécifique au domaine de connaissances concerné. De fait, sans même y prendre garde, cette logique conduit à « scolariser » l’énoncé des questions.

Par exemple, vous avez un domaine de compétences qui s’intitule « Connaissance de la personne ». 105 heures au programme. Déjà, vous imaginez ! On vous demande en votre qualité de centre de formation de proposer des questions. Tout naturellement, vous allez demander, par exemple, quels sont les stades du développement de l’enfant. Et, tout aussi naturellement, en votre qualité de membre d’un jury, vous allez noter plus ou moins généreusement le rapport existant entre la réponse du candidat et celle que vous, psychologue, souhaitez, sans toutefois ignorer le modèle proposé. Vous verrez, durant la réunion du jury plénier, qu’il existe une grande diversité dans le positionnement des collègues.

Vous avez, me semble-t-il, deux positions extrêmes, avec, bien évidemment, un grand nombre de positions intermédiaires. L’un des extrêmes est occupé par les jurés qui s’emploient à faire en sorte que le candidat ait au maximum la possibilité de faire état de ce qu’il sait. L’autre est occupé par les jurés qui s’en tiennent strictement à la question et au modèle de réponse, trouvant même parfois que ce modèle est vraiment d’une trop grande généralité, pour ne pas dire générosité.

Les premiers ont, bien évidemment, tendance à évaluer positivement les prestations des candidats et les deuxièmes, beaucoup plus sévèrement. Ce qui fait qu’au final, les candidats n’auront pas passé le même examen, qui pourtant débouche sur un même diplôme. Il est des fois où c’est caricatural, quand vous observez que les notes inférieures à la moyenne ont massivement été décernées par les mêmes jurés. Et jusqu’à présent les dispositions prises ne permettent pas, ou si peu, de corriger cet arbitraire. D’ailleurs, vous verrez, « les sévères » ont le plus souvent beaucoup d’assurance ; « les généreux » beaucoup de doutes.

N : Que se passe-t-il pour les candidats qui échouent ?

A : Les candidats qui n’effectuent pas leur formation en cours d’emploi devront essayer de trouver un emploi, ce qui sera plus difficile que s’ils étaient diplômés mais moins difficile que s’ils n’avaient pas suivi de formation du tout. Quant aux candidats déjà en poste, ils continueront tout simplement à exercer leur métier mais, n’étant pas diplômés, ils auront un salaire inférieur à celui de leurs collègues. Ils devront se présenter à nouveau à l’épreuve où ils ont échoué ou, à défaut, choisir la VAE.

N : A vous entendre, la réussite au diplôme n’influe que sur le montant du salaire…

A : Oui, essentiellement et, de plus, l’échec prive le candidat malchanceux de la possibilité de choisir l’établissement où il souhaiterait travailler car les salariés diplômés vont occuper les postes offrant les meilleures conditions de travail.

N : Mais si un candidat échoue, c’est parce que le jury ne l’a pas estimé à la hauteur de la fonction, voire a jugé qu’il pourrait se révéler dangereux !

A : Eh bien, il continuera dans l’exercice de sa fonction à ne pas être à la hauteur et à être dangereux, condamné, qui plus est, à travailler dans les institutions acceptant les non-diplômés, donc où l’encadrement sera moins compétent qu’en d’autres lieux. Maintenant, sachez que s’il fait sa formation en situation d’emploi, cela signifie qu’il travaille depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. Aussi, s’il risque vraiment d’être dangereux, son employeur est tout de même bien mieux placé que nous pour le découvrir. Mais il est déjà arrivé que des jurys recalent des candidats en situation d’emploi jugés par eux potentiellement dangereux.

Ne vous disais-je pas, il y a un instant, que les gens sévères sont dotés d’une très grande assurance. La dangerosité d’un candidat fait office d’argument « béton » car qui pourrait l’accepter ? Le problème, c’est la pertinence d’un pareil diagnostic effectué en situation d’examen.

N : Pourquoi mobiliser tant de moyens pour organiser des épreuves dont les effets ont si peu d’incidence sur la qualité de l’accompagnement ? En fait, on ne peut admettre tout le monde car il s’agit bien d’un examen, et ne pas admettre un candidat, à vous en croire, ferait encourir le risque d’accentuer son éventuelle incompétence. Tous les jurés acceptent-ils cette mascarade ?

A :Oui… certains avec une grande difficulté, d’autres avec une grande facilité. Beaucoup de nos collègues ne se posent pas autant de questions. Ils viennent pour corriger des épreuves en fonction d’un référentiel et c’est ce qu’ils font. Point.

De plus, tous les métiers du travail social peuvent être exercés par des professionnels qui n’ont bénéficié d’aucune formation. Il est même imposé de travailler avant d’entrer en formation, ce qui relativise considérablement l’importance de la formation dans l’exercice du métier. Il n’est pas rare dans ce secteur d’être interdit, pour cause de niveau scolaire trop faible, d’entrer en formation pour apprendre à effectuer le métier que l’on exerce parfois déjà depuis plusieurs années… D’ailleurs, le rapport formation-métier est désormais réglé grâce à la VAE. On est enfin revenu aux fondamentaux : « c’est en forgeant qu’on devient forgeron ». S’agissant du travail social, « c’est en travaillant qu’on apprend à travailler ». C’était déjà d’actualité au XIXe siècle… Nous sommes en plein progrès.

N : Ce que vous me dites ne me donne vraiment pas envie de participer à la correction de ce diplôme.

A : J’en suis navré, mais si l’on s’en tient à la correction des épreuves sans se poser de questions, on doit pouvoir tenir un discours beaucoup plus gratifiant pour nous. Par exemple, ne pourrait-on considérer qu’il y a nécessité de sélectionner afin d’espérer dissuader certains d’exercer ce métier et que, dans cette délicate mission, nous éprouvons une réelle satisfaction à avoir été désignés par la société pour la représenter ? Après tout, c’est bien parce que l’on sait que l’on est juré, à moins que ce soit parce que l’on est juré que l’on sait.

N : Je ne cherche pas vraiment, ici, à être gratifiée…

A : C’est dommage car vous pourriez, dorénavant, comme beaucoup, mentionner dans votre CV que vous avez été juré. Et puis, à bien y regarder, dans ce secteur où l’on est constamment incité à ne surtout pas juger, ça fait du bien, une fois par an, de faire comme si – sur la connaissance, sur le comportement, sur la qualification, sur la compétence… – on savait… A bien y regarder, n’est-ce pas d’ailleurs ce que l’on nomme dans vos métiers le « retour du refoulé » ? Allez, venez, on va corriger. »

Contact : CFE – 23, rue des Ateliers – 91350 Grigny – Tél.0169027510 – http ://cfe-fr.org

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