« Simulacre de concertations » pour les uns, « mesures injustes » pour les autres. Le document d’orientation du gouvernement sur la réforme des retraites, rendu public le 16 mai par le ministre du Travail, de la Solidarité et de la Fonction publique (1), a été fraîchement accueilli par les partenaires sociaux. S’appuyant notamment sur les récents travaux du Conseil d’orientation des retraites(2), il ne contient pas de mesures concrètes mais seulement des pistes d’actions. La seule certitude est qu’il faudra travailler plus longtemps, le gouvernement considérant que « seule l’augmentation progressive de la durée d’activité est de nature à répondre au choc démographique[3] auquel sont confrontés nos régimes [de retraite], sans pénaliser le niveau de vie des Français, la croissance et l’emploi ». Comment ? Cela reste à négocier avec les syndicats que le ministre doit rencontrer jusqu’à la mi-juin, date à laquelle il entend présenter son projet de réforme en conseil des ministres. Cette négociation se révèle toutefois serrée puisque l’ensemble des partenaires sociaux rejette l’idée du report de l’âge légal de départ à la retraite, aujourd’hui fixé à 60 ans.
Dans son document d’orientation, Eric Woerth précise qu’il a deux objectifs : « apporter une réponse durable aux difficultés financières de nos régimes de retraite » et « conforter notre système de retraite dans ce qu’il a de plus profond : la solidarité ». Pour y parvenir, il a pris 14 engagements – articulés autour de trois axes principaux – et assuré que cette réforme des retraites « ne saurait se réduire à une réforme de paramètres ».
Le gouvernement a choisi de sauvegarder le système de retraite par répartition, construit autour de l’idée de solidarité intergénérationnelle. Le basculement dans un régime par capitalisation « ne pourrait se faire immédiatement et totalement, sauf à imaginer que la génération des actifs d’aujourd’hui paie deux fois : pour sa retraite et pour celle de la génération qui l’a précédée », explique-t-il. En outre, « les régimes par capitalisation sont sensibles aux fluctuations des marchés financiers, ce qui est incompatible avec le rôle protecteur et la garantie que doit représenter la retraite ».
Par ailleurs, pour rétablir la confiance dans l’avenir de nos régimes de retraite, « il ne suffira pas de réduire leur déficit », a indiqué Eric Woerth, mais « bel et bien [de] garantir qu’ils reviendront à l’équilibre ». Ainsi, la réforme des retraites définira-t-elle les règles pour les régimes jusqu’à l’horizon 2020 ou 2030. Sur le long terme, même si elle ne résoudra pas la question des déséquilibres financiers, le ministre n’écarte pas la piste d’une « réforme systémique du mode de calcul des droits (régimes par points ou en comptes notionnels dans le cadre du régime par répartition) ». Quoi qu’il en soit, il a promis que la réduction des déficits ne se ferait pas par une baisse des pensions des retraités d’aujourd’hui.
Pour le gouvernement, la seule solution pour répondre au déséquilibre financier des régimes de retraite induit par les évolutions démographiques est d’« augmenter la durée d’activité », ce qui, selon lui, « ne pénalise ni la croissance, ni l’emploi, ni le niveau de vie des Français. Au contraire, insiste-t-il, à long terme, la croissance de la population active est l’un des principaux moteurs de la création de richesses ». En outre, l’augmentation de la durée d’activité tire les conséquences de l’allongement de l’espérance de vie. C’est pourquoi le gouvernement veut en faire « le socle d’une réponse durable et juste au déséquilibre des régimes de retraite, ce qui n’exclut pas des mesures complémentaires », précise-t-il. D’après le document d’orientation, l’augmentation de la durée d’activité peut être obtenue en agissant sur trois leviers : la durée de cotisation pour bénéficier d’une retraite à taux plein (164 trimestres en 2012)(4) ; l’âge légal de départ à la retraite (60 ans aujourd’hui) ; le renforcement des incitations à liquider sa pension de vieillesse au-delà de 60 ans, une solution toutefois d’emblée écartée par le gouvernement. Quoi qu’il en soit, a-t-il garanti, l’augmentation de la durée d’activité se fera « au fur et à mesure que les générations, déterminées par leur année de naissance, atteindront l’âge de la retraite. Chaque génération verra ainsi ses conditions de départ à la retraite fixées une fois pour toutes, quelle que soit sa date effective de départ »(5) .
