En avril dernier, la France remettait au Comité contre la torture des Nations unies ses quatrième, cinquième et sixième rapports périodiques sur la mise en œuvre des droits consacrés par la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dans lesquels elle dressait un bilan plutôt positif des actions mises en place en la matière (1). Pourtant, ce sont des critiques sévères que le comité a émises le 10 mai contre la France (2), notamment sur le respect des droits des étrangers et la mise en œuvre de la politique pénale du gouvernement.
En premier lieu, le Comité contre la torture continue de regretter l’absence d’insertion dans le code pénal français d’une définition de la torture qui soit « strictement » conforme à l’article 1er de la convention onusienne. Selon lui, « une telle définition répondrait à l’impératif de clarté et de prévisibilité en droit pénal, et à la nécessité […] de distinguer les actes de torture commis par un agent de la fonction publique, ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite, des actes de violence au sens large, commis par des acteurs non étatiques ». Il réitère en outre sa recommandation d’ériger la torture en infraction imprescriptible.
Le comité est inquiet quant à la mise en œuvre des droits des étrangers, en particulier en matière d’asile. Ainsi, 22 % des demandes d’asile présentées en 2009 ont été traitées dans le cadre de la procédure dite « prioritaire ». Or cette dernière n’offre pas de recours suspensif contre un refus initial de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, regrette-t-il, soulignant que le demandeur peut donc être renvoyé vers un pays où il risque la torture avant même que la Cour nationale du droit d’asile ait pu se prononcer sur sa demande. Aussi l’instance suggère-t-elle à la France d’instaurer un recours suspensif pour les demandes d’asile placées en procédure prioritaire et que ces dernières fassent l’objet d’un « examen des risques approfondi, notamment en assurant une formation adéquate des juges aux risques de torture dans les pays de renvoi et en procédant de manière systématique à des entretiens individuels à même d’évaluer le risque personnel encouru par les demandeurs ». Autres points montrés du doigt : l’étranger originaire de pays tiers qui se présente à la frontière française dispose d’un délai « très court » de 48 heures pour déposer une demande d’asile, obligatoirement en langue française. En outre, déplore le comité, le juge administratif peut rejeter le recours contre une décision de refus de la demande initiale par voie d’ordonnance, « privant ainsi le demandeur de la tenue d’une audience au cours de laquelle il puisse défendre son recours ainsi que des garanties procédurales tel le droit à un interprète et à un avocat ». Il recommande donc au gouvernement que les recours présentés à la frontière fassent l’objet d’une audience permettant au demandeur sujet à un éloignement de faire une présentation effective de son recours et que celui-ci soit assorti de toutes les garanties procédurales essentielles.
Le Comité contre la torture demeure « vivement préoccupé » par les taux « alarmants » de surpopulation carcérale. Aussi préconise-t-il au gouvernement d’« entreprendre une réflexion importante sur les effets de sa politique pénale récente sur la surpopulation carcérale » et d’« envisager un recours plus important à la substitution de peines non privatives de liberté aux peines d’emprisonnement encourues en l’état actuel ». S’agissant des suicides en prison – dont le taux a atteint plus de 15 % en 2009 –, le comité exhorte l’Etat à prendre encore plus de dispositions nécessaires à la prévention. Il l’invite aussi à adopter des mesures appropriées « pour que l’isolement demeure une mesure exceptionnelle et limitée dans le temps, en accord avec les normes internationales ».
S’agissant toujours des lieux de privation de liberté, l’instance demande à l’Etat de s’assurer que les conditions de vie en zone d’attente soient conformes aux exigences de la convention. Plus précisément, elle souhaite que la France veille à « épargner les mineurs des actes de violence, en assurant la séparation stricte des mineurs des adulteset en veillant scrupuleusement à ce que chaque mineur bénéficie obligatoirement de l’assistance d’un administrateur ad hoc ».
Le rapport critique par ailleurs le principe de l’individualisation du régime de détention, renforcé par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 (3). Cette dernière permet désormais à l’administration pénitentiaire de définir le régime de détention des condamnés en fonction de leur personnalité, de leur dangerosité et de leurs efforts en matière de réinsertion sociale. Un principe qui « emporte nécessairement des conséquences pouvant relever de l’arbitraire dans les conditions d’exécution de la peine », souligne l’instance. Aussi demande-t-elle au gouvernement de prendre des mesures pour « assurer un contrôle de la marge discrétionnaire, et du potentiel corollaire d’arbitraire, inhérents aux prérogatives dont a été investie l’administration pénitentiaire ». Cela pourrait se faire « notamment à travers des visites régulières par les mécanismes de contrôle indépendants existants, qui devraient à leur tour soumettre immédiatement aux autorités judiciaires appropriées toute irrégularité ou toute méthode pouvant s’apparenter à une mesure arbitraire constatée ».
Le comité montre du doigt le dispositif de rétention de sûreté adopté par la loi du 25 février 2008 (4). Cette mesure permet de placer dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté certains condamnés s’il est constaté qu’ils présentent une « particulière dangerosité » caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu’ils souffrent d’un trouble grave de la personnalité. Appliquée dès la fin de la peine, la mesure de rétention de sûreté est prononcée pour une durée de un an renouvelable. Dans ce cadre, s’inquiète l’instance, la mesure, qui ne semble dotée d’aucune limite temporelle d’enfermement, est de nature à soulever des questions au titre d’actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants qui ne sont pas des actes de torture. Elle demande donc purement et simplement à l’Etat d’abroger ce dispositif, « en violation flagrante avec le principe fondamental de la légalité en droit pénal » et en contradiction avec l’article 16 de la convention onusienne contre la torture.
(1) A cette occasion, plusieurs organisations non gouvernementales ont présenté au comité leurs rapports alternatifs – Voir ASH n° 2657 du 30-04-10, p. 21.
(2) Rapport disp. sur