Ils ont 13, 15, 17 ans…, une histoire familiale décousue, des carences éducatives, des parcours pavés d’abandons, de rejets, de mauvais traitements, voire d’abus sexuels. En grande souffrance, ils ont dévié peu à peu vers la délinquance, répétant vols ou violences. Aujourd’hui, ils se retrouvent placés par un juge dans des centres éducatifs fermés (CEF), au titre d’un contrôle judiciaire, d’un sursis avec mise à l’épreuve, d’un placement extérieur ou d’une libération conditionnelle. Dans ces lieux privatifs de liberté dépendant de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et qui ont suscité de vives polémiques à leurs débuts (1), les mineurs reçoivent un suivi intensif et global. Mais beaucoup d’entre eux révèlent en CEF des profils psychopathologiques complexes. « Certains résistent tellement aux réponses éducatives que les équipes se sentent incompétentes. Elles estiment qu’ils souffrent de troubles mentaux et relèvent de la psychiatrie. A l’inverse, en psychiatrie, on juge souvent qu’il n’y a pas de maladie constituée mais un déséquilibre de la personnalité qui se manifeste par des symptômes agis de l’ordre de la délinquance et de la violence », résume Michel Botbol, psychiatre à la direction de la PJJ. Trop malades pour les uns, pas assez pour les autres…, le risque est alors pour eux de se retrouver dans la situation de la « patate chaude ».
Dans le souci d’améliorer sa réponse, la PJJ expérimente depuis 2008 un renforcement du volet santé des CEF. Lancé en 2007 à l’initiative de Rachida Dati, alors ministre de la Justice, le projet, qui prévoit de financer des postes supplémentaires (deux infirmiers, un psychologue, un psychiatre), a cependant vite évolué, les acteurs du champ se montrant hostiles à ce qui s’apparentait fort à l’origine à des « CEF psychiatriques ». Les moyens accordés couvrent donc un dispositif plus ouvert. « On ajoute des compétences en interne pour accroître la capacité de l’équipe éducative à contenir certains troubles psychologiques et à mieux faire face ; mais on facilite en parallèle l’accompagnement des jeunes vers des soins à l’extérieur », développe Michel Botbol. Cinq CEF participent officiellement à l’aventure (2). Pour Yves Darnaud, directeur général de l’association de Sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence de la Drôme, dont le CEF, ouvert dès 2003 à Valence, a très tôt cherché à consolider les liens avec la psychiatrie, tout l’enjeu est de trouver « comment combiner le plus astucieusement possible, et au cas par cas, de l’action éducative, du soin et de la sanction ». Une combinaison qui ne va pas toujours de soi, mais qui, de l’avis des professionnels, se révèle riche lorsqu’elle fonctionne.
Avant tout, les CEF expérimentaux sont des CEF… comme les autres. « On ne prend pas que des jeunes avec une problématique “psy” et on privilégie la proximité », assure Hamady Camara, directeur du CEF public de Liévin (Pas-de-Calais), qui accueille dix garçons de 13 à 16 ans. Inévitablement, toutefois, le renforcement du pôle santé crée un appel d’air. « On a de plus en plus de demandes de toute la France pour des mineurs avec des pathologies psychiatriques lourdes et avérées. Mais il a été posé que renforcer l’équipe ne doit pas nous transformer en hôpital psychiatrique bis », affirme Emmanuelle Morcel, directrice du CEF de Valence, qui reçoit neuf garçons de 15 à 18 ans. En CEF, les modalités d’accueil des jeunes, placés pour six mois renouvelables une fois, varient d’une structure à l’autre, mais une évaluation « du mineur arrivant, tant sur le plan de sa situation scolaire et professionnelle que de sa situation sanitaire physique et mentale, devra être effectuée », stipule le cahier des charges. Un projet individuel doit ensuite être construit. Le séjour se découpe ainsi en trois phases – accueil-évaluation ; mise en œuvre du programme ; préparation à la sortie – au cours desquelles des synthèses sont réalisées, des rapports remis aux juges et des restitutions faites aux parents.
Sur le plan éducatif, l’objectif est de « permettre l’évolution des mineurs, de leur comportement, de leurs rapports aux autres et à la société », précise le cahier des charges. Il s’agit donc « de leur redonner du cadre et un rythme de vie, de leur (ré)apprendre le vivre ensemble, le respect de l’autre, à supporter la contrainte… », analyse Jean-Luc Przymencki, chef de service éducatif à Liévin. Il faut, de fait, se pencher sur le déni, l’estime de soi, la confiance mais aussi les actes commis, la situation au regard de la justice… Les règles sont strictes et les comportements et évolutions du jeune observés de près.
Les mineurs ont un planning serré et jonglent entre classe (avec un enseignant de l’Education nationale) et activités culturelles, manuelles, sportives… La santé doit être un axe de travail ; dans les CEF expérimentaux, elle est essentielle. Le pôle santé y est néanmoins à géométrie variable. Selon les établissements, les temps des infirmiers, des psychologues et des psychiatres diffèrent. Les recrutements se révélant en outre souvent difficiles, des postes sont restés vacants. Les infirmiers ont vocation « à aider les jeunes à être bien dans leur corps pour qu’ils se sentent mieux dans leur tête et à dégager les éducateurs de la partie santé », résume Pascal Maillot, infirmier à Liévin. Recueil de données, rendez-vous médicaux, élaboration d’un réseau « santé », traitements, instauration de la couverture maladie universelle, entretiens, activités thérapeutiques… figurent parmi les fonctions remplies. Lorsqu’un second infirmier est présent, cela permet de « développer des actions d’éducation à la santé et de mieux travailler sur l’hygiène, les usages de produits, l’alimentation… », témoigne Christine Majchrzak, infirmière à Valence. Les psychiatres rencontrent quant à eux tous les jeunes arrivant au CEF, assurent au besoin un suivi et prescrivent des traitements, travaillent sur les indications thérapeutiques, participent aux synthèses… Un second psychologue, qui s’ajoute à celui que comptent les CEF « ordinaires », complète en général l’équipe. A son actif, des entretiens réguliers, le suivi thérapeutique, des ateliers, des groupes de parole, des bilans, des tests… Au CEF de La Jubaudière (Maine-et-Loire), qui dépend de l’association des Cités du Secours catholique et accueille dix garçons de 13 à 16 ans, les missions sont distribuées avec précision. « Le parcours individuel du jeune revient à la psychologue initiale du CEF. Elle accompagne les familles, œuvre en lien avec les éducateurs référents, le juge. Celle du pôle santé se charge de la prévention, établit les partenariats adaptés, effectue les tests, explique Pascale Traineau, directrice. En outre, elle réunit tous les deux mois les familles pour un travail thérapeutique sur la réappropriation de l’autorité parentale, auquel participe le psychiatre, et propose aux parents ses services d’écoute en individuel. » Motiver la famille pour qu’elle entre dans une démarche de soins, un processus de changement, est aussi jugé essentiel à Liévin. « On cherche à lui montrer que le mineur n’est pas qu’un auteur d’actes délictueux mais aussi un être en souffrance. La famille rejette souvent la faute sur le jeune, alors qu’elle-même est dans un cheminement négatif », détaille Rémi Coisne, psychologue. Recevoir les parents permet aussi, complète Claude Bynau, psychologue à Valence, « de sentir la réalité des liens, les difficultés du milieu familial et de voir s’il faudra envisager un retour au domicile ou une solution plus autonomisée. »
En interne, les soignants apportent des éclairages à l’équipe éducative et aident à relativiser certaines tensions. « En proximité constante avec les jeunes, les éducateurs peuvent avoir du mal à prendre de la distance ou se retrouver dépassés par un déchaînement de violence. Ils sont parfois confrontés à des crises psychotiques, des comportements cliniques réels… », souligne Rémi Coisne. Certains jeunes sont dans l’agression constante, la provocation, ce qui peut épuiser les éducateurs. « En CEF, on essaie de travailler sur le long terme, la continuité du lien, même en cas d’incident. Du coup, les personnels restent face à leur agresseur. On essaie donc d’élaborer ensemble une ligne de conduite pour réussir à maintenir le suivi. » La qualité de la contenance de l’institution est au cœur des préoccupations. « Même ouverts, les CEF restent des lieux de privation de liberté. Cela génère de la frustration, de l’angoisse. Sans cesse entourés, les jeunes peuvent se sentir sous emprise. Nous ne cessons donc d’analyser nos pratiques pour voir ce qui fait qu’on est trop ou pas assez contenant, ce qui risque de provoquer des passages à l’acte brutaux ou l’infantilisation des comportements », analyse le psychologue.
La pluridisciplinarité impose cependant que chacun sache rester à sa place, afin que l’adolescent ne s’y perde pas et qu’un regard pluriel soit porté sur lui en vue de bien adapter l’orientation. Il s’agit de s’inscrire dans le cadre d’une clinique éducative, de « rechercher des effets de soin dans l’organisation, le fonctionnement et les pratiques du CEF », théorise Yves Darnaud. Croiser les opinions est une priorité. « Qu’elles émanent du cuisinier ou de l’éducateur, elles ont autant d’importance, c’est leur conjugaison qui compte. Il ne peut y avoir de primauté d’un pôle sur l’autre », explique Emmanuelle Morcel. Un exercice complexe. « L’articulation n’a rien d’évident, du fait des potentiels enjeux de pouvoir. Cela impose une vigilance permanente afin que chacun garde son identité, ne se sente pas bafoué par celle des autres, et que la parole circule », observe Pascale Traineau. Le jeune a besoin de se sentir face à une équipe soudée. « Les quelque trente personnels présents peuvent avoir des approches différentes mais ils doivent partager le même socle de valeurs à transmettre au mineur. Il lui faut des représentations d’adultes fortes, positives, pour se projeter dans autre chose », assure Maud Pétetin, directrice adjointe du CEF de Valence, où trois cadres veillent à la cohérence éducative. « Le jeune doit sentir que chacun travaille à sa place, mais ensemble », résume Claude Byneau.
Les rapprochements entre acteurs de l’éducatif et de la santé dépassent le cadre strict des CEF. La signature de conventions et protocoles avec la psychiatrie a en effet permis un décloisonnement et l’inscription des jeunes dans le droit commun. Elle apporte fluidité et réactivité dans la prise en charge en santé mentale. Les rendez-vous en centre médico-psychologique (CMP) se mettent en place aisément et les équipes coopèrent de mieux en mieux. « Grâce aux liens établis avec le pédopsychiatre intervenant au CEF, les jeunes accèdent aux services de l’intersecteur et à d’autres professionnels, tels des psychomotriciens », se réjouit Hamady Camara. « Quand un jeune psychotique a besoin d’aller en hôpital de jour pour des séances de sophrologie, de relaxation…, il n’y a pas de problème », confirme Pascale Traineau. Cette collaboration ne s’est pas faite du jour au lendemain, loin s’en faut. « Il faut que ces deux univers, du soin et du judiciaire, puissent se comprendre. On ne parle pas toujours de la même chose, il faut du temps pour que la coopération s’élabore », analyse Aurélie Duquesnoy, psychologue à Liévin.
A Valence, pour que naisse la confiance, chacun a dû revoir ses représentations. « Les soignants craignaient nos publics, médiatisés comme des sauvageons », remarque Emmanuelle Morcel. La différence de taille des équipes n’adoucissait pas la propension aux fantasmes. « Eux n’étaient que deux pour 25 patients ! En réalité, nous n’utilisons pas les mêmes outils. Quand quelqu’un est en crise, ils le mettent sous contention chimique, en pièce d’isolement… Au contraire, nous, nous laissons s’exprimer les symptômes pour travailler dessus », explique Maud Pétetin. Les hospitaliers redoutaient aussi que le CEF ait trouvé là un moyen de se débarrasser d’éléments gênants. A l’inverse, l’équipe avait une approche caricaturale de la psychiatrie et du mal à y recourir. « Parfois, une hospitalisation courte est nécessaire parce que la grande anxiété du jeune l’empêche de maîtriser ses pulsions », pointe Claude Byneau. « Tout cela est désormais intégré aux pratiques éducatives. Et sauf cas extrême, on va toujours au bout du placement », confirme Emmanuelle Morcel. Par ailleurs, l’évolution de la posture de l’équipe facilite l’acceptation du soin par le mineur, tout comme la présence d’une infirmière se partageant entre le CEF et le centre hospitalier Le Valmont participe à l’articulation. C’est par son interface, par exemple, qu’un jeune, qui avait passé trois ans en psychiatrie, a pu bénéficier d’un suivi sur mesure avec des allers-retours à l’hôpital. « Nous pouvions lui rendre visite mais aussi faire avec lui des activités sur place. Quand il allait mieux, il revenait au CEF pour faire des activités alors qu’il était sous le régime de l’hospitalisation et retournait le soir à l’hôpital… », raconte la directrice.
Enfin, la sortie du CEF, qui provoque de l’anxiété chez les jeunes, est travaillée en amont par tous les acteurs dans le but d’éviter des ruptures brusques. Certains retournent à leur domicile, d’autres rejoignent un foyer ou une famille d’accueil, et des relais sont instaurés avec les institutions nécessaires, en lien avec l’éducateur « fil rouge » de la PJJ. A La Jubaudière, un renforcement du suivi post CEF des jeunes ayant des troubles « psy » se met en place. « Souvent, rien n’est prévu après la sortie. Or un jeune psychotique a besoin de béquilles, d’un cadre contenant, sur le long terme », souligne Pascale Traineau. Un mineur pris en charge par l’hôpital de Cholet, avec qui le CEF est en convention, est ainsi emmené chaque mois à Nantes, où vit sa mère, pour effectuer un soin et tisser des liens. Après son départ, la psychologue du pôle santé assurera un suivi partiel à domicile. « Le dispositif est à peaufiner mais l’idée est de ne s’effacer qu’une fois les repères bien construits », poursuit-elle.
L’expérimentation n’en est qu’à ses débuts, mais elle suscite d’ores et déjà l’engouement des équipes. « Cette expérience est très novatrice. Jamais on n’a introduit à ce point le soin dans un lieu où les problèmes sont traités sous l’angle pénal. On ne s’en tient pas au délit, on s’intéresse à la souffrance », estime Claude Tabet, chef du pôle de pédopsychiatrie du centre hospitalier de Lens intervenant à Liévin. Le travail sur la globalité des problématiques, c’est aussi ce qu’apprécie Jean-Luc Przymencki, à la PJJ depuis 30 ans. « Pour enrayer les problèmes de délinquance, on ne peut plus se cantonner à l’axe de l’insertion sociale et scolaire. Certains enfants ont de telles histoires, de tels problèmes psychologiques, voire psychiatriques, de telles addictions… qu’on ne peut plus faire l’impasse sur la santé mentale. » C’est également un moyen de toucher des mineurs qui n’auraient sans doute jamais consulté. « Ces jeunes passent au travers des mailles des institutions. Je ne les vois pas dans mon service. Ils n’ont pas de demande », reprend le pédopsychiatre. En six mois, au CEF, il lui semble possible de les amener à faire du chemin, à accepter une aide, à être dans le relationnel. « Beaucoup disent qu’ils aimeraient changer, qu’ils réitèrent des actes sans comprendre pourquoi, qu’ils n’ont pas envie d’aller en prison. Leurs problèmes étant plurifactoriels, il faut une approche pluridisciplinaire et travailler en profondeur. On essaie là d’être en amont de la répétition des actes », assure-t-il. A Valence, même constat : le dispositif est jugé pertinent. « Les CEF sont une alternative à l’incarcération. Ils en sont aussi une, efficace, à des structures éducatives qui, en difficulté face à ces “incasables” dont beaucoup nécessitent un suivi thérapeutique, participaient à leur parcours chaotique. Mais c’est également une alternative à une médicalisation excessive des comportements de ces mineurs, dans la mesure où œuvrer étroitement avec la psychiatrie autorise à voir jusqu’où nos pratiques éducatives ont des effets de soin », analyse Yves Darnaud. Pour ce dernier, le volet santé mentale est incontournable en CEF où les moyens offerts permettent un vrai suivi collectif et individuel. « Sans la loi pénale et sans le soin, nous sommes confrontés à des jeunes qui ne seraient pas accessibles à une prise en charge éducative », résume-t-il. De même, témoigne Claude Byneau : « Cette obligation de soins, pas mal décriée dans le milieu psy, se révèle assez opérationnelle. Certes, il faudrait savoir ce que deviennent ces mineurs deux à cinq ans plus tard, mais s’il faut attendre qu’ils manifestent la volonté de s’en sortir, ça peut durer longtemps. Ici, rapidement, ils viennent aux entretiens sans difficulté. »
Maints jeunes sortent du CEF avec l’envie et l’espoir de changer, une meilleure confiance en eux et dans les adultes, de nouvelles défenses. « Avec certains, très orientés vers les déviances, on a pu aboutir à un réaménagement psychique réel. D’autres parviennent désormais à dire ce qu’ils ressentent, à aller vers un adulte quand ça ne va pas au lieu de se cogner ou de se scarifier… Ce n’est pas gagné pour tous, mais il y a des avancées auxquelles on ne parvenait pas avant », assure Rémi Coisne. Aucune évaluation d’envergure ne permet cependant d’attester des résultats. Quelques éléments ressortent toutefois d’une évaluation rapide faite à la fin de 2008 par la PJJ (3). « Nous ne pouvons rien dire d’un effet sur le parcours des jeunes, reconnaît Michel Botbol. En revanche, nous avons noté l’amélioration de la contenance de l’institution, de son fonctionnement, de l’articulation avec le secteur de la psychiatrie et la quasi-disparition du phénomène de la patate chaude. » Sur les professionnels eux-mêmes, l’expérimentation a un impact palpable. « L’équipe a beaucoup moins de craintes à travailler avec des jeunes sous traitement. Nous n’avons plus le même regard sur les demandes d’admission, les appréhensions sont tombées, et il y a même un plaisir à intervenir là-dessus », affirme Emmanuelle Morcel, soulignant que les arrêts maladie ont été divisés par trois. Même bénéfice à Liévin où Rémi Coisne observe un effet boule de neige. « Comme on devient plus contenant, le jeune contient mieux ses émotions et les personnels sont moins en souffrance. Le renforcement des moyens permet de prendre de la distance par rapport aux actes. » Les équipes avouent d’ailleurs qu’elles ne pourraient plus se passer du dispositif. « C’est un vrai plus. Et plus on avance dans le temps, plus cela s’ancre dans notre projet », pointe Hamady Camara.
