Recevoir la newsletter

« Nous sommes face à une crise de croissance de la psychiatrie de secteur »

Article réservé aux abonnés

Faut-il réviser l’organisation territoriale de la psychiatrie ? C’est en tout cas l’avis formulé par le Sénat dans un récent rapport (1). Créée voilà plus de cinquante ans, la psychiatrie de secteur n’est-elle plus en phase avec les attentes de la société ? Le point de vue du psychiatre Vassilis Kapsambelis, qui a collaboré au livre « Le souci de l’humain : un défi pour la psychiatrie ».

En quoi l’ASM 13 a-t-il préfiguré, lors de sa création en 1958, la psychiatrie de secteur ?

Depuis la création de la psychiatrie, vers la fin du XVIIIesiècle, il y avait un consensus sur le fait que la maladie mentale devait être soignée dans un lieu spécifique (l’hôpital psychiatrique), séparé du milieu naturel des patients et coupé des autres spécialités médicales. L’idée qui a présidé à la création de l’ASM 13 [Association de santé mentale du XIIIearrondissement] visait au contraire à soigner les gens au plus près de là où ils vivent, si possible avec la participation de leur entourage et, globalement, de la société. D’orientation psychanalytique, l’ASM 13 a été la première structure en France à intervenir sur un territoire délimité, afin de suivre les troubles psychiatriques et psychologiques de ses habitants.

Ce modèle vous paraît-il encore adapté à la société actuelle ?

Pouvoir offrir des soins de proximité me semble plus que jamais adapté. C’est d’ailleurs ce qui existe pour les autres maladies. On a besoin de voir un gynécologue ou un dermatologue près de chez soi, et pas à 50 km. En outre, la psychiatrie est une discipline médicale comme les autres, et il n’y a pas de raison d’isoler la personne malade pour la soigner.

Dans Le souci de l’humain, vous soulignez que la psychiatrie de secteur vit une crise de croissance…

Il faut rappeler que, pendant très longtemps, les états dépressifs ou ce que l’on appelle la « souffrance psychique » n’existaient pas dans la nosographie et n’étaient donc pas pris en charge par l’aliéniste, plus tard par le psychiatre. De même, lors de la création du secteur, les pères fondateurs faisaient essentiellement référence aux psychoses. D’autant que c’étaient surtout les psychotiques qui se trouvaient confinés dans les hôpitaux psychiatriques. Mais aujourd’hui, dans un arrondissement comme le nôtre, sur 3 500 personnes suivies, seules 1 500 souffrent de psychoses. Les autres patients présentent des névroses, des états dépressifs, des troubles de la personnalité… Autrefois, beaucoup d’entre eux n’auraient jamais envisagé d’aller frapper à la porte d’un organisme de soins psychiatriques pour parler de leurs problèmes. Aujourd’hui, ils viennent pour envisager une psychothérapie, mettre en place un travail d’accompagnement… Cela démontre le succès du secteur mais, dans la mesure où l’on n’a pas augmenté les moyens en proportion, nous faisons effectivement face à une crise de croissance. Surtout dans certains secteurs de province qui ont démarré plus tard, et n’ont pas bénéficié de la période de développement des années 1960 et 1970. La situation s’est globalement figée au cours des vingt dernières années, ce qui a pérennisé les inégalités de départ.

L’avenir de la psychiatrie de secteur passe-t-il par une participation accrue à des réseaux de soins ?

De fait, à partir du moment où notre environnement a changé, il faut repenser notre rapport avec lui. A partir des années 1960, on a vu apparaître des cliniques spécialisées, des psychiatres de ville, des dispositifs de suivi ambulatoire… Les associations de parents ont créé des structures et l’Université a produit un grand nombre de psychologues, dont beaucoup se sont installés en cabinet. Le secteur n’est donc plus le seul à faire de la psychiatrie ambulatoire dans la cité. D’ailleurs, nous faisons déjà du travail en réseau. Dans ma pratique professionnelle quotidienne, il m’arrive souvent d’orienter des personnes vers des collègues du privé. Le problème est que cela se fait en ordre dispersé. Ce n’est pas pensé. Il n’y a aucune discussion préalable avec les autres acteurs, en particulier les psychiatres.

Justement, dans son rapport présenté la semaine dernière, le Sénat propose de repenser l’organisation territoriale de la psychiatrie, avec la création de groupements locaux de coopération pour la santé mentale. Etes-vous favorable à cette idée ?

La coopération entre professionnels afin d’offrir un soin de meilleure qualité me semble absolument nécessaire. Maintenant, c’est autre chose de laisser le secteur privé faire son marché et accaparer les patients qui l’intéressent cliniquement ou financièrement en laissant ceux dont il ne veut pas. C’est encore autre chose d’entendre dire que, comme le prix de journée des cliniques privées est moins élevé que celui des hôpitaux publics, on va orienter de préférence les malades vers elles. Les temps étant ce qu’ils sont, il faut malheureusement faire le tri entre une réorganisation du secteur évidente et l’existence tout aussi évidente d’arrière-pensées.

Ces groupements associant des structures de soins, des institutions sociales, des associations de patients ou des collectivités ne feraient-ils pas perdre de son autonomie au secteur ?

Résolument, non. Le travail en collaboration fait partie du code génétique du secteur. Un maire adjoint du XIIIearrondissement siège depuis quarante ans au conseil d’administration de l’ASM 13. Je suis moi-même régulièrement en contact avec le maire et le commissaire de police. Notre département enfants et adolescents est en lien avec les proviseurs d’arrondissement. Quant aux associations représentant les malades mentaux et leurs familles, elles siègent au conseil d’administration depuis dix ans. En réalité, si certains de nos collègues psychiatres redoutent cette collaboration, c’est parce qu’ils savent qu’elle risque de devenir, par moments, la chambre de résonance des peurs de la société et qu’on va leur demander de participer au maintien de l’ordre pour telle ou telle personne présumée folle et qui met le bazar dans son quartier. Pour ma part, je ne suis pas offusqué quand le maire me demande d’intervenir. Mais je lui réponds que si cette personne n’est pas suivie chez nous et n’est pas considérée comme malade, c’est aux forces de l’ordre d’intervenir. Evidemment, ce type de discours ne passe pas toujours très bien, mais ce n’est pas une raison pour ne pas maintenir le dialogue.

Le 5 mai dernier, le gouvernement a présenté un projet de loi instituant des soins sans consentement qui pourraient être délivrés par les psychiatres de ville. Une telle mesure vous semble-t-elle compatible avec les principes fondateurs du secteur ?

La question est de savoir s’il est possible d’étendre la notion de soins sans consentement aux traitements ambulatoires. Or, en pratique, c’est déjà le cas. Si un patient va bien parce qu’il suit un traitement à l’hôpital, il n’y a pas de raison de refuser sa sortie. Mais si nous savons qu’il va arrêter son traitement sitôt sorti de l’hôpital, et qu’il aura donc à nouveau des troubles, nous utilisons la sortie d’essai sous internement. La personne vit normalement dehors, avec suspendue au-dessus de sa tête la menace du retour à l’hôpital si elle ne respecte pas son traitement. Je compte une bonne vingtaine de patients dans ce cas, et c’est pareil pour la plupart de mes collègues. Bien sûr, de temps à autre, la justice vient contrôler les internements et découvre que, sans qu’elle en ait été avertie, certaines personnes sorties depuis plusieurs années sont sous le coup de ces mesures renouvelées périodiquement, sans s’être signalées par des comportements violents ou inadaptés. Je comprends que, d’un point de vue juridique, le contrôleur des libertés, qui découvre ces situations, pousse des hurlements. Le projet du gouvernement permettrait de lever cette ambiguïté en officialisant la pratique actuelle. Maintenant, va-t-on s’en tenir là, ou la création de cette possibilité nouvelle ne va-t-elle pas entraîner une extension des soins sans consentements ? Les personnes sensibles à la question des libertés individuelles s’en inquiètent à juste titre. Puis il y a la question de savoir qui doit décider de ces soins sans consentement. Le préfet ou le juge ? Sur le plan idéologique, je pense comme beaucoup que, dans une société démocratique, il est préférable que la décision de privation de liberté relève de la justice et non de l’autorité administrative. Mais en pratique je ne pense pas que cela change grand-chose. Que ce soit le juge ou le préfet, il demandera un certificat médical et, en définitive, la responsabilité effective reviendra au médecin.

Notes

(1) Prisons et troubles mentaux : comment remédier aux dérives du système français ? – Mai 2010 – Disponible sur www.senat.fr – Voir ASH n° 2659 du 14-05-10, p. 21.

(2) L’ASM 13 est un établissement de santé PSPH (participant au service public hospitalier) qui comporte des centres médico-psychologiques adultes et enfants, de l’hospitalisation adultes et de nombreuses autres structures de soins adultes et enfants.

REPÈRES

Psychiatre et praticien hospitalier, Vassilis Kapsambelis est directeur général de l’Association de santé mentale du XIIIearrondissement de Paris (ASM 13). Psychanalyste, il est membre de la Société psychanalytique de Paris. Il collabore à l’ouvrage Le souci de l’humain : un défi pour la psychiatrie (Ed. érès, 2010), dirigé par Colette Chiland, Clément Bonnet et Alain Braconnier.

Rencontre

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur