Le 26 mai, trois semaines avant la conclusion des « états généraux » de l’enfance, finalement prévu par le gouvernement le 16 juin, plusieurs organisations ont donné le coup d’envoi d’une contre-offensive, les « états généreux pour l’enfance ». L’initiative gouvernementale, lancée en février dernier, avait en effet suscité moult protestations, la formulation de certains des objectifs ayant renforcé les craintes d’une instrumentalisation du travail social à des fins sécuritaires et d’une représentation stigmatisante des familles. L’ANAS, l’ONES et le SNMPMI (1) ont décidé de boycotter la démarche, tandis que d’autres y sont allés sur la pointe des pieds.
C’est dans ce contexte que plusieurs organisations réunies au sein d’un comité d’organisation, dont le collectif Pas de zéro de conduite, les CEMEA, l’Appel des appels, MP4-Champ social, 7,8,9 Radiosociale, RESF, DEI-France et le SNMPMI, ont, dès le mois de mars, décidé de proposer une alternative et de lancer un appel à contributions pour inviter les acteurs « de première ligne » à dénoncer les éléments d’« une non-politique de l’enfance » – atteintes aux droits fondamentaux des enfants, diminution des moyens pour les dispositifs qui contribuent à leur développement, à leur accompagnement ou à leur éducation… –, avec l’objectif de formuler des propositions et de porter cette parole sur la place publique.
Au total, 80 organisations – associations, syndicats, collectifs – ont rejoint la démarche et élaboré 112 constats et revendications, rassemblés dans un copieux « cahier de doléances ». La publication de ce document, destiné à proposer « une approche globale et positive » dans l’intérêt des enfants, de leurs parents et des professionnels qui les accompagnent, a été suivie d’un forum public, aux abords du jardin des Tuileries, à Paris. Les organisations souhaitent également remettre leurs doléances au président de la République, à qui elles ont déjà présenté leur démarche par courrier, aux groupes parlementaires et aux associations d’élus locaux. « Les “états généreux” ont servi à catalyser des mouvements de pensée et d’action qui ne demandaient qu’à s’exprimer », explique Sylviane Giampino, membre de l’Association nationale des psychologues pour la petite enfance et du collectif Pas de zéro de conduite. « La centaine de contributions récoltées en moins d’un mois, leur diversité, leur qualité, constituent indéniablement un signal fort » en faveur d’un débat public sur lequel doit s’appuyer « l’élaboration d’une nouvelle politique », écrivent les organisateurs en préambule. Soit, selon les termes de Sophie Graillat, secrétaire générale de DEI-France, le point de départ d’une « révolution tranquillement radicale ».
Si les contributions proviennent d’acteurs d’horizons différents et de cultures divers (petite enfance, éducation, santé, protection de l’enfance, justice, loisirs…), toutes convergent vers un objectif : dépasser la représentation d’une enfance qui pose problème et réunir toutes les conditions favorables au développement de l’enfant. « La pression doit être forte pour faire comprendre qu’il n’y a pas de problème à résoudre à coup de rustines, défend le sociologue Michel Chauvière. Nous ne voulons pas des résultats, mais une philosophie, une politique ambitieuse pour l’enfant, qui doit être aussi une politique qui fait confiance aux professionnels. » Dans le même esprit, Jean-Pierre Rosenczveig, président de DEI-France, espère voir aboutir non pas une nouvelle loi, mais « des projets pour l’enfant dans la société », dans laquelle celui-ci ne serait pas objet de problèmes, mais sujet de droits. La réaction suscitée par les « états généraux » du gouvernement « recrée une dynamique sur un thème qui était en déliquescence depuis 20 ans », se félicite-t-il. Heureux hasard du calendrier d’ailleurs, les « états généreux » ont été publiquement lancés à la date anniversaire de l’audience de la France par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU, dont le rapport, très critique, soulignait de nombreuses carences, comme l’absence de politique globale et cohérente pour l’enfance ou la stigmatisation des jeunes. « L’unique point sur lequel la France a été félicitée est l’existence d’un défenseur des enfants, voué à disparaître », ironise Françoise Dumont, de la Ligue des droits de l’Homme.
On ne doit donc pas s’étonner de retrouver dans ce « cahier de doléances » divisé en huit chapitres (2) des revendications portées de longue date par les organisations. Mais pour la première fois, ce document rassemble celles intéressant tous les domaines, de la maternité à l’enseignement, en passant par la psychiatrie, les conditions de vie et le droit de vivre en famille des migrants. Nombreuses sont les associations qui réitèrent leur opposition à une révision à la baisse de la qualité des modes d’accueil collectif de la petite enfance, tandis que le collectif Pas de bébés à la consigne réclame « l’articulation cohérente, mais non coercitive, des prises en charges sociale, psychologique, médicale ou judiciaire et de la prévention, sans confusion des genres ». L’ANAS demande, face à la précarisation croissante des familles et à la pénurie de moyens des services sociaux, que le travail social « ait les moyens nécessaires à l’accomplissement de son rôle d’insertion » et « ne soit pas un instrument de contrôle et de surveillance ».
Plutôt que de disqualifier les parents par des mesures coercitives, comme le projet de supprimer les allocations familiales pour lutter contre l’absentéisme scolaire, pointe l’Uniopss, mieux vaudrait promouvoir les actions visant à les soutenir, notamment en renforçant les réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents (REAAP), sur lesquels l’Etat a déjà amorcé son désengagement. Pour favoriser l’impulsion de politiques et la coordination de tous les acteurs, elle préconise également l’instauration d’une instance nationale « coordonnant la politique de l’enfance, avec l’Etat garant, et ouverte à l’ensemble des acteurs ».
Sont encore dénoncés la pénurie de psychologues et d’assistants sociaux scolaires, « le démantèlement de la psychiatrie de secteur », la disparition de lits d’hospitalisation en pédopsychiatrie, l’exclusion d’un trop grand nombre d’enfants handicapés des parcours scolaires.
Le SNUIPP-FSU rappelle aussi que « 13 000 jeunes handicapés de moins de 20 ans sont sur liste d’attente pour obtenir une prise en charge par les établissements spécialisés ». Opposées au projet de code de la justice pénale des mineurs, les organisations, à l’instar de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), défendent « une réforme de la justice pénale des mineurs fidèle à l’héritage de l’ordonnance de 1945 », avec une finalité éducative et réparatrice mettant « à distance les idées de tolérance zéro et de progressivité qui sous-tendent les projets gouvernementaux ». Tout en réaffirmant la primauté de l’éducation, le Comité national de liaison des associations de prévention spécialisé rappelle qu’une « approche préventive et collective doit conjuguer l’intervention des acteurs sociaux spécialisés avec celle de toutes les forces d’un territoire pour en faire un territoire de vie, de lien social ». Reste encore à régler la question des mineurs étrangers isolés, en suspens depuis des années malgré plusieurs rapports successifs, rappelle de son côté France terre d’asile. Telles sont quelques-unes de ces nombreuses revendications, sur lesquelles l’Etat est invité à se pencher.
(1) Respectivement Association nationale des assistants de service social, Organisation nationale des éducateurs spécialisés, Syndicat national des médecins de PMI.
(2) Petite enfance – L’enfant, ses parents et les politiques familiales – Grandir dans un environnement favorable – Education, culture, loisirs – Soigner, prendre soin – L’enfant sujet de droits et libertés publiques – Aider et protéger les enfants en difficultés – Penser l’enfant dans la société.