Le surcoût généré, en période de restrictions budgétaires, fait laisser redouter à certains la non-pérennisation du dispositif. Un argument que balaie Pascale Traineau. « On coûte 565 € par jour, dont 180 pour le pôle santé. Un établissement pénitentiaire pour mineurs, c’est 1 700 €; l’hôpital, autant. Sans pôle santé, il y aurait plus de clashs. S’il faut deux mois pour avoir un rendez-vous avec un psychiatre pour un mineur ayant des hallucinations, celui-ci pétera un plomb et finira incarcéré ou aux urgences… C’est dans l’intérêt de l’Etat que ça tienne. Le pôle santé a vraiment permis que l’hôpital œuvre en partenariat avec nous. Tous les CEF devraient en bénéficier. » Un avis que partage Yves Darnaud, pour qui « ces gosses coûtent très cher, de toute façon, à la société, de par leurs incivilités, leurs délits, les prises en charge avortées ».
Si la généralisation du dispositif n’est pas à l’ordre du jour, la PJJ s’apprête néanmoins à le développer dans quatre à six autres structures. « Cette fois, nous ne retiendrons que des CEF pour qui existe une candidature conjointe du secteur. L’objectif est de créer des liens entre les deux institutions malgré les obstacles pratiques, liés à la sectorisation, mais aussi idéologiques. Le renforcement ne peut être efficace que s’il porte sur les deux partenaires unis autour d’un projet de prise en charge des mineurs les plus difficiles », résume Michel Botbol. Sans cela, grands sont les risques d’accroître le fossé et de créer des CEF psychiatriques. Mais maintes résistances persistent. « Notre système psychiatrique mais aussi éducatif et judiciaire considère – souvent à juste titre – que le mélange des genres entre psychiatrie et justice pose problème. Aujourd’hui, psychiatres et éducateurs reconnaissent que la prise en charge conjointe des cas difficiles promue par les circulaires doit entrer dans la réalité, mais ont toujours du mal à la mettre en pratique », analyse-t-il. En toile de fond, le refus d’une psychiatrisation du social. Dans certains CEF expérimentant le volet santé, les clivages n’ont pu être surmontés et la coopération ne fonctionne pas comme attendu. A l’inverse, pour d’autres acteurs, les CEF ont ouvert une voie à suivre. Dans leur rapport Un meilleur partenariat santé/justice pour une justice pénale des mineurs efficace (4), des députés intéressés par le dispositif valentinois ont ainsi estimé que « dans chaque département, la DPJJ doit structurer un réseau de soins permettant de couvrir l’ensemble des soins psychiques, allant du CMP à l’hospitalisation en pédopsychiatrie, afin de permettre la continuité des soins psychiques pour les jeunes placés en établissement et lorsqu’ils retournent à leur domicile ».
(1) Ils ont été créés par la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002.
(2) Il s’agit des CEF de La Jubaudière (Maine-et-Loire), Liévin (Pas-de-Calais), Moissannes (Haute-Vienne), Savigny-sur-Orge (Essonne) et Valence (Drôme). Toutefois, deux structures, les CEF de Saint-Venant (Pas-de-Calais) et de Soudaine (Corrèze) partagent avec les CEF de Liévin et de Moissannes les moyens affectés – Les ASH n’ont pas été autorisées à interroger le CEF de Savigny-sur-Orge.
(3) Une évaluation plus approfondie doit être prochainement lancée pour étudier les évolutions de l’institution, ses réactions, les modalités de prise en charge, la qualité du fonctionnement…
Pour bâtir des ponts avec les secteurs de psychiatrie, les CEF expérimentaux cherchent à susciter des échanges. « Il s’agit de faire entrer un représentant de l’autre institution dans sa propre institution », résume Emmanuelle Morcel, directrice du CEF de Valence. Dans ce cadre, diverses formules sont testées. Au CEF de Liévin, le chef du pôle de pédopsychiatrie du centre hospitalier de Lens intervient, par exemple, chaque semaine pendant que, à La Jubaudière, des éducateurs accompagnent des jeunes à des ateliers thérapeutiques sur le secteur. Mais le dispositif va au-delà, puisque des postes sont financés intégralement par les CEF alors que les professionnels n’y exercent qu’à temps partiel. Ainsi le psychiatre de Valence se partage-t-il entre le CEF et la maison des adolescents, où, en parallèle, un éducateur du CEF est détaché à mi-temps (voir encadré, page 32). A Liévin, un infirmier rémunéré par la PJJ exerce à mi-temps dans le service de pédopsychiatrie de l’hôpital. Il est ainsi présent au centre de jour même lorsque aucun mineur délinquant ne s’y rend. Autre formule : à La Jubaudière, l’hôpital de Cholet a bénéficié jusqu’à récemment d’une prestation d’artthérapie payée par le CEF. « Cela profite à leurs patients sans qu’un de nos jeunes soit forcément sur place », précise la directrice Pascale Traineau, qui préfère ne pas recruter le personnel mais rembourser l’hôpital. L’engagement financier des structures de la Justice se révèle ainsi un argument de poids pour convaincre les équipes hospitalières d’adhérer à l’idée d’un travail conjoint.
Dans le cadre de la convention signée entre le centre hospitalier Le Valmont et l’ADSEA de la Drôme, un éducateur du CEF exerce, depuis septembre, à mi-temps à la maison des adolescents (MDA) de Valence. « Ma mission est d’assurer le lien en intégrant des jeunes du CEF dans des ateliers (théâtre, écriture, thérapie cognitivo-comportementale…) mis en place par des soignants pour leur public habituel et de veiller au bon déroulement de la séance », explique Guy Darracq, qui monte un projet autour de la boxe éducative. « Je ne peux pas inclure plus d’un jeune par atelier et encore faut-il qu’il soit capable d’intégrer un groupe sans le faire éclater. Mais, de toutes façons, tous nos mineurs n’en ont pas besoin. »
Soucieux de s’inscrire dans le fonctionnement de la structure et de conserver la spécificité de son métier, l’éducateur s’occupe aussi des adolescents consultant uniquement à la MDA. « Quand infirmiers ou médecins voient ces jeunes et estiment que la priorité n’est pas au soin mais qu’un suivi socio-éducatif serait plus utile, ils me l’envoient. Je les reçois en entretien, et me positionne dans le « faire avec » », développe-t-il. L’éducateur se déplace ainsi avec eux dans des associations ciblées, les accompagne dans leurs recherches de stages… « Je peux aussi me rendre chez eux pour voir comment cela se passe, établir les liens utiles avec la famille. On m’adresse en outre les jeunes commençant à avoir un comportement délinquant. Je fais des rappels à la loi, les mets face à leurs responsabilités… » Les soignants apprécient cette complémentarité et sollicitent de plus en plus l’éducateur. « Les réticences sont tombées, ils comprennent bien mon rôle et ne craignent plus d’accueillir nos mineurs. Ce lien qui s’élabore est très intéressant car il permet une riche lecture croisée du jeune. »
Venir dans un tel cadre à la MDA aide les adolescents du CEF à démystifier le soin et à l’accepter. Les gains sont parfois importants. Tel fut le cas, par exemple, avec un mineur inscrit à l’atelier théâtre, plutôt destiné à des jeunes inhibés. Alors que l’adolescent était très à l’aise dans son corps et avait des facilités à se mettre en scène, l’éducateur avait estimé judicieux de mêler les profils, l’objectif étant d’aider le mineur à canaliser son énergie. « Il s’est vite mis en relation d’aide,témoigne-t-il. Alors qu’au CEF, il aimait occuper toute la place, là, il la laissait aux autres, savait patienter et allait chercher ceux qui restaient en retrait. On a obtenu de très bons résultats tout en créant une dynamique de groupe positive. »