Depuis la loi du 11 février 2005 relative aux droits et à l’égalité des chances des personnes handicapées, le principe de la primauté de la scolarisation des enfants handicapés en milieu ordinaire est clairement posé. Ainsi, l’article L. 111-1 du code de l’éducation fixe les principes fondamentaux de la scolarité valables pour tous les enfants, y compris ceux handicapés, et garantit le droit à l’éducation à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d’élever son niveau de formation initiale et continue, de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle, et d’exercer sa citoyenneté. L’article 112-1 prévoit également que pour être en conformité avec ce droit, le service public de l’éducation doit assurer une formation scolaire, professionnelle ou supérieure aux enfants, aux adolescents et aux adultes présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant. Et mettre en place, dans le cadre des compétences qui lui incombent, les moyens financiers et humains nécessaires à la scolarisation en milieu ordinaire des enfants, adolescents ou adultes handicapés. Le droit actuel paraît donc sans ambiguïté et les progrès réalisés en la matière depuis 5 ans sont d’ailleurs incontestables.
Selon les dernières statistiques du ministère de l’Education nationale, 180 000 élèves handicapés sont scolarisés en école, collège et lycée en 2009-2010, soit une augmentation de plus de 30 % en 5 ans. Mais, faute de moyens, certains enfants restent encore exclus du dispositif. C’est pourquoi la loi de finances pour 2010 a prévu que, au plus tard le 30 juin 2010, le gouvernement doit transmettre au Parlement un rapport sur les moyens financiers et en personnels consacrés à la scolarisation en milieu ordinaire des élèves handicapés.
Dans ce contexte, la jurisprudence se montre de plus en plus ferme vis-à-vis de l’Etat en lui imposant un droit effectif à la scolarisation.
Depuis la loi « handicap » du 11 février 2005, la jurisprudence a reconnu avec de plus en plus de force le droit à la scolarisation des enfants handicapés et ce, alors même que les contentieux qui étaient soumis aux juges avaient, pour la plupart, été engagés avant la loi et étaient donc encore sous l’empire des textes du code de l’éducation dans leur version antérieure à celle-ci.
Au départ, la jurisprudence a estimé que le droit à la scolarisation des enfants présentant un handicap se résumait à une prise en charge éducative au moins équivalente à celle des autres enfants. En 2007, la cour administrative d’appel de Paris a ainsi considéré que « l’Etat a l’obligation légale d’offrir aux enfants handicapés une prise en charge éducative au moins équivalente, compte tenu de leurs besoins propres, à celle dispensée aux enfants scolarisés en milieu ordinaire » (CAA Paris, 11 juillet 2007, ministre de la Santé c/Haemmerlin, requête n° 06PA01579). En l’espèce, un jeune garçon, né en 1988 et souffrant d’une pathologie nécessitant une éducation spéciale, avait vu sa prise en charge éducative réduite entre mars 1999 et mars 2004 à la suite de l’aggravation de son état de santé, l’établissement qui l’accueillait jusqu’à cette date ayant décidé de réduire son accueil et aucune autre solution durable n’ayant pu être proposée aux parents malgré leurs sollicitations répétées. Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a retenu la même solution en 2008 (TA Cergy-Pontoise, 12 décembre 2008, requête n° 0408765).
En 2009, le Conseil d’Etat est allé plus loin en renforçant ce droit pour qu’il soit réellement effectif. Ainsi, « le droit à l’éducation [est] garanti à chacun quelles que soient les différences de situation », énonce la Haute Juridiction, et « l’obligation scolaire s’appliquant à tous, les difficultés particulières que rencontrent les enfants handicapés ne sauraient avoir pour effet ni de les priver de ce droit, ni de faire obstacle au respect de cette obligation. Il incombe à l’Etat, au titre de sa mission d’organisation générale du service public de l’éducation, de prendre l’ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que ce droit et cette obligation aient, pour les enfants handicapés, un caractère effectif » (Conseil d’Etat, 8 avril 2009, requête n° 311434). Cet attendu de principe a depuis été repris à plusieurs reprises par des cours administratives d’appel (par exemple, CAA, Lyon, 21 juillet 2009, requête n° 06LY02419 ; CAA Nancy, 28 janvier 2010, requête n° 09NC0003).
Par ailleurs, selon le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, le droit à la scolarisation est accordé à l’enfant dès son plus jeune âge. Les parents d’un enfant handicapé en bénéficient ainsi – dès lors qu’ils en font la demande – dès les 3ans de l’enfant, ce dans une école maternelle la plus près du domicile(TA Cergy-Pontoise, 12 décembre 2008, requête n° 0408765).
Pour les magistrats, « si aucune obligation de scolarité n’incombe aux parents avant que leur enfant, qu’il soit ou non handicapé, ait atteint l’âge de 6 ans, ces derniers bénéficient toutefois d’un droit, dès lors qu’ils en font la demande, à ce que leur enfant soit accueilli, dès l’âge de 3 ans, dans une école maternelle ou une classe enfantine le plus près possible de son domicile ». « Dès lors, l’obligation d’offrir aux enfants handicapés une prise en charge éducative au moins équivalente, compte tenu de leurs besoins propres, à celle dispensée aux enfants scolarisés en milieu ordinaire […] incombe à l’Etat dès lors que l’enfant a atteint l’âge de 3ans si ses parents demandent une telle prise en charge. »
Une fois l’effectivité du droit à la scolarisation posée, la jurisprudence s’est logiquement prononcée sur les conséquences, pour l’Etat, de son non-respect. Toutefois, les magistrats ont hésité entre plusieurs options : reconnaissance d’une responsabilité sans faute ou, au contraire, pour faute, affirmation d’une obligation de moyens ou, à l’inverse, de résultat. Toutes les solutions ont été retenues par les juges. Ce n’est que très récemment que le Conseil d’Etat a tranché la question en imposant une obligation de résultat à l’Etat.
Prenant appui sur les obligations issues de la loi du 11 février 2005, le tribunal administratif de Lyon, qui est l’une des premières juridictions à s’être prononcée sur la question après le vote de la loi, a accordé une indemnisation à un enfant handicapé ainsi qu’à ses parents.
Dans cette affaire, un enfant né lourdement handicapé avait d’abord été pris en charge par un établissement spécialisé jusqu’en septembre 2002, date à laquelle il avait été contraint de regagner le domicile de ses parents à la suite d’une réorganisation des services de l’établissement et faute de structure d’accueil disponible et adaptée. Malgré l’intervention de la commission départementale de l’éducation spéciale – devenue depuis commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées –, la scolarisation n’avait pu être reprise pendant environ 2 ans.
Pour le tribunal administratif, il n’y a pas eu faute de l’Etat dès lors que « les services de celui-ci ont sérieusement recherché une solution satisfaisante compte tenu des possibilités concrètes d’accueil et du degré d’invalidité de l’enfant ». Se plaçant sur le terrain de la rupture de l’égalité devant les charges publiques (1), l’Etat a néanmoins été condamné à réparer le préjudice, sur la base d’une responsabilité sans faute, en raison de la longueur de la période pendant laquelle l’enfant n’a pas été scolarisé(TA Lyon, 29 septembre 2005, époux Khelif, requête n° 04-03829).
Par la suite, d’autres juridictions se sont prononcées dans des affaires similaires. Elles ont également reconnu une responsabilité de l’Etat mais ont oscillé sur la nature de l’obligation mise à sa charge entre l’obligation de moyens ou celle de résultat.
Rappelons que, avec une obligation de résultat, l’Etat est tenu à un résultat précis qui, s’il n’est pas atteint, engage sa responsabilité sans qu’il y ait besoin de prouver l’existence d’une faute. Avec une obligation de moyens, l’Etat n’est pas tenu à un résultat précis mais doit simplement déployer ses meilleurs efforts pour atteindre l’objectif visé. Sa responsabilité ne peut alors être mise en jeu que s’il est prouvé qu’il a commis une faute en ne mettant pas en œuvre tous les moyens qui pouvaient l’être.
La cour administrative d’appel de Paris a, dans un premier temps, considéré que le manquement de l’Etat à l’obligation légale d’offrir aux enfants handicapés une prise en charge éducative au moins équivalente, compte tenu de leurs besoins propres, à celle dispensée aux enfants scolarisés en milieu ordinaire « est constitutif d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat », et que l’Etat ne peut s’exonérer de cette obligation en se prévalant « de l’insuffisance de moyens budgétaires, de la carence d’autres personnes publiques ou privées dans l’offre d’établissements adaptés ou de la circonstance que des allocations sont accordées aux parents d’enfants handicapés pour les aider à assurer leur éducation ». De fait, pour les magistrats, l’Etat est bien tenu à une obligation de résultat (CAA Paris, 11 juillet 2007, ministre de la Santé c/Haemmerlin, requête n° 06PA01579). Un raisonnement similaire a par la suite été retenu par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise dans sa décision du 12 décembre 2008 précédemment citée et par la cour administrative de Marseille (CAA, 31 janvier 2008, requête n° 05MA01886).
