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« Les jeunes consomment l'alcool comme une drogue »

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La mode des apéritifs géants convoqués sur Internet met en lumière la question de la consommation d'alcool chez les jeunes. Ils boiraient plus que leurs aînés et surtout de façon massive, recherchant une ivresse rapide. Quelle est la réalité des chiffres et comment peuvent réagir parents et éducateurs ? L'éclairage de Marie Choquet, spécialiste des addictions chez les jeunes.

La consommation d'alcool augmente-t-elle chez les jeunes, comme l'affirment certains ?

La consommation d'alcool est globalement en baisse en France mais pour les jeunes, tout dépend de leur âge. Chez les mineurs, on observe une certaine diminution de la consommation. Les 18-25 ans, qui constituent la cible principale des apéritifs géants, ont eux une consommation stable qui ne suit donc pas la tendance générale. C'est d'ailleurs la tranche d'âge pour laquelle le nombre de verres bus par occasion est le plus élevé de toutes les générations. La moyenne générale est de 3,3 verres par occasion. Chez les 18-25 ans, elle est de 4. Cela signifie qu'environ 50 % des jeunes sont très nettement au-dessus.

Observe-t-on un rajeunissement des consommateurs ?

Autrefois, il existait une consommation assez précoce parce que familiale. On buvait de la bière, du cidre ou encore du vin à table. Mais cela a diminué de façon très importante. En 1971, 12 % des lycéens consommaient quotidiennement de l'alcool. Aujourd'hui, ils ne sont plus que 1 %.

Les filles boivent-elles autant que les garçons ?

Clairement non. Dans la dernière enquête Baromètre santé, la moyenne des verres bus à la dernière occasion était de 4,5 pour les garçons et de seulement 2,2 pour les filles. Bien sûr, certaines filles boivent autant que les garçons, mais elles ne sont que 5 à 10 % dans leur tranche d'âge. Une étude que j'avais réalisée en 2003 sur les filles grandes buveuses montrait qu'elles étaient, davantage que les garçons, en difficulté familiale, sociale et scolaire. Et lorsqu'elles boivent beaucoup, cela se remarque davantage que chez les garçons. La France, comme les autres pays d'Europe du Sud, reste un pays où l'abus d'alcool chez les femmes est très mal accepté. Dans les pays d'Europe du Nord, en revanche, la différence de consommation entre les sexes est quasiment nulle chez les jeunes de 16 ans. En Angleterre, les filles boivent même plus que les garçons.

On parle beaucoup du phénomène du binge drinking chez les jeunes. Cette recherche d'une ivresse rapide est-elle réellement nouvelle ?

De fait, c'est un véritable changement dans le comportement des jeunes par rapport à l'alcool. Il ne s'agit plus de boire à table sur un mode alimentaire mais de consommer davantage l'alcool comme une drogue en cherchant avant tout l'effet du produit. Cela s'explique, entre autres, par l'importante augmentation du nombre des étudiants depuis une trentaine d'années. Avant, entre 18 et 25 ans, on était souvent déjà travailleur. Les étudiants, eux, ont traditionnellement un mode de vie marqué par des moments festifs, voire des débordements. Et comme ils sont plus nombreux, cela se voit plus. La question est de savoir si, plus tard, ils garderont le même comportement. Des études menées aux Etats-Unis montrent que les jeunes qui buvaient beaucoup deviennent pour la plupart des consommateurs moyens. En revanche, le petit nombre de ceux qui buvaient à cause de problèmes personnels ou familiaux a davantage tendance à continuer à s'alcooliser et à se désocialiser.

On dit que la consommation de drogues serait en baisse, remplacée pour partie par l'alcool…

S'il est vrai qu'il y a une baisse de la consommation de cannabis, l'usage des autres drogues, comme les champignons hallucinogènes, l'héroïne ou la cocaïne, tend à augmenter. D'autre part, la France reste quand même en troisième position, en Europe, pour la consommation de cannabis, après avoir été au premier rang. Alors que, pour l'alcool, elle se situe plutôt dans la moyenne. On observe en outre une augmentation de la prise de médicaments psychotropes chez les jeunes. Ce qui est assez unique en Europe. Dire que l'alcool remplacerait les autres addictions me paraît donc une hypothèse difficile à défendre.

Existe-t-il des facteurs biographiques liés à l'abus d'alcool chez les jeunes, tels que le divorce des parents, des problèmes sociaux ?

Ceux qui s'enivrent sont plutôt des enfants de cadres vivant dans des familles apparemment sans problème et menant des études. Dans l'ensemble, ils bénéficient de facteurs sociaux assez favorables. Bien sûr, on peut être enfant de cadre et, par exemple, souffrir du divorce de ses parents. Mais ce type d'événement n'apparaît pas comme un élément majeur de l'alcoolisation chez les jeunes, qui s'organise plutôt sur un modèle festif. Et, pour les garçons, il y a un aspect compétitif. L'alcool, contrairement au tabac, se consomme prioritairement en groupe. Et, comme pour la violence ou les conduites à risque, dès qu'il s'agit de garçons en groupe, chacun cherche à montrer qu'il est plus fort que l'autre.

Existe-t-il des différences de consommation d'alcool selon les milieux sociaux ?

L'alcool procède de comportements complexes car il y a, à la fois, le modèle festif que j'évoquais, présent plutôt dans les classes aisées, et un sous-groupe de jeunes en grande difficulté, souvent défavorisés, déscolarisés, parfois délinquants, et présentant eux aussi une consommation très élevée. L'alcool est alors utilisé comme une façon de compenser, du moins d'oublier un mal-être. Mais on ne peut pas assimiler alcool et classes populaires. Les jeunes des milieux populaires sont en effet plutôt moins consommateurs d'alcool que les autres. Cela peut sans doute s'expliquer, pour un certain nombre d'entre eux, par des raisons culturelles ou religieuses.

Dispose-t-on d'outils de dépistage efficaces concernant l'alcoolisation des jeunes ?

Il existe un test par interrogatoire développé par l'alcoologue Philippe Michaud qui permet de mesurer ce que l'on consomme et aussi pour quelle raison on le fait. Cette approche en face à face me paraît intéressante dans la mesure où, contrairement aux tests sanguins, elle permet de parler de l'alcool et de donner quelques conseils.

Quelle attitude les adultes peuvent-ils adopter face à l'alcoolisation des jeunes ?

On ne parle pas assez de l'alcool dans les familles. Or toutes les études montrent que l'attitude parentale joue un rôle très important. Et contrairement à ce que certains croient, lorsque les parents affirment clairement qu'ils ne sont pas d'accord, les jeunes boivent moins. Les différences sont très nettes entre des parents qui laissent faire, voire approuvent, la consommation d'alcool chez leur enfant, et ceux qui expriment leur désaccord. Si on fait un parallèle avec le tabac, on s'aperçoit qu'il y a plus de consommation lorsque les parents autorisent leur enfant à fumer dehors, mais pas à la maison, que lorsqu'ils l'interdisent totalement. Cela reste vrai même si les parents boivent de l'alcool, bien sûr de façon raisonnable, car il y a beaucoup de choses que les adultes font, comme travailler ou conduire… et que les jeunes acceptent sans difficulté. Le discours simple est donc celui qui marche le mieux. C'est surtout vrai pour les plus jeunes, autour de 15 ans. Les Hollandais, qui ont travaillé sur cette question, en ont d'ailleurs conclu qu'il fallait interdire l'alcool avant 16 ans. Bien sûr, cela ne signifie pas que les adolescent vont obéir au doigt et à l'œil mais la règle est posée.

L'interdiction de la vente d'alcool aux mineurs est-elle efficace ?

Non car la plupart des mineurs qui boivent n'ont aucun problème pour acheter eux-mêmes leur boisson. Il y a aujourd'hui un écart entre l'âge réel et l'âge apparent des jeunes. Les 15 ans en paraissent plutôt 18. Dans des collèges, les élèves de 3e peuvent déjà paraître 17 ans. Il existe une maturité physique et vestimentaire qui brouille les repères. Ce qui rend le contrôle assez difficile pour un commerçant, qui ne va pas demander leur carte d'identité à ses clients chaque fois qu'il a un doute. Il le faudrait, sans doute, mais c'est évidemment inapplicable.

Si ces apéritifs géants étaient appelés à se pérenniser, faudrait-il mettre en place des dispositifs d'accompagnement par des associations, comme pour les rave parties ?

Dans le cas des rave parties, les associations sont surtout là pour vérifier si le produit est trafiqué ou pas. Elles ne font pas réellement de prévention de la consommation. Je reste en outre assez méfiante vis-à-vis de certaines dont le discours n'est pas très clair. Car que diraient les bénévoles associatifs lors de ces apéros ? « Tu peux boire mais ne dépasse pas cinq ou six verres. » On ne peut pas dire que ce soit vraiment un message de prévention. D'autant que certains jeunes peuvent réagir à une consommation même faible. A quatre verres, certains ressentent déjà des effets néfastes. Encore une fois, je suis surtout favorable à une meilleure formation des parents.

REPÈRES

Marie Choquet est docteur en psychologie et directeur de recherches à l'Inserm dans le domaine de la santé mentale des adolescents. Elle préside le Comité scientifique de l'IREB, organisation de recherche et d'information sur l'alcoolisme, et est conseillère scientifique du président de la MILDT. Elle a publié avec le pédopsychiatre Marcel Rufo Regards croisés sur l'adolescence (Ed.Anne Carrière, 2007 – Disponible dans la collection Le livre de poche).

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