Recevoir la newsletter

Visites médiatisées : un outil pour maintenir les liens

Article réservé aux abonnés

Visant à conjuguer les besoins de protection des enfants et le droit des parents à entretenir des relations avec eux, les visites médiatisées connaissent un développement considérable. Un essor qui va de pair avec des pratiques très hétérogènes.

Maintenir, en les encadrant, les relations d’un enfant avec le ou les parents dont il a été séparé pour sa protection : tel est le principe des visites qui sont dites « médiatisées » car elles se déroulent en présence d’un tiers. Cette modalité d’exercice du droit de visite n’a été que récemment reconnue par la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance. Pourtant, elle se développe déjà depuis une dizaine d’années et connaît un succès grandissant auprès des juges des enfants. Au point que d’aucuns évoquent une inflation de la demande judiciaire en la matière. C’est le cas de Guy Patriarca, responsable de l’aide sociale à l’enfance (ASE) de l’Ardèche. Dans ce département de 110 000 habitants, qui compte environ 500 enfants placés en établissements ou familles d’accueil, « nous disposons de quatre lieux de rencontre pour des visites médiatisées – et je dois tous les jours résister aux pressions des magistrats pour ne pas en ouvrir de supplémentaires », explique-t-il, reconnaissant qu’il s’agit d’un « outil très intéressant » (1).

De fait, les juges des enfants sont plus enclins que par le passé à considérer le maintien des relations de l’enfant avec ses parents comme un impératif, constatent les sociologues Benoit Bastard et Christian Mouhanna, qui ont réalisé une enquête auprès de magistrats de la jeunesse (2). « L’ensemble des juges des enfants interrogés, et singulièrement les plus jeunes d’entre eux, se situent dans une perspective commune marquée simultanément par le souci prioritaire de la sécurité de l’enfant et par la recherche de solutions permettant le maintien de relations avec les parents et les lignées dont il est issu », expliquent-ils.

Rendre possibles les relations parents-enfants n’est pas une préoccupation des seuls juges des enfants. C’est également une demande forte des intervenants du champ social, dont les rapports et préconisations nourrissent la décision judiciaire. « Cette mode des visites mé­diatisées est un symptôme de notre difficulté à organiser des actions de protection de l’enfance et à les construire avec les parents qui sont le vecteur du danger dont on doit protéger les enfants », analyse Michèle Créoff, directrice générale adjointe du pôle enfance-famille au conseil général du Val-de-Marne. « Nous sommes dans un temps un peu paradoxal où la loi du 5 mars 2007 assigne avec force une double mission au dispositif de protection de l’enfance : protéger les enfants et accompagner les parents. » Cette réforme met ainsi fin à des « questionnements que nous avons eus pendant de nombreuses années sur qui était l’usager de la protection de l’enfance, en laissant entendre que nous avons deux usagers : l’enfant et la famille ».

Cette invitation du législateur à élargir le regard à l’ensemble de la dynamique familiale implique une nouvelle politique d’évaluation des situations, estime Michèle Créoff : il convient de ne pas évaluer seulement le danger, la carence, mais aussi les ressources. Celles de l’enfant d’abord, celles de ses parents à court et à moyen terme, celles de l’environnement familial (ainsi, l’enfant d’une maman psychotique peut être entouré d’une grand-mère et/ou d’une tante très soutenantes). « On ne peut construire un projet d’avenir pour l’enfant qu’en se demandant quelles sont les compétences parentales mobilisables à plus ou moins longue échéance et quelles sont celles dont il faut faire le deuil », souligne Michèle Créoff. Une fois ce diagnostic de départ produit avec la famille – et adapté par la suite en fonction des réactions de l’enfant et de ses parents –, il faut s’entendre avec l’autorité judiciaire pour apporter une réponse. « Tous les acteurs institutionnels de la protection de l’enfance doivent se mettre d’accord sur ce que sont les besoins prioritaires d’un enfant et les contradictions de temporalité qui existent entre le temps des enfants et celui des adultes », déclare la directrice générale adjointe du pôle enfance-famille du Val-de-Marne. Il s’agit de renverser la logique, insiste-t-elle : ne pas considérer les visites médiatisées comme un moyen de gérer la séparation en calmant les parents et en donnant bonne conscience aux magistrats ainsi qu’aux professionnels de la protection de l’enfance, mais se demander ce que ces rencontres apportent à l’enfant.