De son côté, la cour administrative d’appel de Versailles a estimé, au contraire, que les dispositions législatives applicables « n’imposent à l’Etat qu’une obligation de moyens, eu égard aux difficultés particulières que peut comporter la scolarisation de certains enfants handicapés, laquelle obligation doit être considérée comme satisfaite dans les circonstances particulières de l’espèce ». En l’occurrence, les parents d’une fillette handicapée née en 1995 recherchaient la responsabilité de l’Etat à raison du défaut de scolarisation de leur enfant dans un institut médico-éducatif à partir de la rentrée 2003. En 2006, le tribunal administratif de Versailles avait condamné l’Etat à les indemniser à hauteur de 14 000 €. Une décision annulée par la cour administrative d’appel de Versailles en 2007 (CAA Versailles, 27 septembre 2007, requête n° 06VE02781).
Dans cette dernière affaire, dite affaire « Laruelle », les parents ont saisi le Conseil d’Etat qui a ainsi mis un terme à cette divergence de jurisprudence, source d’inégalité de traitement pour les enfants handicapés et leurs familles.
C’est en avril 2009 que le Conseil d’Etat a tranché entre obligation de résultat et obligation de moyens. Il a en effet jugé que la carence de l’Etat en matière de scolarisation des enfants handicapés est constitutive d’une faute de nature à engager sa responsabilité et qu’une obligation de résultat s’impose (Conseil d’Etat, 8 avril 2009, requête n° 311434). Ce faisant, les sages de la rue Cambon ont suivi les conclusions du rapporteur public, Rémi Keller. Selon lui « le raisonnement fondé sur une simple obligation de moyens […] paraît contraire aux textes, mais aussi en rupture avec [la] jurisprudence. Il s’inscrit à rebours de l’évolution actuelle qui tend à renforcer le principe de l’insertion des personnes handicapées et à assurer l’effectivité des dispositions qui ont pour objet de le mettre en œuvre ».
Pour la Haute Juridiction, les magistrats versaillais ont eu tort de se borner à relever que l’administration n’avait qu’une obligation de moyens – définie, rappelons-le, comme celle de faire toutes les diligences nécessaires – sans rechercher « si l’Etat avait pris l’ensemble des mesures et mis en œuvre les moyens nécessaires pour donner un caractère effectif au droit et à l’obligation pour les enfants handicapés de recevoir une éducation adaptée à leur situation ». Ils ont donc commis une erreur de droit en méconnaissant les dispositions du code de l’éducation applicables à l’époque des faits. Le Conseil d’Etat a donc annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles et demandé à cette dernière de rejuger l’affaire.
Dans l’affaire « Laruelle », le Conseil d’Etat a écarté les arguments de l’administration qui tentait de s’exonérer de sa responsabilité.
Le premier motif invoqué et rejeté par les hauts magistrats était « l’insuffisance des structures d’accueil existantes ». C’est en effet « à l’Etat qu’il appartient, soit de les créer au titre de l’Education nationale ou des établissements publics sociaux et médico-sociaux, soit de les autoriser en autorisant la création d’établissements médico-sociaux privés », rappelle Hervé Rihal, professeur de droit public à l’université d’Angers, dans une analyse de l’arrêt (2).
Second argument mis en avant par l’Etat pour tenter d’atténuer sa responsabilité : le « fait que des allocations compensatoires sont allouées aux parents d’enfants handicapés ». « Cette manière d’« acheter le silence des familles » est sèchement désapprouvée par la Haute Juridiction qui estime que ces allocations « n’ont pas un tel objet » », explique Hervé Rihal.
Mais dans l’affaire « Labourier » jugée quelques mois plus tard, les magistrats de la cour administrative d’appel de Lyon, tout en reprenant l’attendu de principe du Conseil d’Etat reconnaissant l’obligation de résultat de l’Etat (voir page 43), ont admis que la responsabilité de l’Etat peut être partiellement exonérée en raison du comportement de la famille(CAA, Lyon, 21 juillet 2009, requête n° 06LY02419).
