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Séjour à Zuydcoote

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Depuis un an, tout près de Dunkerque, à Zuydcoote, l’Escale propose 16 places à des adultes handicapés moteurs pour une durée maximale de 90 jours par an, offrant ainsi un répit à leurs familles. Un mode d’accueil qui requiert de l’équipe de la réactivité et une grande écoute des usagers.

« C’est un travail à dimension humaine, dans une structure à taille humaine. » Aide médico-psychologique (AMP), Marie-Line Vilain apprécie la formule de l’Escale, un accueil temporaire pour adultes handicapés moteurs âgés de 18 à 60 ans. Six places en hébergement et dix en accueil de jour, pour un maximum de quatre-vingt-dix jours par an et par personne (1). Le turn-over est important, mais l’équipe restreinte (18 personnes au total) le gère apparemment sans stress. Le service est récent, et la routine n’y existe pas. L’association Aide aux personnes à handicap moteur (APAHM) (2) l’a ouvert il y a un an à Zuydcoote, sur la côte d’Opale, juste à côté de Dunkerque.

Ce lundi après-midi d’avril, c’est l’effervescence. « Le lundi et le vendredi sont des journées chargées, car une personne qui vient passer le week-end arrive le vendredi et repart le lundi, explique Guillaume Coubel, éducateur spécialisé. C’est le choix de la qualité, pour ne pas brader l’accueil. Nous pourrions organiser arrivées et départs le samedi et le dimanche, mais ce sont des jours où nous sommes plus légers en personnel. » Dans le hall d’accueil, on se croise. Des aidants familiaux viennent chercher leur fils. Sabra Paradela, AMP, et Sophie Plancke, aide-soignante, proposent à ceux qui le souhaitent un atelier massage du visage. Des malades atteints de sclérose en plaques, réunis dans un groupe de parole, viennent visiter l’établissement avec leurs conjoints pour éventuellement bénéficier de ses services. A une visiteuse qui s’étonne de cette affluence dans les couloirs, une aide-soignante répond avec le sourire : « Il y a de la vie, ici, vous savez ! »

Le bâtiment est neuf, de plain-pied avec de grandes baies vitrées, des espaces verts et des terrasses pour chaque chambre. Y travaillent six AMP, quatre aides-soignantes, deux infirmières sur un temps plein et demi, un éducateur spécialisé chargé de la coordination de l’équipe, ainsi que, à temps partiel, une psychologue (0,15 ETP), un médecin et un kinésithérapeute (0,20 ETP chacun). Du côté de l’administration, une maîtresse de maison, un homme d’entretien, une secrétaire et un directeur assurent la bonne marche de l’établissement. L’Escale est installée à proximité de la plage, non loin de l’hôpital maritime spécialisé dans la rééducation fonctionnelle. « L’histoire de l’APAHM est partie de là, raconte Franck Lansiaux, directeur de l’Escale et ancien éducateur spécialisé. Il y a vingt ans, deux éducateurs et une assistante sociale de l’hôpital se sont demandés comment de jeunes adultes handicapés pouvaient vivre une vie autonome sur Dunkerque. C’est ainsi qu’est née l’association, avec ses six premiers appartements expérimentaux, entièrement domotisés. » Dans la région Nord-Pas-de-Calais, l’APAHM a été pionnière de l’automatisation des lieux de vie des handicapés moteurs.

La pertinence du service

L’association n’a jamais cessé de questionner ses pratiques. L’Escale est née de cette préoccupation constante : offrir les meilleurs services à l’intention des handicapés moteurs. « L’idée de l’accueil temporaire remonte à 2003, à un colloque durant lequel nous avons eu des témoignages forts de détresse humaine de personnes qui accueillaient un proche handicapé à domicile », se souvient Franck Lansiaux. Encore fallait-il vérifier la nécessité d’un tel service sur le secteur. Pendant un an et demi, l’association a étudié la faisabilité du projet avec les partenaires associatifs et institutionnels du pôle handicap de Dunkerque. Les objectifs : soulager les aidants familiaux et offrir un accès aux loisirs pour les personnes accueillies, dans une démarche de socialisation. Le projet a été validé en juin 2006 et, après la recherche des financements nécessaires, le premier coup de pioche donné en février 2008.

A l’Escale, on défend avec conviction la nécessité d’un accueil temporaire sur le Dunkerquois. « J’ai longtemps travaillé en hôpital, dans un service de rééducation, et je ne me rendais pas compte que le retour à domicile de la personne handicapée était si dur. Il y a une détresse des personnes qui s’occupent des patients, témoigne Anita Charlet, l’une des infirmières. On peut arriver à des situations de rupture familiale, où le couple casse. ». Et ce service doit répondre très rapidement à des demandes parfois urgentes. Nadia Boufellouh évoque ainsi l’histoire de ce monsieur qui devait se faire hospitaliser pendant trois semaines pour des troubles cardiaques. Il avait demandé d’urgence l’accueil de sa femme. L’Escale a accepté sa demande et la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) a accéléré la procédure. Trop tard, cependant : il est décédé le jour de l’admission de sa femme.

Ouverte en mars 2009, l’Escale bénéficie du savoir-faire des ergothérapeutes de l’APAHM. « Nous n’avons pas délégué la maîtrise d’ouvrage, car nous voulions que les chambres autorisent un tétraplégique à contrôler son environnement », défend Franck ­Lansiaux. Selon les personnes accueillies, l’une des qualités majeures du lieu est qu’elles ne dépendent plus des heures de passage de l’aide-soignante ou de l’auxiliaire de vie sociale pour les gestes quotidiens. Emue, l’équipe se souvient de cette dame de Meurthe-et-Moselle que l’infirmière de garde a trouvée éveillée, télé allumée et porte ouverte sur le jardin, à 23 h 30, une chaude nuit d’été. Cela faisait des années qu’elle devait éteindre les lumières à 20 h 30 et rester dans son lit jusqu’au lendemain matin. Elle avait retrouvé là une liberté de mouvements.

Un pavé tactile est accroché au lit ou au fauteuil roulant et, grâce à lui, toute la pièce s’anime : les lumières s’allument et s’éteignent, la télévision change de chaîne, la baie vitrée de la terrasse s’ouvre, le téléphone compose le numéro demandé. Les commandes peuvent aussi fonctionner au souffle si la personne est entièrement paralysée. La chambre, modulaire, s’adapte à l’état du pensionnaire. Une personne qui peut encore marcher devra se lever pour atteindre les interrupteurs. « On leur donne à voir ce qui existe, ils peuvent ainsi se renseigner pour adapter leur domicile, même s’il faut savoir que l’outil domotique coûte très cher », souligne Guillaume Coubel. Autre avantage de cette informatique embarquée : toutes les entrées de la résidence s’ouvrent et se ferment avec un badge personnalisé qui en contrôle les accès. « C’est utile pour des personnes totalement désorientées qui ont perdu leurs repères. On peut par exemple les autoriser à aller dans le jardin jusqu’à 20 heures, pas après », explique le directeur. L’aménagement du centre a aussi été conçu pour aider le personnel. Des rails de transfert permettant de lever les personnes sont installés dans les chambres et les sanitaires, ce qui évite les problèmes de dos.

Une ambiance familiale

Midi et demi. L’heure du repas, amené chaud de l’hôpital, a sonné. Des petites tables de quatre à six personnes, un décor soigné – nattes vert printemps sur le buffet, œufs de Pâques accrochés en décoration… On ne se sent pas dans un réfectoire mais dans une vraie salle à manger. Un petit coin cuisine avec comptoir sert aux pauses-café qui jalonnent la journée. L’ambiance familiale est voulue et entretenue. Le personnel est en habit de ville. On ne voit pas de blouses dans les couloirs. Dans les salles d’activités, des haut-parleurs diffusent une musique d’ambiance. On peut passer du hard-rock à la musette selon l’âge et le goût des présents. Reda Drici, 29 ans, victime d’un grave traumatisme crânien à l’âge de 13 ans, ânonne une phrase. Nadia Boufellouh, l’AMP qui le fait manger, tend l’oreille et lui demande de répéter. « Le plafond va te tomber sur la tête ? » Le jeune adulte fait oui, en riant. L’AMP commente : « C’est une blague, Reda adore faire des blagues. » Ici, l’enjeu consiste à s’adapter sans cesse aux nouveaux arrivants et à faire à chaque fois l’effort de les comprendre. « Nous sommes dans l’observation quotidienne », souligne Marie-Line Vilain, également AMP. Comme avec Stéphanie, paraplégique et atteinte de trisomie 21, qui communique par le biais de multiples bruits de bouche. L’équipe s’efforce de l’imiter pour établir le contact. D’autres pensionnaires se piquent au jeu, et l’affaire finit dans les rires. « C’est plus cool, ici, c’est moins strict que le reste », confie un jeune résident sportif, qui s’adonne au foot-fauteuil dans un club de la métropole lilloise.

Une visite préliminaire à domicile

Daniel Geraert, la cinquantaine, atteint de sclérose en plaques, apprécie lui aussi son séjour à l’Escale : « En juin, cela fera un an que je viens ici quinze jours tous les deux mois. Ma femme a besoin de souffler un peu car elle a beaucoup à faire avec moi. Et c’est très agréable pour moi. On voit plus de monde, cela change des hôpitaux. Toujours le médecin, les kinés… à force, on commence à en avoir marre ! » Et des sorties sont programmées presque tous les jours : visite d’un aquarium, d’un musée, petit café sur la promenade, le long de la plage…

L’adhésion des personnes accueillies n’est pas toujours immédiate. La demande de répit provient à 85 % de l’entourage. Alors le protocole d’inscription est rigoureux. La première étape consiste en une visite à domicile. C’est la mission principale de deux membres de l’équipe : Guillaume Coubel, l’éducateur spécialisé, et Anita Charlet, l’une des deux infirmières. Ils ont des regards complémentaires, l’un du côté socio-éducatif, l’autre du côté soins. « La première limite à l’admission est médicale. Nous ne pouvons pas prendre en charge de gros soins infirmiers », explique Anita Charlet. Guillaume Coubel, lui, est attentif aux centres d’intérêt de la personne aidée et à ses rythmes de vie. Il va aussi s’attacher aux profils psychologiques de la famille. « Il peut y avoir une note de culpabilité pour l’aidant et la demande d’admission peut être vécue comme une trahison par la personne handicapée, qui est alors dans la réprobation. Elle fait passer le message que ce projet d’accueil n’est pas le sien », décode Franck Lansiaux. Il faut alors prendre le temps de comprendre et de dédramatiser. Que l’Escale n’est pas adossée à un institut médico-éducatif (IME) et ne gère que de l’hébergement temporaire sont des arguments de poids. Guillaume Coubel le confirme : « Les gens ne veulent pas entendre parler de structure. Ils nous comparent à un centre de vacances. Je me souviens d’une personne très réfractaire, alors que ses parents avaient vraiment besoin de repos. Elle a accepté d’essayer deux ou trois jours et le séjour s’est bien passé. Elle disait ensuite : “Je suis venue en vacances.” » Au point, pour une autre pensionnaire, d’envoyer une carte postale à sa famille, comme on le ferait de Côte d’Azur ou de Bretagne, alors qu’elle habite à moins de 15  km du centre.

Lors de cette première visite, un livret d’accueil est remis à la famille. C’est un questionnaire en trois volets, médical, socio-éducatif et administratif, à remplir obligatoirement. Un deuxième rendez-vous est programmé à l’Escale, dont Franck Lansiaux détaille le processus. « Il s’agit de faire connaissance avec les résidents et le lieu. Puis, à partir du livret, on construit les modalités de l’accueil. » Dernière étape : la commission d’accueil se réunit tous les jeudis matin et accepte, ou non, l’admission. « Nous prenons en charge individuellement la personne avec une approche personnalisée de son handicap, de ses désirs », indique Marie-Line Vilain. Ensuite, il faut obtenir l’autorisation de la MDPH. « A notre ouverture, on attendait huit semaines pour obtenir sa notification. Aujourd’hui, nous sommes plutôt dans des délais de l’ordre de trois à quatre mois », constate le directeur. Après un an de fonctionnement, entre 80 et 85 personnes ont déjà été accueillies à l’Escale, et une ou deux demandes sont reçues chaque jour. « Pour être viable, la structure doit atteindre le nombre de 150 personnes en turn-over. Le contrat sera rempli à la fin de l’année », précise le responsable. Le prix de la journée, en hébergement complet, est de 159 € et la structure a un budget annuel de fonctionnement de 850 000 €.

Si l’Escale est sur le point de gagner son pari économique, elle doit aussi s’adapter à des situations qui n’avaient pas été imaginées lors de sa conception. D’abord, l’accueil de jour – sollicité par des personnes habitant à proximité, et souvent une seule fois – ne fait pas le plein : le taux d’occupation des dix places disponibles ne se situe qu’entre 50 % et 55 %. « Tout se passe comme s’il devait y avoir un préalable, comme s’il fallait vérifier qu’on s’y plaît avant de passer à l’hébergement », constate Franck Lansiaux. En revanche, les six places en internat, demandées aussi par des personnes venant d’autres départements, sont occupées à 98 %. L’Escale a donc le projet de construire des chambres en plus et de basculer à dix places en internat et à six places seulement en accueil de jour. Ce qui devrait sans doute entraîner un renforcement de l’équipe. Puis une autre surprise, « la démarche de soins est plus importante que prévu », observe le directeur. Un exemple ? Les AMP et les aides-soignantes ont suivi une formation sur les aspirations trachéales (nécessaires pour les patients intubés ou trachéotomisés) et viennent de valider leur diplôme. « Nous sommes obligés de nous remettre en question car nous avons toujours de nouvelles personnes accueillies, et celles que nous connaissons déjà peuvent avoir des pathologies évolutives, explique Marie-Line Vilain. Nous devons sans cesse innover et beaucoup discuter entre nous. » Une stratégie qui n’est tenable que grâce au petit nombre de personnes accueillies, une douzaine par jour. « Cela change la donne. Nous ne sommes pas dans un mode de fonctionnement institutionnel, avec des règles strictes à respecter. Nous sommes nettement moins dans la contrainte », affirme-t-elle.

Le partage des expériences

Les temps en équipe sont évidemment indispensables. Tous les jours, à 14 h 30, une réunion d’une demi-heure se tient entre l’équipe du matin et celle de l’après-midi, sous la direction de Guillaume Coubel. Ce lundi, les AMP s’inquiètent qu’un pensionnaire atteint d’une jaunisse n’ait aucun régime à suivre. L’infirmière décode : « C’est une jaunisse médicamenteuse, cela n’a rien à voir avec l’alimentation. En revanche, cela explique qu’il soit en sevrage de ses médicaments. » L’équipe du matin évoque chaque personne accueillie. Entre autres, ce nouvel entrant qui a l’habitude de s’endormir en musique. Trois écrits complètent le dispositif : une fiche de soins individuelle, tenue sous clé à l’infirmerie afin de garantir sa confidentialité ; un classeur-nursing avec fiches d’observation ; un cahier pour faire le point sur la logistique quotidienne (le linge, par exemple). Cette réunion est complétée par un rendez-vous hebdomadaire avec toute l’équipe. Et en vue de partager les expériences difficiles, un groupe d’analyse de pratiques se tient le quatrième mercredi de chaque mois, avec le psychologue. Enfin, chaque année, entre Noël et le jour de l’An, alors que l’établissement est fermé, deux jours sont consacrés à l’évaluation interne afin de théoriser le fonctionnement de l’Escale. Le but : s’adapter au mieux à l’évolution des demandes et des personnes.

Le livre d’or témoigne de ce répit qu’est l’Escale pour les aidants : « Suis-je égoïste, peut-on y lire, si je vous dis que réellement je me suis reposée sur vous ? J’ai même fait du vélo, un vélo neuf qui date de dix ans. Mais depuis la déscolarisation de Jennifer, j’avais surtout le permis fauteuil roulant. » La mère de Reda Drici le dit simplement : « On vit pour deux. Moralement, physiquement, c’est très fatigant. Je me ressource un peu quand il est ici, et je sais que pour lui c’est un bonheur. Moi, j’en profite pour aller voir la famille, qui habite dans des lieux inaccessibles au fauteuil de Reda. » Elle vient de Lille pour profiter de l’Escale, et regrette que l’information passe si mal sur ces lieux qui soulagent les familles.

Guillaume Coubel pose cependant les limites du champ d’action de l’Escale. « Que se passe-t-il le jour où nous sommes dans l’impossibilité d’accueillir la personne, parce que la maladie a trop évolué ou parce que nous n’avons pas de places disponibles dans les périodes voulues ? Il ne faut pas qu’on devienne indispensable. » Franck Lansiaux approuve : « Nous ne sommes qu’un petit maillon de la chaîne, et quand l’aidant arrive chez nous, c’est souvent en termes de survie que la problématique se pose. Il devrait y avoir une continuité du dialogue après la sortie de l’hôpital pour avoir un interlocuteur en cas de problème. » Avant de conclure : « La solution est sans doute dans la création d’un véritable service d’aide aux aidants. »

Notes

(1) L’Escale : rue des Crevettes – 59123 Zuydcoote-Nord – Tél. 03 28 63 75 20.

(2) APAHM : 760, boulevard de la République – BP 4227 – 59378 Dunkerque Cedex 01 – Tél. 03 28 63 75 20 – apahm@wanadoo.fr

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