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Mis en œuvre il y a vingt ans par le conseil général des Bouches-du-Rhône, le dispositif ASELL permet au centre communal d’action sociale de Gardanne d’accompagner chaque année une trentaine de personnes ou de familles en grande difficulté d’accès ou de maintien dans le logement.

Une fine couche de poussière rouge recouvre la ville. Ici, la multinationale Rio Tinto Alcan transforme la bauxite en alumine. Autrefois, Gardanne vivait aussi de la mine. Le site d’extraction de charbon a fermé en 2002. Les usines, elles, turbinent encore à plein régime au cœur de la ville ouvrière, à 25 km au nord de Marseille. De sa fenêtre, Michel Miguieu observe les tuyaux fumer en contrebas. Avant, il vivait avec son fils, mais les relations entre les deux hommes se sont tendues. Michel Miguieu a fini par partir pour une résidence sociale, sur les hauteurs de la ville, près du cimetière. Mais l’hébergement y est temporaire. A 60 ans, ce retraité va devoir apprendre à chercher un appartement, à payer un loyer et des charges mensuelles. « Auparavant, c’était son fils qui s’en chargeait… ou pas », commente Mélanie Perrier.

Aider les usagers à accéder à un logement stable et à gérer toutes les dépenses qui vont avec, mais aussi accompagner les locataires en impayés de loyer, telles sont les missions de cette conseillère en économie sociale et familiale (CESF) du centre communal d’action sociale (CCAS) de Gardanne (1), dans le cadre des mesures d’accompagnement socio-éducatif lié au logement (ASELL). Ainsi, depuis un mois et demi, elle rencontre Michel Miguieu tous les quinze jours. « Pour l’instant, en réalité, je travaille surtout avec lui l’insertion dans la résidence sociale. Nous n’en sommes pas encore à envisager son départ. Chaque chose en son temps », confie Mélanie Perrier, heureuse de découvrir que le locataire, visiblement, s’approprie un peu plus chaque semaine son meublé de 20 m2. Il envisage même de changer le lit et voudrait bien une armoire supplémentaire pour ranger ses vêtements. La conseillère est dubitative : il faut demander l’autorisation au bailleur pour changer les meubles. Mais Michel Miguieu promet de s’en occuper. Il faut dire que l’ameublement reste succinct : un lit, une table, un coin cuisine… Même les chaises servent de rangement. Mélanie et Michel Miguieu restent debout, pour discuter de l’état de santé de ce dernier, qui se dégrade, tandis que l’allocation aux adultes handicapés (AAH), son seul revenu, peine à couvrir ses dépenses.

La CESF explique qu’il va falloir demander la couverture maladie universelle. « La requête sera rejetée puisque monsieur Miguieu touche l’AAH, mais cela nous permettra d’effectuer une demande d’aide à la mutualisation. Il est nécessaire que ce monsieur soit couvert par une complémentaire, pour éviter des dépenses de santé qui alourdissent énormément son maigre budget, explique-t-elle, en inscrivant sur un papier la liste des documents à rassembler pour la prochaine rencontre. C’est l’un des intérêts de la mesure ASELL : elle permet un suivi soutenu et régulier sur une longue période. Je peux détecter des problématiques dont un usager n’aurait pas parlé spontanément lors d’un entretien unique. Sans l’ASELL, monsieur Miguieu. aurait un logement provisoire, et rien de plus. Aucun suivi. » Avant d’interroger : « Le loyer est-il à jour ? » Réponse affirmative. La conseillère évoque néanmoins la possibilité, lorsque les aides personnalisées au logement seront versées, de passer au prélèvement automatique. « Pour limiter les risques d’impayés », commente la jeune femme, qui questionne maintenant Michel Miguieu sur ses activités. Voit-il ses voisins, son fils, son frère ? Finalement, elle repart, soulagée : le jeune retraité a l’air d’aller mieux.

Renouvelable jusqu’à deux ans

Le dispositif ASELL a été créé il y a vingt ans par le conseil général des Bouches-du-Rhône, dans le cadre du fonds de solidarité pour le logement (FSL). Cet accompagnement socio-éducatif lié au logement est un dispositif individuel qui s’ajoute aux aides financières et aux actions d’accompagnement social classiques. La mesure ASELL peut durer six ou douze mois et est renouvelable jusqu’à vingt-quatre mois, selon la décision du conseil général. Le CCAS de Gardanne, qui emploie un total de 50 agents, bénéficie d’un financement du conseil général pour 25 mesures – deux associations de la ville en ayant également certaines à leur charge. Chaque année, Mélanie Perrier suit dans ce cadre une trentaine de familles en difficulté : des adultes célibataires ou en couple, chômeurs ou retraités… mais tous vivant avec des revenus modestes. Sont-ils plus nombreux depuis la crise économique ? Ce n’est pas ce que constate la conseillère, qui assume seule la charge du dispositif depuis deux ans. « Ce sont surtout des personnes qui ont vécu un divorce, un décès, le chômage ou la maladie, et qui ont vu leur situation changer, détaille-t-elle. Ou bien elles vivaient dans une situation financière fragile depuis un moment sans avoir osé contacter un service social. La situation s’est enkystée, jusqu’à devenir critique. »

La mesure se décline en deux versions : « ASELL accès », pour les ménages en quête d’un appartement ou installés depuis peu, et « ASELL maintien », pour les personnes en dette locative. « Le CCAS s’est toujours positionné en faveur de l’accompagnement des habitants en situation d’impayés de loyer », explique Georges Felouzis, directeur du centre communal d’action sociale de Gardanne.Pour ce faire, outre la mesure ASELL, les professionnels du service social du CCAS disposent de plusieurs moyens d’action : le fonds de solidarité pour le logement, la médiation avec les bailleurs, ainsi que les partenariats avec les associations caritatives, les services du conseil général et la caisse d’allocations familiales.

Des partenaires sensibilisés

Dans près de la moitié des cas suivis par Mélanie Perrier, ce sont les assistantes sociales du CCAS qui orientent les usagers vers elle. Sonia Belaid, stagiaire depuis cinq mois, a ainsi passé le relais pour Michel Miguieu « Je l’ai aidé à trouver le logement dans la résidence sociale et à toucher l’AAH, raconte la future assistante sociale. Puis j’ai pensé qu’au regard de ses faibles ressources, il serait pertinent de l’adresser à Mélanie. » Après un entretien à trois, Michel Miguieu a accepté la mesure. « Quand je vois une problématique de logement qui s’ajoute à de faibles ressources, à une dette locative, à des difficultés de gestion administrative ou à des fragilités à un moment de la vie, je consulte Mélanie », poursuit la jeune femme. Elle-même assistante sociale stagiaire, Emilie Ambrosio se souvient de la situation d’une autre personne qui avait accumulé des dettes : « Nous avons réglé ensemble les problèmes d’impayés d’électricité et de gaz, et fait le lien avec le centre médico-psychologique, car cette personne avait besoin d’un soutien psychologique. Restait la dette locative. La mesure ASELL lui correspondait, car elle avait besoin d’un suivi à long terme. » Les assistants de service social orientent également vers cette mesure des Gardannais qui risquent d’être expulsés. En effet, toutes les enquêtes en lien avec une expulsion locative transitent par le CCAS, coordonnateur sur le sujet.

Parallèlement, les partenaires – CAF, sécurité sociale, associations, etc. – ont la possibilité d’adresser des personnes à Mélanie Perrier. « Par exemple, une assistante sociale du conseil général nous appelle quand elle réalise qu’une famille est en difficulté pour payer le quotidien », précise Georges Felouzis. De son côté, une autre CESF travaillant pour un bailleur social de la région confie : « Nous pouvons régler les problèmes simples, conseiller une demande d’aide personnalisée au logement, suivre un locataire pendant quelques semaines. Mais quand la situation nous dépasse, que les familles sont surendettées ou accumulent trop de difficultés, qu’un suivi plus soutenu est nécessaire, nous contactons le CCAS. » Les élus de la commune peuvent, eux aussi, repérer des habitants en passe de perdre pied. « Lors de ma permanence, le lundi, je reçois des personnes en impayés de loyer ou d’électricité. La trêve hivernale est terminée, certains sont menacés d’expulsion. Et nous tentons de tout faire pour éviter d’en arriver là, témoigne Maryse Blangero, adjointe aux affaires sociales à la mairie et vice-présidente du CCAS. Quand je peux, je trouve des solutions. Sinon, j’oriente vers le service logement de la mairie quand la personne cherche simplement un logement, vers une association qui s’occupe des personnes handicapées quand c’est nécessaire ou vers le CCAS quand il y a des problèmes de gestion du budget. »

Sortir la personne de l’isolement

La première fois, Mélanie Perrier reçoit les personnes dans le cadre d’un entretien préliminaire, qui lui permet de rédiger une fiche d’identification destinée au conseil général. Ce document détaille les revenus et la situation des usagers, présente un diagnostic et propose des objectifs en matière de logement, d’accès aux droits et aux soins, d’emploi et de formation, de ressources ou encore de vie sociale. Passé un délai d’une vingtaine de jours, le conseil général donne, ou non, son aval à la mesure.

