« Ce début d'année 2010 offre aux promoteurs des lieux de vie et lieux d'accueil (LVLA) l'occasion de méditer sur leur rôle dans la société d'aujourd'hui et sur la façon dont une mesure paraissant au premier regard “sans importance” peut devenir, pour qui veut penser, une mascarade intellectuelle et une manipulation administrative.
Voici ce dont il s'agit. Un amendement à la loi de finances pour 2010, déposé par deux sénateurs, impose l'assujettissement des LVLA à la TVA (1). L'ensemble du forfait journalier des LVLA pour le logement et la nourriture “bénéficiera” ainsi du taux réduit de TVA, à 5,5 %.
Regardons maintenant de plus près cette disposition, qui semble seulement “technique” ou “administrative”.
Premier artifice intellectuel de ce texte, il décide que les lieux de vie et d'accueil sont payés pour du “logement” et de la “nourriture” et pas pour autre chose. La loi du 2 janvier 2002 les place pourtant clairement, dans son titre III, au sein du dispositif d'aide sociale et médico-sociale et non dans l'hébergement. Quant au décret n° 2004-1444 du 23 décembre 2004 concernant la définition des LVLA (2), il précise la mission de ces lieux : “Ils visent par un accompagnement continu et quotidien à favoriser l'insertion sociale des personnes accueillies. Ils constituent le milieu de vie habituel et commun des personnes accueillies. [...] Les ‘permanents' organisent et garantissent la mise en œuvre des missions ci-dessus.” Le principe de l'assujettissement à la TVA nous apparaît donc sinon comme une manipulation, du moins comme un grave glissement sémantique infligé à ces deux textes.
Les motifs allégués, lors des travaux préparatoires à la loi, par les promoteurs de l'amendement sont également intéressants à examiner, car ils montrent bien comment notre activité relationnelle – c'est-à-dire avant tout un accompagnement, une prise en charge éducative globale – devient une activité commerciale, et qui plus est pour notre bien !
Expliquons-nous. D'une part, les sénateurs qui ont présenté l'amendement entendent transposer aux LVLA les règles de TVA applicables aux “établissements hébergeant des personnes handicapées”. Est-ce vraiment raisonnable ? Les assistants familiaux seront-ils eux aussi taxés ? Et pourquoi pas les parents eux-mêmes ? Et pourquoi pas les instituts médico-éducatifs, les maisons d'enfants à caractère social et les foyers de l'enfance ? Puis, ayant procédé à cette assimilation quelque peu hâtive, les élus affirment que “l'application d'un taux réduit de TVA à compter du 1er janvier 2010 contribuerait grandement à améliorer leur situation financière”. Est-ce méconnaissance ou mensonge ?
Aucun document ne nous assujettissait jusqu'à présent à une quelconque TVA. Bien au contraire un document récent des impôts nous en exonérait clairement, au moins dans notre département.
En ne retenant qu'un mince segment de notre activité (logement et nourriture), isolé de son contexte relationnel et détaché du motif de notre agrément, ils décident d'un assujettissement à la TVA pour ce segment, alors que notre activité, jusqu'à présent et depuis trente ans, en était exemptée par nature.
Dès la création des lieux de vie en Aveyron en 1981, les questions juridiques et fiscales avaient été abordées avec les autorités compétentes. Il en était ressorti que les LVLA étaient proches des assistantes maternelles. Nous avons d'ailleurs été payés comme telles par le département, fiches de paie à l'appui. De 1981 à début 2010 inclus, en accord avec la direction départementale des impôts et au vu de notre activité, nos lieux d'accueil de FASTE Sud-Aveyron ont été soumis aux “bénéfices non commerciaux” (BNC), sans TVA aucune. Pourquoi les assujettir maintenant ? Pourquoi la pratique locale, bien ancienne et élaborée avec des personnes compétentes, n'a-t-elle pas été prise en compte ?