Dans cette affaire, les parents d’un jeune garçon polyhandicapé réclamaient la condamnation de l’Etat pour n’avoir pas scolarisé leur fils durant la période correspondant aux années scolaires 2001-2002 et 2002-2003. Au cours du mois de janvier 2002, l’un des établissements désignés, à l’époque, par la commission départementale de l’éducation spéciale leur avait proposé un accueil de l’enfant en externat de 3jours par semaine, proposition qui avait été refusée par les parents. Tout en reconnaissant la carence fautive de l’Etat liée au caractère limité de l’accueil mis en place, la cour administrative d’appel a estimé « qu’en refusant la proposition qui leur a été faite au cours du mois de janvier 2002, qui permettait le maintien, dans une certaine mesure, de la socialisation de leur enfant ainsi qu’une activité professionnelle de [sa mère, les parents] ont contribué pour partie à la réalisation des préjudices dont ils se prévalent et ainsi adopté un comportement de nature à exonérer partiellement l’Etat de sa responsabilité, au titre de la période comprise entre le mois de janvier 2002 et le mois d’octobre 2003 ». La juridiction a donc laissé un tiers des conséquences dommageables de la carence fautive de l’Etat à la charge des parents.
Une fois reconnue l’obligation de résultat de l’Etat, quelle est la réparation accordée aux familles ? C’est une question à laquelle a notamment répondu la cour administrative d’appel de Versailles, toujours dans l’affaire « Laruelle », dans un arrêt du 1er décembre 2009 rendu après renvoi par le Conseil d’Etat (CAA Versailles, 1er décembre 2009, requête n° 09VE01650). L’arrêt « Labourier » de la cour administrative d’appel de Lyon a également apporté des précisions sur la nature de cette réparation (CAA, Lyon, 21 juillet 2009,requête n° 06LY02419).
Le préjudice moral et les troubles dans les conditions d’existence, tant pour l’enfant que pour ses parents, ont été pris en considération par la jurisprudence.
Ainsi, « l’insuffisance de la prise en charge éducative dont a été victime [l’enfant] au cours de la période [en question lui] a causé un préjudice moral et des troubles de toutes natures dans ses conditions d’existence », ont estimé les magistrats de Versailles dans l’affaire « Laruelle », préjudice qu’ils ont chiffré à 6 000 €. De même, les parents se sont vu reconnaître leur « propre préjudice moral et des troubles qu’ils ont subis dans leurs conditions d’existence », évalués à 8 000 €.
Les magistrats ont également pris en compte le préjudice financier. Dans l’affaire « Laruelle », la justice a considéré qu’il y avait eu « perte de revenus » pour la mère qui a dû prendre un congé parental pour s’occuper de l’enfant. A ce titre, la cour d’appel administrative lui a accordé 10 000 €.
De manière similaire, dans l’affaire « Labourier », la cour administrative d’appel de Lyon a retenu « la privation de ressources » du père contraint d’assurer une présence constante auprès de son enfant et ne pouvant de ce fait exercer une activité professionnelle. Les magistrats ont évalué ce préjudice à 6 000 €, dont 4 800 € au titre de la période comprise entre janvier 2002 et octobre 2003. Mais comme, pour cette période, ils ont retenu le partage de responsabilité entre l’Etat et les parents (voir ci-contre), un tiers de cette somme a été laissé à la charge de ces derniers.
Enfin, dans l’affaire « Laruelle », la justice n’a pas écarté la possibilité de prendre en charge les honoraires d’un psychologue consulté par l’enfant même si, en l’espèce, cet élément n’a, au final, pas été retenu pour des questions de date – les séances ayant eu lieu à une période où la responsabilité de l’Etat n’avait pas été reconnue.
Dans l’affaire « Labourier », la cour administrative d’appel a également reconnu que l’enfant avait subi « du fait de l’absence de scolarisation durant une période d’un peu plus de 2 ans, un préjudice résultant de la perte du lien social qu’il avait acquis depuis plusieurs années et l’augmentation de sa perte d’autonomie ». Les magistrats ont estimé que ce dommage était bien réel malgré « l’absence de constatation par [un] expert d’une régression au plan psychomoteur et au plan affectif, le rappel du caractère transitoire du préjudice et l’absence d’aggravation du handicap initial ». Ils l’ont évalué à 4 500 €, dont 3 600 € au titre de la période comprise entre février 2002 et octobre 2003. Mais là encore, un tiers de cette somme est resté à la charge des parents.
(1) Le principe de l’égalité devant les charges publiques est un principe général du droit fondateur de la responsabilité sans faute. La rupture de l’égalité intervient lorsque l’action ou l’inaction de l’administration motivée par l’intérêt général cause un préjudice à une personne ou à un groupe de personnes.
(2) « La scolarisation des enfants handicapés : une obligation de résultat pour l’Etat » – Hervé Rihal – RDSS, mai-juin 2009, n° 2009-3, p. 556.