Par ailleurs, Eric Woerth a confirmé qu’il n’y aurait pas d’augmentation généralisée des cotisations sociales, qui entamerait le pouvoir d’achat des salariés. En effet, a-t-il illustré, « une augmentation de près de 4 points des cotisations sociales salariales représenterait ainsi, pour un salarié rémunéré au salaire moyen français (2 661 € brut) une ponction sur son niveau de vie de 1 272 € par an dès 2010 ». Néanmoins, il n’exclut pas, « dans une logique d’équité, de prévoir de nouveaux prélèvements sur des assiettes et des revenus ciblés », notamment les hauts revenus (voir ci-dessus).
Autres engagements du gouvernement : « tenir compte de ceux qui ont eu une vie professionnelle difficile ». Dans ce cadre, il proposera de prolonger le dispositif de retraite anticipée, qui permet aux salariés ayant commencé à travailler à 14, 15 ou 16 ans de partir dès l’âge de 56 ans, et étudiera avec les partenaires sociaux les « ajustements nécessaires, compte tenu de l’allongement de la durée d’activité ». Au-delà, a précisé Eric Woerth, il conviendra de tenir compte de la pénibilité propre à certaines carrières professionnelles. Au regard de l’échec de la négociation nationale interprofessionnelle(6), le gouvernement confirme son intention d’intégrer ce volet dans la réforme. Par ailleurs, il entend améliorer le taux d’emploi des salariés âgés de 55-64 ans grâce à deux leviers qui doivent « être simultanément actionnés ». Le gouvernement estime tout d’abord que l’augmentation de leur durée d’activité progressera mécaniquement à travers la hausse de la durée de cotisation ou de l’âge légal de départ à la retraite. Il entend aussi mettre en œuvre des « changements profonds » en matière de politique de ressources humaines et des conditions de travail dans les entreprises.
Il faut adapter les mécanismes de solidarité des régimes de retraite – minimum vieillesse, validation gratuite des périodes d’interruption professionnelle, majoration de pension pour enfant, etc. – à la réalité des besoins sociaux, considère le ministre du Travail. Les règles en la matière étant « nombreuses et complexes », Eric Woerth souhaite en faire un état des lieux et s’assurer qu’elles permettent de « couvrir de manière satisfaisante » la réalité des aléas de la vie professionnelle. Mais ces dispositifs coûtent cher. Aussi entend-il notamment mettre en place une contribution complémentaire sur les hauts revenus et les revenus du capital, qui sera affectée au Fonds de solidarité vieillesse qui en assure le financement. En ce qui concerne les particuliers, a assuré le représentant de l’Etat, « cette contribution supplémentaire ne donnera pas droit à restitution au titre du bouclier fiscal ».
Enfin, l’équité de la réforme suppose, selon le gouvernement, de poursuivre la convergence entre les régimes de retraite du public et du privé, les mesures destinées à augmenter la durée d’activité s’appliquant donc également aux fonctionnaires.
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(3) Selon le ministre, la France comptera 18 millions de retraités en 2030 (contre 15,5 millions aujourd’hui) et 23 millions en 2050.
Problème : face à ce vieillissement, « le nombre d’actifs est de plus en plus insuffisant. Ils étaient 4 pour un retraité en 1960, 1,7 aujourd’hui et 1,5 en 2020 ».
(4) Dans un communiqué du 12 mai, la caisse nationale d’assurance vieillesse a souligné que « la durée de cotisation jouera à l’avenir de manière très importante pour les générations entrées tardivement dans la vie active. Ainsi, pour la génération née en 1970, qui dispose en moyenne à 30 ans de sept trimestres de durée d’assurance validée de moins que la génération 1950, l’effet sur le décalage de l’âge de la retraite sera significatif ».
(5) Les assurés de 60 ans et plus qui sont à la retraite, ou qui ont fait le choix de prolonger leur activité au-delà de l’âge légal de départ, ne devraient donc pas être concernés par ces changements de règles.
(6) Celle-ci n’a permis que la définition des facteurs de pénibilité.