Des motivations diverses

Précisément, les motivations à ordonner des visites médiatisées peuvent être très va­­riées, explique Anne-Sylvie Soudoplatoff, magistrate mise à la disposition de l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED) comme chargée de mission « justice ». On peut escompter de ces rencontres, surtout dans les placements longs, un travail clinique bénéfique à l’enfant, du type de celui que défend le pédopsychiatre Maurice Berger (voir encadré, page 29). Avec des parents qui sont ina­déquats dans leurs gestes, soins ou sollicitations de jeunes enfants, « on serait sur quelque chose qui est plus proche du soutien à la parentalité », poursuit Anne-Sylvie Soudoplatoff. Autre cas de figure : quand le/les parents reviennent dans la vie d’un enfant après une longue interruption des relations, les visites en présence d’un tiers peuvent être un moyen d’accompagner cette reprise de contact. Par ailleurs, en situation de crise, surtout avec des adolescents qui sont placés en urgence et alors que le dialogue est verrouillé de part et d’autre, il est possible de recourir aux visites médiatisées à des fins de réelle médiatisation des rapports entre les protagonistes, que celle-ci débouche sur un retour en famille ou une prolongation du placement, ajoute la magistrate. Enfin, ce dispositif peut aussi être mis à profit, lors de placements en urgence, pour évaluer ce qui se passe dans la famille et voir s’il faut plutôt aller vers un droit d’hébergement, un droit de visite, ou un retour au domicile familial.

Dispositif de soin, support éducatif, outil d’observation et/ou de régulation des relations familiales : à cette palette d’objectifs circonstanciés correspond un relatif flottement dans la manière de les atteindre. Une seule chose est sûre : le laconisme de la loi. Celle-ci énonce seulement que « le juge peut décider que le droit de visite ne peut être exercé qu’en présence d’un tiers désigné par l’établissement ou le service à qui l’enfant est confié » (article 375-7 du code civil). Au-delà, tout est affaire d’inventivité sémantique des magistrats pour désigner cet exercice du droit de visite – médiatisé, encadré, accompagné, protégé, dans un lieu neutre… Tout est affaire, aussi, de choix des départements pour mettre en œuvre les ordonnances judiciaires. « Choix dont il faudrait clarifier en quoi ils relèvent du type de situation et en quoi ils relèvent de réponses à des problèmes d’organisation », commente Anne-Sylvie Soudoplatoff, qui constate le manque de visibilité des pratiques en la matière.

De fait, une grande hétéro­généité règne sur le terrain. Certains services de l’ASE organisent eux-mêmes les visites médiatisées, soit en leur sein ou dans un local du conseil général, soit dans l’espace de vie de l’enfant, ou encore au domicile des parents. D’autres délèguent la mise en place des rencontres au lieu d’accueil de l’enfant ou à des structures spécialisées. Enfin, ces différentes formules peuvent être mêlées, c’est-à-dire que certaines visites sont organisées en interne, d’autres sous-traitées. Quant aux modalités concrètes de réalisation des rencontres – en présence (constante ou pas) d’un ou de plusieurs intervenants, qui tournent ou sont toujours les mêmes, ont reçu telle ou telle formation, etc. –, il n’y a pas, là non plus, de doctrine uniforme.

On se trouve dans un champ d’une grande complexité, « comme si on avait, localement, pris des initiatives au coup par coup, venant soit du monde judiciaire, soit de l’aide sociale à l’enfance, en empilant les solutions et en construisant ainsi des dispositifs sans qu’ils fassent l’objet, bien sûr, d’une construction d’ensemble, ni même de beaucoup de théorisation après coup », analyse le sociologue Benoit Bastard, qui travaille depuis longtemps sur cette question. Effectivement, « on n’est pas parti sur une réflexion avec des concepts théoriques », confirme Christine Hulard, responsable adjointe du bureau des actions éducatives de prévention à la direction de la protection de l’enfance du Rhône. « C’est parce que nous avions un certain nombre de situations où les juges nous demandaient des visites médiatisées dans des contextes très variés que nous avons élaboré un référentiel pour outiller les travailleurs so­ciaux du département qui assurent ces visites », explique-t-elle.

Fruit de un an de travail pluri-institutionnel, ce document très détaillé ne rend pas seulement service aux intervenants du champ social. En listant un certain nombre d’éléments concrets relatifs au contenu des visites médiatisées, le référentiel permet également aux magistrats de « changer leurs représentations sur l’acte éducatif que constituent ces temps de rencontre », commente Caroline Lopez, directrice du service de protection de l’enfance du Rhône.

Dans l’Ardèche, l’aide sociale à l’enfance confie la plupart des visites mé­diatisées à quatre « points rencontre enfants-parents » (PREP), spécifiquement créés à cet effet entre 2004 et 2008. Trois sont des services privés, situés dans des maisons d’enfants à caractère social (MECS), le quatrième est implanté dans le foyer départemental de l’enfance. C’est souvent le degré de dangerosité de la situation qui détermine le choix de recourir, ou pas, à un PREP. « Quand on a tendance à penser que la visite n’a pas besoin d’une très grande sécurisation et que la faire exercer par d’autres ne présente pas d’intérêt particulier, on préfère qu’elle soit effectuée par le référent ASE dans un centre médico-social ou au domicile des parents », explique Guy Patriarca, responsable de l’ASE. A Aubenas, « quand on démarre une situation, c’est souvent le travailleur social de l’ASE qui débute les visites média­tisées pour nous donner des informa­tions sur la relation parents-enfant », explique Louise Pedra, adjointe Famille-Enfance-Protection sur ce secteur de l’Ardèche. « Si les rencontres doivent durer des années – ce qui est le cas avec des parents qui présentent des pathologies mentales – et/ou si nous sommes un peu en difficulté avec la famille, en colère contre l’ASE, on solli­cite un PREP », explique-t-elle. Quand il y a trop de rivalité entre les parents et la famille d’accueil, il peut aussi être préférable que le référent ASE reste en position d’arbitrage et que les visites soient déléguées. Enfin, l’aspect « chronophage » des visites est une autre raison de les faire réaliser par un point rencontre, d’autant qu’elles sont toutes programmées les jours de disponibilité des enfants (le mercredi ou le samedi après-midi), c’est-à-dire en même temps.

La place du référent ASE

Cette délégation, cependant, ne va pas sans poser question au service à qui l’enfant est confié. L’un des risques est de reporter sur un tiers une partie de la fonction classique du référent ASE : le travail sur le lien parents-enfant. Ce qui, de l’avis de Louise Pedra, peut entraîner certaines dérives. Ainsi, « les lieux de rencontre s’auto-missionnent parfois pour faire que le parent évolue, c’est-à-dire qu’ils font plus de la médiation que de la médiatisation, et ils peuvent s’investir d’un rôle qui dépasse notre prescription, allant jusqu’à formuler des propositions au magistrat sans concertation avec le service gardien », précise-t-elle. Mais il est vrai, reconnaît-elle, qu’« on n’a peut-être pas été toujours suffisamment clairs avec les lieux de rencontre sur notre commande, et ils considéraient, à une époque, qu’ils n’avaient que le juge des enfants comme interlocuteur ».

Ce n’est plus le cas aujourd’hui et un autre point potentiellement litigieux a lui aussi été clarifié : celui du compte rendu des visites médiatisées. Les responsables des PREP viennent aux commissions enfance parler des situations et ils restituent par écrit à l’aide sociale à l’enfance les constats effectués lors des rencontres qui leur sont confiées – rapport ensuite transmis au juge. Pour les responsables de l’ASE, comme pour ceux des PREP ardéchois, il serait inconcevable qu’il en aille autrement. « Nous nous situons clairement dans le champ de la protection de l’enfance et pensons indispensable que les prescripteurs des visites médiatisées disposent de nos observations pour prendre leur décision quant aux suites à donner à ces rencontres », affirme Paolo Spigarelli, chef de service de la MECS du Sacré-Cœur à Villeneuve-de-Berg, responsable d’un point rencontre. Une position partagée par ses collègues des autres « points rencontre enfants-parents » du département, mais qui n’est pas de règle partout (voir encadré, ci-contre).

Mesure dérogatoire à l’autorité parentale, les visites médiatisées ne sont pas une fin en soi. « Ces temps de rencontre, où parents et enfants évoluent sous le regard d’un tiers, doivent servir à ce que les familles puissent se voir sans nous, c’est-à-dire dans un contexte plus normal », commente Chantal Rimbault, directrice de la protection de l’enfance et de la jeunesse dans le Val-de-Marne. Mais, évidemment, tel n’est pas toujours le cas. Parfois, il faut mettre un terme aux relations quand se retrouver régulièrement en présence de ses parents est une souffrance pour l’enfant. Dans d’autres cas, les visites médiatisées se prolongent dans le temps, car elles apparaissent comme le seul mode de contact possible entre les membres de la famille. Pour autant, cette formule ne doit pas devenir « une sorte de bracelet éducatif de la mesure de protection de l’enfance », met en garde Jean-François Kerr, directeur enfance famille au conseil général du Loiret.

L’intérêt et sans doute une partie de l’efficacité de ces visites viennent pourtant de cette tension entre contrainte et liberté, estime Benoit Bastard : « La contrainte tient au fait que les parents ne sont pas “volontaires” pour venir : les rencontres sont organisées par des décisions de justice. » Cependant, une fois que les intéressés entrent dans le dispositif, l’intervention leur offre une certaine latitude de mouvement. « Ni la manière de se comporter dans le lieu pendant la rencontre, ni le résultat attendu ne sont préconfigurés », souligne le sociologue. En définitive, analyse-t-il, on peut voir dans cet outil « une forme renouvelée de contrôle social qui s’applique aux relations familiales, un contrôle exercé d’une manière “douce”, qui porte de façon exclusive sur les relations entre parents et enfants, au bénéfice des enfants ».

UN OUTIL THÉRAPEUTIQUE, PAS SEULEMENT SOCIAL

« Lorsqu’une situation est suffisamment inquiétante pour qu’un juge des enfants ordonne une séparation parents-enfant, la question des modalités de rencontres ultérieures se pose immédiatement », souligne le pédopsychiatre Maurice Berger (3).

Le dispositif des visites médiatisées, créé au début des années 1960 par Myriam David, pédiatre et psychiatre (1917-2004), pour permettre les relations entre des mères psychotiques et leur nourrisson, consiste à « ne faire se rencontrer enfant et parent(s) que dans un lieu institutionnel (service hospitalier, local de l’aide sociale à l’enfance, etc.), en présence d’intervenants impliqués dans la situation », explique Maurice Berger.

Les raisons pour lesquelles cet aménagement du droit de visite est demandé au juge des enfants sont « expliquées auparavant aux parents par un des intervenants qui assume alors pleinement le conflit frontal qu’il risque de déclencher ». Souvent, en effet, les parents sont en colère et, en représailles, ils ne viennent pas pendant deux ou trois mois, puis la relation s’améliore, fait observer le spécialiste.

« Si l’indication paraît nécessaire et que les visites médiatisées ne sont pas mises en place, le risque est très grand que l’enfant ne soit perdu pour tout travail psychique, et il est probable que ses difficultés psychologiques, intellectuelles et d’apprentissage n’iront qu’en s’aggravant », estime le pédopsychiatre. Pour lui, le dispositif est « un outil thérapeutique » essentiellement destiné à permettre le développement affectif de l’enfant et devant, comme tel, répondre à des contraintes strictes d’organisation. Il ne s’agit pas simplement d’un « acte « social » ».

Mais il arrive « dans certains cas, fréquents, […] que le moindre contact de l’enfant avec ses parents ait des effets nocifs sur [le] fonctionnement psychique ou psychosomatique » de ce dernier : soit le comportement des parents est toujours fortement nocif (folie, confusion, perversion, séduction malsaine, menaces, dépression profonde); soit la rencontre réveille chez l’enfant des traces angoissantes du passé. « Nous considérons que ces enfants ne doivent pas être l’objet de pressions pour rencontrer leurs parents. […] Comme la séparation, la suppression de ces rencontres ne soigne pas l’enfant, car lorsqu’on en arrive à une mesure aussi extrême, la nocivité des parents a déjà été intériorisée, mais elle permet qu’un abord thérapeutique puisse se mettre en place », affirme Maurice Berger.

UN DROIT DE VISITE DÉNATURÉ ?

Le rôle traditionnel du juge est de trancher. Claire Neirinck, professeure de droit à l’université de Toulouse, ne dira pas le contraire. En effet, c’est précisément ce qu’elle reproche aux juges des enfants de ne pas faire quand ils ordonnent des visites médiatisées.

« Le droit de visite et d’hébergement constitue le moment privilégié où se reconstruit, pour un temps limité, le rapport familial initial affecté par la décision judiciaire de confier l’enfant […] à un tiers », explique-t-elle (4). Or « un droit de visite médiatisé est un droit de visite amputé ». D’une part, parce que la médiatisation ne peut avoir lieu que pour une durée limitée et impose de ce fait la suppression du droit d’hébergement, c’est-à-dire de contacts prolongés. D’autre part, parce qu’en raison de problèmes d’horaires ou de transport, ce droit de visite n’est pas toujours effectif. Enfin et surtout, parce que « la médiatisation impose que parents et enfants se retrouvent dans un cadre étranger » et ne peuvent se comporter comme ils l’entendent. « C’est même pour éviter cela que le tiers assiste à la réunion familiale », ce qui porte atteinte à l’intimité de la vie privée.

Normalement, souligne la juriste, le droit de visite implique que, pendant le temps qui lui est imparti, le parent décide librement de l’activité de son enfant. Or « que peut décider, que peut faire qui ne voit son enfant que dans le cadre d’une visite médiatisée ? La médiatisation réduit le contenu du droit de visite à un simple contact : parents et enfants se voient et se parlent ; c’est tout. Ces relations, réduites dans le temps comme dans leur contenu, sont nécessairement superficielles », insiste Claire Neirinck. « Elles ne constituent pas une « bulle« de la vraie vie familiale d’avant inscrite dans un présent de vies séparées. » D’autant que les fratries sont rarement réunies lors de l’exercice du droit de visite.

C’est donc, pour Claire Neirinck, « un droit édulcoré, une abstraction : le maintien du lien », que recouvre cette modalité du droit de visite. Le juge qui ordonne un droit de visite médiatisé signifie qu’il souhaite la poursuite de relations familiales, mais aussi qu’il s’en méfie et préfère les limiter. Autrement dit, il affirme aux parents qu’ils ont des droits, tout en rendant ces derniers inopérants. « La médiatisation du droit de visite en assistance éducative évite ainsi au juge de trancher entre la protection de l’enfant et le droit de ses parents », affirme Claire Neirinck, qui dénonce le succès de la médiatisation. Derrière celui-ci, la juriste voit un « recul du droit et une évolution du rôle du juge devenu le garant du lien parent-enfant, sans que l’on s’interroge ni sur le contenu, ni sur l’utilité d’un tel lien ».

D'UNE PRATIQUE À L'AUTRE

La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance n’a pas seulement légalisé les visites médiatisées. Elle a également consacré la pratique des rencontres en terrain neutre afin que, dans le cas de divorces conflictuels, les enfants puissent garder contact avec le parent chez qui ils ne vivent pas. Deux articles du code civil (373-2-1 et 373-2-9) instaurent cette modalité du droit de visite « dans un espace de rencontre » que le juge aux affaires familiales peut désigner à cet effet.

Ces espaces de rencontre sont nés à la fin des années 1980. Aujourd’hui, certains conseils généraux se tournent vers eux pour l’organisation de visites médiatisées ordonnées par le juge des enfants. C’est le cas dans le Gard où l’Espace rencontre famille & médiation (ERF&M), créé il y a une quinzaine d’années, est sollicité depuis quatre ans par l’ASE pour l’organisation de visites médiatisées, lorsque cette institution estime n’être pas la mieux placée pour les réaliser (problématique familiale, disponibilité des personnels et/ou des locaux).

« La question était de savoir comment transférer les compétences acquises dans la pratique de l’espace de rencontre, avec l’accueil d’un public essentiellement orienté par les juges aux affaires familiales, au profit des situations issues de la protection de l’enfance », explique Martine Sausse, responsable d’ERF&M et présidente de la Fédération française des espaces de rencontre pour le maintien des relations enfants-parents (FFER) (5). En particulier, ces visites médiatisées devaient-elles se dérouler dans un cadre individualisé et non pas collectif, comme celles qui sont traditionnellement proposées par ERF&M et dans les lieux similaires ? A Nîmes, le choix a été de faire varier la réponse en fonction de l’évaluation initiale de la situation établie par le référent ASE et la directrice de l’espace de rencontre (6). Soit les parents souffrent d’une pathologie mentale et/ou instaurent une relation toxique avec l’enfant : une nouvelle modalité de visite a été instaurée à leur intention le mercredi après-midi. Il s’agit de visites individualisées qui requièrent la présence permanente de deux psychologues cliniciens pour assurer la protection physique et psychique de l’enfant. Ces professionnels – présentés comme « intervenants » et non comme psychologues – ne sont pas systématiquement les mêmes afin de ne pas instaurer un système de référents de la situation. D’une durée maximale de deux heures, les visites médiatisées peuvent, ponctuellement, être assorties d’entretiens avec les parents « dans un but d’échange, d’écoute sur le ressenti et le sens donnés à ces visites », explique Martine Sausse. Tous les six mois, un bilan des rencontres est dressé. Il n’y a aucun rapport écrit sur leur contenu, mais un retour oral qui se fait, en présence du/des parents, lors d’un entretien réunissant le référent de la famille et un professionnel de l’équipe des visites.

En dehors des ces situations pathogènes, les parents dont les enfants font l’objet d’une mesure d’assistance éducative ne relèvent pas d’un dispositif spécifique : ils sont accueillis, comme et avec le public habituel, dans le cadre collectif du samedi. Selon l’affluence, deux ou trois intervenants, présents à tour de rôle sur les trois sites dont dispose ERF&M (Nîmes, Alès et Bagnols-sur-Cèze), assurent l’accompagnement des rencontres. Mixité de genres, mixité sociale, mixité des situations familiales, mixité de métiers des 13 professionnels de l’équipe (travailleurs sociaux, psychologues, médiateur interculturel…): le samedi, chacun vient voir son ou ses enfants et se trouve immergé dans un ensemble mouvant et diversifié. « Ces mises en présence, qui multiplient les interrelations possibles, sont une ouverture à la reconnaissance mutuelle », souligne Martine Sausse. En particulier, le fait de côtoyer des parents dont le motif d’orientation vers l’espace de rencontre est différent du leur permet aux parents d’enfants placés de ne pas se sentir stigmatisés. D’autant qu’en matière de compte rendu des rencontres, les situations de l’ASE ne dérogent pas à la règle du lieu : « la restitution, exclusivement orale, se fait en toute transparence », explique Martine Sausse. Cette position, qui est celle de nombreux autres membres de la FFER, est loin d’aller de soi. « Cela énerve beaucoup les juges des enfants, qui ont la culture de l’écrit », reconnaît la responsable d’ERF&M. « Mais c’est l’ASE, et non les magistrats, qui nous désigne nommément, quand elle estime intéressant de recourir à un lieu tiers, dégagé de l’histoire de la prise en charge et du suivi éducatif de l’enfant ».

C. H.

Notes

(1) Lors d’une rencontre du Club ASE organisée le 4 février dernier au Kremlin-Bicêtre par Idéal Connaissances : 93, avenue de Fontainebleau – 94276 Le Kremlin-Bicêtre cedex – Tél. 01 45 15 08 68 – s.roblet@idealconnaissances.com.

(2) L’avenir du juge des enfants – Ed. érès 2010 – Voir ASH n° 2653 du 2-04-10, p. 45.

(3) L’échec de la protection de l’enfance – Ed. Dunod, 2003 – Voir ASH n° 2341 du 9-01-04, p. 37.

(4) Dans sa contribution sur « Les services sociaux face à la médiatisation du droit de visite » – Revue de droit sanitaire et social n° 5/2009 – Septembre-octobre 2009.

(5) La FFER regroupe deux tiers des 130 espaces de rencontre actuellement recensés.

(6) La pratique d’ERF&M n’est pas celle de tous les espaces de rencontre qui réalisent des visites médiatisées.

Décryptage

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur