Un an et demi après un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur le sujet (1), la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS) et neuf autres organisations – des réseaux associatifs (2) et la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (MSA) – veulent interpeller les pouvoirs publics sur les moyens de lutter contre la précarité et l’exclusion en milieu rural. La démarche s’inscrit dans la lignée d’une étude diffusée en octobre dernier, réalisée par l’Institut régional supérieur du travail éducatif et social de Bourgogne (Irtess) et pilotée par la délégation bourguignonne de la FNARS (3). « Elle est née à la fois de l’existence d’une convention de partenariat liant la FNARS et la caisse centrale de la MSA et de la volonté de mettre en réseau les acteurs de l’insertion et du secteur agricole, explique Yann Even, délégué de la FNARS Bourgogne. Très vite, nous nous sommes rendu compte que, chacun avec nos spécificités, nous partagions les mêmes constats. Nous avons voulu pointer cette réalité et aller plus loin pour proposer des réponses structurées. » Intégrer la question de la ruralité de manière transversale dans les politiques sociales, sanitaires et d’emploi ainsi que dans les politiques de développement territorial sont les axes forts des propositions détaillées par les organisations partenaires, dans une note d’analyse, à l’appui d’expériences locales existantes. Celles-ci doivent être débattues lors d’une journée d’échanges, le 21 mai, avec près de 150 acteurs représentant les réseaux concernés et les collectivités locales et territoriales.
Selon l’IGAS, le taux de pauvreté monétaire moyen dans l’espace rural était de 13,6 % en 2006, contre 11,3 % dans l’espace urbain. « La ruralité est souvent négligée par les analyses des phénomènes d’exclusion et de précarité », rappellent les organisations. « Pourtant, il apparaît de véritables spécificités en termes de logement, d’emploi, de santé, de mobilité, d’accès aux droits qui amplifient la pauvreté dans les zones rurales. » Parmi ces caractéristiques en effet, plus ou moins fortes selon les territoires, figurent l’enclavement géographique, le manque de transports urbains qui freine l’accès au travail, l’éloignement des services publics et l’existence d’une part importante de logements anciens et dégradés. A cela s’ajoute l’isolement social, qui rend la pauvreté plus silencieuse. Celle-ci touche notamment les familles monoparentales, « néorurales », les jeunes et les exploitants agricoles. « Les personnes montrent une certaine capacité à intégrer leurs difficultés, d’une part, parce qu’elles peuvent recourir à une forme d’économie de subsistance, d’autre part, parce que, face à une forte visibilité sociale, source de stigmatisation, elles ont tendance à s’isoler pour ne pas montrer leur situation et bricoler des réponses. Pour elles, la demande ne s’exprime que lorsque le travail social va à leur rencontre », explique Yann Even (4).
Pour les organisations, la mise en place des pactes territoriaux d’insertion et la redynamisation des comités départementaux d’insertion par l’activité économique pourraient favoriser la coopération avec les intervenants sociaux au sein de « véritables projets politiques de territoire ». Par ailleurs, les démarches de développement local « doivent intégrer de manière plus forte les objectifs de lutte contre l’exclusion et la pauvreté en prenant en compte notamment les actions de développement social ». Celles-ci permettraient ainsi d’articuler l’accompagnement individuel et les interventions collectives, à même de favoriser la mixité des publics, la participation des habitants et la transversalité des actions.
Autre recommandation : généraliser les expériences d’aide à la mobilité « afin d’assurer un véritable service de transport public en milieu rural ». Pour maintenir une offre de soins de proximité et promouvoir la prévention, les maisons de santé pluridisciplinaires doivent être développées (5), plaident encore les organisations, de même que les réseaux « santé précarité » et les programmes régionaux d’accès à la prévention et aux soins. « Il est important d’avoir des implantations locales. Or nous nous interrogeons sur les effets de la révision générale des politiques publiques et des réorganisations qu’elle entraîne sur la perte de la notion de proximité au profit de la rationalité budgétaire », précise le délégué de la FNARS Bourgogne. Partant du constat que le recours aux prestations sociales est moindre en milieu rural, les partenaires proposent de renforcer les actions d’animation territoriale et de « décentraliser » les accueils sociaux.
Sur le front de l’emploi, ils rappellent une nouvelle fois le rôle important de l’insertion par l’activité économique dans des zones désertées par les services et les entreprises. Ils demandent une plus forte participation de ce secteur aux projets de développement économique, notamment par la multiplication des clauses sociales dans les marchés publics. Elles préconisent également une « clause ruralité » qui pourrait prendre en compte certaines particularités dans la gestion des services, comme les surcoûts économiques liés aux transports et à la gestion d’accueil de proximité. Enfin, elles insistent sur la nécessité de développer l’observation afin de compléter le peu d’indicateurs existant sur la pauvreté en milieu rural et de « dépasser l’approche de la pauvreté en termes monétaire » pour appréhender une « approche plus qualitative et quantitative ».
(1) « Pauvreté, précarité, solidarité en milieu rural », septembre 2009 – Voir ASH n° 2642 du 15-01-10, p. 7.
(2) Chantier école, Comité national de liaison des régies de quartier, Familles rurales, Fédération des centres sociaux et socioculturels de France, Fédération des PACT, Fédération nationale des centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural, Habitat & développement, Solidarité paysans.
(4) Voir aussi l’interview du sociologue Alexandre Pagès, qui a enquêté pendant deux ans sur la pauvreté en milieu rural, dans les ASH n° 2613 du 12-06-09, p. 42.
(5) Ce qui correspond d’ailleurs à la volonté du gouvernement – Voir ce numéro, p. 11.