S’il ne redresse pas la barre tant sur la méthode que sur les moyens, l’Etat pourrait porter la responsabilité de l’échec du chantier de la refondation de l’accueil des sans-abri et mal-logés lancé en novembre 2009. En adressant un tel message au secrétaire d’Etat au logement, Benoist Apparu, qui les recevait le 19 mai, les représentants du Collectif des associations unies pour le logement (1) ont montré qu’ils étaient prêts au bras de fer. Ils s’apprêtent à envoyer au secrétaire d’Etat un document détaillant « les conditions de réussite imprescriptibles de la réforme » auxquelles ils accepteront de travailler (2).
L’inquiétude porte notamment sur le financement de cette réforme d’envergure, tandis que les associations constatent localement des diminutions des crédits. La loi de finances pour 2010 a prévu 990 millions d’euros pour l’accueil, l’hébergement et le logement adapté, alors que les associations veulent disposer au moins du budget consommé en 2009, estimé à près de 1,3 milliard d’euros. Le 19 mai, Benoist Apparu leur a annoncé une rallonge de 110 millions d’euros, sans précisions sur le fléchage de cette enveloppe. « Nous avons écrit à la direction générale de la cohésion sociale pour en obtenir, indique Hervé de Ruggiero, directeur général de la FNARS (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale). Au-delà, c’est un changement de culture que nous demandons, vers plus de transparence et de visibilité sur les arbitrages et les répartitions budgétaires. »
Les associations reprochent aussi un manque de stratégie nationale et de pilotage dans la mise en œuvre des services intégrés de l’accueil et de l’orientation (SIAO), qui doivent être opérationnels pour le 15 septembre. Pivots du nouveau système, ces plateformes reposent sur la désignation d’un opérateur unique devant coordonner les acteurs et centraliser l’offre et la demande pour améliorer l’orientation et la prise en charge. Si la démarche doit en toute logique passer par des échanges et un diagnostic partagé entre tous les acteurs, les associations regrettent que, dans certains territoires, ce préalable ne soit pas assuré (3). « Que l’Etat impose son choix sans concertation en amont est la meilleure manière que cela ne marche pas », commente le directeur général de la FNARS. Elles demandent également que le fonctionnement des SIAO soit « sécurisé » en termes de financement alors que les instructions ministérielles prévoient seulement des « redéploiements de crédits », outre les 6 millions d’euros d’installation accordés (4).
Sur le plan technique, la FNARS souhaiterait que soit mis à profit le logiciel utilisé pour l’Observatoire national du 115 dont elle a la charge, au lieu d’un nouveau système d’information choisi sur appel d’offres. « Utilisé depuis quatre ans, il apporte les garanties nécessaires sur la question de l’anonymisation et de la diffusion des données. Une rigueur que nous ne sommes pas sûrs de retrouver dans d’autres outils… », argumente Hervé de Ruggiero. Reste encore l’élaboration du référentiel « prestations coûts ». Insatisfait des repères proposés par l’administration pour l’approche tarifaire, le secteur veut faire avaliser une méthodologie issue d’une réflexion commune, qu’il souhaite plus « qualitative », pour mieux tenir compte des besoins d’accompagnement des usagers.
Les associations désirent enfin que le chantier de la refondation tienne compte des migrants et des réfugiés. Sujet qui préoccupe tout particulièrement France terre d’asile. Les dispositifs spécialisés étant sous tension, les demandeurs d’asile sont renvoyés vers des structures de droit commun elles-mêmes saturées. « Or en cette période de disette budgétaire, on assiste à une concurrence des précaires. Les migrants font déjà les frais de la fin de l’inconditionnalité de l’accueil », explique Pierre Henry, directeur général de l’association, regrettant que les migrants « ne soient pas ciblés par les SIAO et l’absence de clarté sur cette population ». « La majorité des associations estime que le problème de la refondation est une question de périmètre, puisqu’il devrait relever de l’interministériel », souligne-t-il (5), appelant à un « engagement solennel au plus haut sommet de l’Etat ». Il s’agit, défend-il, de coordonner toutes les politiques de lutte contre le sans-abrisme. Mais aussi de ne pas aggraver les difficultés budgétaires actuelles. « Car au nom de la rationalisation, le nouveau dispositif pourrait être impitoyable pour toute une série d’acteurs de proximité », redoute Pierre Henry.
(1) Qui regroupe 32 associations, dont Emmaüs, les Enfants de Don Quichotte, la FAPIL, la Fédération des PACT, la FNARS, la Fondation Abbé-Pierre, France terre d’asile, Habitat et humanisme, l’Uniopss…
(2) Le même jour, à Toulouse, cette crainte de passer à côté des objectifs attendus, ainsi que la fermeture de places à la fin du plan hivernal, a entraîné la mobilisation de plus de 200 travailleurs sociaux et bénévoles de la FNARS Midi-Pyrénées.
(5) Sur ce point, le secrétaire d’Etat a annoncé aux associations, le 19 mai, qu’Alain Régnier, le préfet délégué général « pour la coordination de l’hébergement et l’accès au logement des personnes sans abri ou mal-logées », deviendrait désormais délégué interministériel.