Les sénateurs veulent notre bien en baissant un taux de TVA qui n'existait pas auparavant ! “Afin d'améliorer [notre] situation financière et la qualité de l'hébergement des enfants”, expliquent-ils. Nous les remercions de leur attention ! Mais nous ne sommes pas d'accord avec leurs intentions.
Que savent-ils de “la qualité de l'hébergement des enfants” ? Savent-ils, veulent-ils savoir que, dans nombre de cas, il s'agit d'adultes souffrant de troubles graves ? Savent-ils de quoi ils parlent ?
Mensonge ou ignorance supplémentaire : “Les lieux d'accueil bénéficient du soutien financier des conseils généraux.” Cela est faux. En effet, les lieux de vie et d'accueil ont contracté avec les conseils généraux : en échange d'une prestation – le plus souvent appréciée – les conseils généraux versent aux LVLA un prix de journée. Il ne s'agit aucunement d'un soutien, mais d'un contrat.
En revanche, cet amendement taxe et lèse en fin de compte davantage les départements, auxquels sont adressées les facturations des LVLA. Dans quel but ?
Il semble bien qu'un décret de tarification, qui a été annulé par le Conseil d'Etat en novembre 2008 (3), soit à l'origine de cet amendement détestable. Ce texte prévoyait toute une série de dispositions arbitraires. Parmi celles-ci, un prix de journée “toutes taxes comprises”, qui ne correspondait à rien, mais revenait à faire croire que les LVLA étaient soumis à la TVA ou devraient l'être. Les rédacteurs de ce décret, auxquels nous nous sommes alors opposés fortement, refusaient de considérer les spécificités et les logiques propres de notre travail en LVLA, notamment son registre contractuel.
Les sénateurs, sans doute poussés par une logique à retardement, ont certainement voulu réparer cette gaffe par une gentillesse fiscale. Mais à la date de leur amendement, il n'y a plus ni forfait journalier ni décret de tarification. Leur “gentillesse” est inutile ! En effet, il n'y a plus besoin actuellement d'invoquer des baisses de TVA pour “aider” les lieux ! Il suffit que ces derniers indiquent, avec un budget clair détaillant leurs prestations, quel est leur prix de journée. Ils peuvent encore actuellement, à ce jour, proposer un prix de journée plus élevé que celui qui était imposé par le décret annulé. C'est à eux de le faire valoir.
Nous ne savons s'il faut rire ou pleurer devant l'inconsistance intellectuelle de cette taxation. A aucun moment il n'est fait mention de notre activité réelle, qui n'est pas d'“hébergement”, mais d'accompagnement et de partage de la vie quotidienne. Les aspects éducatifs ainsi que les effets thérapeutiques de nos accueils, pourtant préoccupations majeures de notre activité, ne sont jamais évoqués. Pour les sénateurs, notre réel travail n'existe pas. Ce texte gomme ainsi notre spécificité pour nous amener du côté des “restaurateurs”. Peut-être pensent-ils qu'étant “restaurateurs” (de liens) nous sommes assimilables à des aubergistes ? Glissement sémantique inconscient ?
Au-delà de la négation patente de notre travail et de nos spécificités, notre situation juridique n'est pas respectée : à aucun moment il n'est dit que les LVLA relèvent de personnes privées, créatrices de leur lieu et de leur activité, et ne sont pas des instruments institutionnels. Pourtant les lieux concernés concluent bien avec les institutions qui le leur demandent des conventions ayant aussi valeur légale. Où cela apparaît-il dans l'amendement en question ? Nourrir et héberger sont nécessaires mais pas suffisants. Sinon pourquoi les services départementaux feraient-ils si souvent appel à nos lieux dans des situations délicates, en tout cas difficiles ?
De cette analyse, il résulte que nous demandons aux conseils généraux, qui sont aussi les garants de nos agréments, de refuser par tous moyens légaux une taxe qui est intellectuellement malhonnête, injuste et, qui plus est, contre-productive pour nous tous. »
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