Par-delà le sens commun

Faire le point sur des questions de société à même de contextualiser l’action sociale, telle est l’ambition de ce riche ouvrage collectif proposé par le sociologue Manuel Boucher, président de l’Association des chercheurs des organismes de la formation et de l’intervention sociales (Acofis). Chacun dans son domaine d’expertise, plutôt axé sur les problématiques de sécurité, d’ethnicité ou de cohésion sociale, les auteurs réunis ici, sociologues pour la plupart, s’emploient à dépasser les constats – souvent ressassés – pour donner matière à penser de façon renouvelée. A la « lecture convenue » du délitement de l’Etat providence comme conséquence des méfaits de la mondialisation néolibérale, Jacques Donzelot entend ainsi apporter « non pas un démenti, mais un peu de complication », jugeant que si l’explication invoquée n’est pas fausse, elle ne constitue qu’une vérité partielle. Sur le terrain de la délinquance juvénile, la contribution de Laurent Mucchielli et celle de Philippe Robert font montre du même état d’esprit : aller au-delà des représentations du sens commun pour reformuler en termes scientifiques, notamment historiques, des thèmes qui se sont imposés dans le débat public. Par exemple, ceux du rajeunissement des mineurs délinquants ou de leur multiplication. La profondeur de champ fournie par l’histoire permet aussi à Eric Marlière, également sociologue, de remettre en perspective la diabolisation des « “héritiers des quartiers populaires” qui sont les déshérités de la “classe ouvrière” et les légataires d’une histoire familiale et migratoire souvent difficile à assumer ». Les intéressés sauront-ils faire déboucher leur sentiment d’injustice sur le terrain politique ? A cet égard, les travailleurs sociaux auraient un rôle déterminant à jouer, estime Manuel Boucher. A condition qu’ils se positionnent comme des agents de « reconflictualisation du secteur », et non comme des pacificateurs.