En tant que référente ASELL, Mélanie Perrier est chargée d’accompagner les usagers dans l’accès ou le maintien dans le logement à travers des démarches quotidiennes. Celles-ci peuvent concerner la gestion du budget comme l’accès aux droits (travail, chômage, sécurité sociale, santé, éducation) ou la scolarisation des enfants (paiement de la cantine, modes de garde, etc.). « Je travaille également le côté relationnel, pour sortir certaines personnes de l’isolement, les accompagner vers l’activité et la prise de contact. Connaître ses voisins peut ainsi permettre un jour de faire garder ses enfants et de reprendre un travail », complète la CESF. Pour sa part, Georges Felouzis pointe un bénéfice secondaire de la mesure : « Quand les usagers sont en procédure d’expulsion et qu’ils acceptent une mesure ASELL, l’expulsion peut se trouver reportée. Cela nous donne un délai pour accompagner la famille sur le plan budgétaire. Et dès qu’un loyer n’est pas versé, le bailleur nous contacte. Nous renforçons alors l’aspect éducatif de l’accompagnement. Bien souvent, au final, la famille parvient à verser les loyers et ne risque plus l’expulsion. »

Mère de deux enfants scolarisés, Yasmina M. en est à sa deuxième mesure ASELL. La première fois, en 2002, elle avait été orientée vers la CESF par une association de réinsertion dans le logement. Nouvelles difficultés, nouvelle mesure, pour une durée de un an. « J’essaie d’abord de comprendre comment la personne fonctionne, et pourquoi son budget dysfonctionne : est-ce un problème de dates de prélèvements, de dépenses trop élevées, de manque d’information ? Nous essayons de trouver ensemble des solutions concrètes, explique Mélanie, sur le chemin de la résidence de logements sociaux où vit la jeune femme. Avec madame M., nous avons un très gros travail budgétaire à réaliser. Il faut que je la mobilise en sachant qu’elle est fragile et qu’elle a un peu laissé tomber les démarches administratives. Tout est à faire. Il faut qu’elle puisse reprendre petit à petit son budget, sans que ce soit trop lourd, sans qu’elle se décourage. » De fait, Yasmina M. cumule une dette locative de 300 €, une somme importante pour quelqu’un qui ne touche que le revenu de solidarité active et une aide au logement. La CESF envisage de faire une demande au FSL, mais le dispositif nécessite trois mois de reprise de loyer. Or sa situation n’en est pas là. Lors des premières rencontres, les deux femmes ont ouvert une montagne de courriers, rangé les papiers administratifs dans des pochettes, mis de l’ordre…

Pour ce cinquième entretien en trois mois, Mélanie Perrier compte soulever les problèmes de la recherche d’emploi et de l’accès aux soins. Mais Yasmina M. a d’autres préoccupations en tête : « J’ai reçu ça, c’est quoi ? », demande-t-elle dès que la conseillère arrive. « C’est l’enquête locative. Vous avez pu régulariser pour le loyer ? » « Non. » « Est-ce que vous avez les sous sur le compte ? » « Non plus. » Mélanie jette un coup d’œil aux documents. « Alors, votre formation à Aix ? », s’enquiert ensuite la conseillère, tentant de structurer l’entretien. « J’ai laissé tomber. J’avais trouvé du travail, de la distribution de magazines, mais j’ai arrêté. Ça me faisait trop cher en frais d’essence », explique la jeune femme. « Pour vos recherches d’emploi, vous êtes suivie par qui ? », interroge encore Mélanie. « Personne. » « Et au niveau de la formation, vous avez toujours le même projet ? » « Oui, en secrétariat-comptabilité. » Le problème étant que Yasmina M. ne peut pas payer l’assurance de sa voiture. Mélanie s’en inquiète, et consacre un long moment à lui expliquer les risques qu’elle encourt. « Il ne faut cependant pas confondre l’ASELL avec une mesure de curatelle : je donne des pistes, j’apporte un soutien, mais la personne reste maître de ses décisions », précise-t-elle plus tard. Pour le moment, elle propose à la mère de famille de remplir un dossier de surendettement. « Il faut déclarer si vous avez un patrimoine, un véhicule, même s’il est ancien. Vous avez un découvert à la banque, un prêt ? » « Oui, quand j’ai voulu créer mon entreprise, j’ai dû emprunter », répond Yasmina M. « Il faudra l’indiquer et voir s’il entre dans le cadre du surendettement. Ensuite, c’est la Banque de France qui négocie avec les organismes financiers. Si elle juge votre dossier recevable, elle vous proposera un plan de remboursement. Puis ce sera à vous d’aviser. » La conseillère laisse le dossier à la mère de famille, dans l’espoir qu’elle le remplisse pour la prochaine fois. Puis un rendez-vous est fixé, deux semaines plus tard.

Chaque jour, Mélanie Perrier rencontre de deux à cinq usagers pendant trente minutes, une heure, voire une heure et demie, à domicile ou au CCAS. « Je me laisse des plages libres, pour les urgences, les rendez-vous plus longs, explique-t-elle. J’essaie d’être disponible et de m’adapter : il m’arrive de recevoir des usagers après 17 heures ou à l’heure du déjeuner. » Le reste de son temps de travail se passe en appels téléphoniques et en réunions. En ce début d’après-midi, à peine pose-t-elle un pied dans son bureau que le téléphone se met à sonner. L’appel concerne un usager menacé d’expulsion pour impayés de loyer, à qui la mairie a trouvé un autre logement… et qui à nouveau ne paie plus ses loyers. Puis c’est un père qui veut récupérer ses enfants dans son nouveau logement. Mélanie appelle les partenaires, pour vérifier les informations et trouver des réponses. « Avec la mesure ASELL, je m’occupe de tous les postes, sans être spécialiste d’aucun, explique la travailleuse sociale. J’ai donc été obligée de me créer un réseau, pour savoir où me renseigner sur n’importe quel sujet : santé, juridique, emploi… J’essaie aussi de me tenir au courant de toutes les nouveautés dans ces secteurs. J’adore ce travail de veille. »

A terme, l’autonomie

Ce que Mélanie Perrier aime aussi, c’est ne pas être dans la routine. Aucune de ses journées ne ressemble à la précédente. Il lui est difficile, en revanche, de devoir quitter en fin de suivi des usagers qu’elle a rencontrés très régulièrement pendant six mois ou un an. Même si, dans la plupart des cas, ceux-ci sont autonomes quand la mesure touche à son terme. « Le dernier mois, déjà, les rendez-vous ne servent plus qu’à calmer les angoisses. Les objectifs fixés au départ dans la fiche d’identification ont été atteints, partiellement ou complètement. Les personnes sont autonomes dans leurs démarches, elles ont résorbé la dette locative s’il y en avait une, ou au moins ont mis au point un plan d’apurement et repris contact avec le bailleur. Les dettes EDF et GDF éventuelles ont disparu, et une mensualisation des paiements a été mise en place. Enfin, les droits ont été ouverts et, le cas échéant, un travail a été retrouvé. »

Parfois, malgré tout, la mesure doit être renouvelée car les démarches entamées nécessitent plus de temps que prévu pour se concrétiser. Au total, la conseillère évalue que le suivi est bénéfique dans trois quarts des cas. Un constat proche de celui qui est dressé par l’un des bailleurs sociaux impliqués dans le dispositif : « Quand le locataire adhère bien à la mesure, le paiement des loyers reprend au bout de deux ou trois mois. La situation est définitivement rétablie de ce côté-là dans un cas sur cinq. » Pour d’autres usagers, toutefois, la mesure reste de peu d’utilité. « Il s’agit de personnes qui n’adhèrent pas. Elles ne sont jamais disponibles, ne viennent pas aux rendez-vous ou ne font pas les démarches, déplore la conseillère du CCAS. Mais cela reste très rare. »

Notes

(1) CCAS de Gardanne : 1, square Deleuil – 13120 Gardanne – Tél. 04 42 65 79 10.

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