Deux ans après le bras de fer qui avait opposé les étudiants, les centres de formation et les principaux syndicats d'employeurs au gouvernement, la contestation connaîtrait-elle un nouvel élan ? Le GNI et l'Aforts avaient appelé à une journée de mobilisation le 6 mai, après que les étudiants étaient à nouveau descendus dans la rue le 31 mars. Ce regain de tension signe bien l'échec du gouvernement, depuis le décret du 31 janvier 2008, à accompagner financièrement la gratification accordée aux étudiants en travail social, dont la situation s'est encore aggravée avec l'extension de la mesure aux stages d'une durée minimale de deux mois. Pire, le gouvernement a même donné un nouveau motif de mécontentement en soutenant la proposition de loi adoptée par le Sénat, qui vise à suspendre l'obligation de gratification jusqu'au 31 décembre 2012, le temps de trouver des solutions (1). Un projet qui a aussitôt soulevé la colère du Collectif national des étudiants en travail social (CNETS), mais aussi de l'ensemble des organisations étudiantes et de plusieurs syndicats, qui y ont vu une brèche dans le principe de la gratification et un mépris pour les professionnels en formation considérés « comme des étudiants de seconde zone », selon la formule du Snasen (Syndicat national des assistants sociaux de l'Education nationale)-UNSA.
Certes, la journée de mobilisation, largement soutenue par les étudiants et plusieurs syndicats (2), ne portait pas sur la gratification proprement dite. Il s'agissait pour les centres de formation de s'inscrire dans une réflexion plus globale « pour le maintien et le développement de l'alternance et de la professionnalisation dans les formations sociales ». Car s'il a démontré son efficacité, ce système, qui repose sur le principe du volontariat, est fragilisé aujourd'hui non seulement par la gratification, mais aussi par les nouvelles contraintes qui pèsent sur les terrains de stages, devenus, avec la mise en place des sites qualifiants, des lieux de certification. Au moment donc où les établissements sont mobilisés sur de nouvelles préoccupations comme l'évaluation ou la maîtrise des dépenses, ils sont amenés à devenir partie prenante de la formation. La journée du 6 mai visait donc à engager « un travail de fond » sur la complexité de la mise en place de l'alternance et, plus précisément, à réfléchir sur les modèles de coopération à développer entre les employeurs et les organismes de formation pour remettre en marche le processus. Il s'agissait aussi, d'une certaine façon, d'accélérer la réflexion engagée par la DGAS (devenue depuis direction générale de la cohésion sociale) lors de la table ronde du 18 janvier et sur laquelle les acteurs n'ont pour l'instant aucun retour. Ces derniers attendent d'ailleurs toujours qu'un groupe de travail de la commission professionnelle consultative du travail social soit effectivement mandaté, comme s'y est engagée le 15 mars dernier l'administration centrale, pour réfléchir aux conditions de l'alternance.
Chaque région devait donc organiser le 6 mai, sous la responsabilité des délégués régionaux de l'Aforts et du GNI, des rencontres et des actions avec l'ensemble des parties prenantes de la formation pour discuter des enjeux de l'alternance et repérer les leviers d'action. Pour Olivier Cany, directeur de l'Aforts, le bilan est globalement positif puisque la plupart des régions se sont fortement mobilisées, certes à des degrés divers. En Lorraine, des ateliers-débats ont ainsi réuni à l'Institut régional du travail social 300 personnes (étudiants, professionnels, formateurs, employeurs), tandis que l'après-midi, dans le cadre d'une « marche pour l'alternance » rassemblant 400 participants, une délégation composée d'étudiants, de formateurs, de représentants de la direction de l'établissement et d'un membre du conseil d'administration de l'association gestionnaire était reçue par le préfet de région. En Bretagne, sur les différents sites des établissements du Girfas (Groupe des instituts régionaux de formation des acteurs sociaux), ce sont 420 acteurs (essentiellement des étudiants, des formateurs, mais aussi des professionnels de terrain de stage et des représentants de l'Etat et du conseil régional, les conseils généraux n'étant guère représentés) qui ont échangé en séance plénière, puis en ateliers. Tandis qu'en Picardie le débat organisé par l'IRFFE (Institut régional de formation aux fonctions éducatives) d'Amiens a réuni 150 participants. Un regret néanmoins, il s'agissait surtout des étudiants, les employeurs étaient peu représentés, tandis que le conseil régional et le conseil général de l'Oise n'avaient pas répondu aux sollicitations.
Le CNETS confirme de son côté la forte mobilisation des étudiants puisqu'ils étaient 400 à manifester en Rhône-Alpes, 100 à Reims et à Marseille. S'ils ont largement assisté aux débats, le collectif regrette toutefois la faible présence des professionnels en Ile-de-France et en Midi-Pyrénées. « Les échanges ont toutefois été constructifs et un dialogue a pu se nouer entre les étudiants et l'ensemble des acteurs de la formation », se félicite Marie Tallec, étudiante éducatrice spécialisée en première année et membre du CNETS.
De fait, les débats ont permis à chacun, étudiants, employeurs, formateurs, professionnels, d'évoquer leurs difficultés et préoccupations par rapport à l'alternance, mais aussi de s'interroger sur les conditions de sa réussite : rythme, durée de travail, conditions d'accueil sur les terrains professionnels, organisation… Pour le Girfas Bretagne, qui s'appuie sur un protocole régional de l'alternance mis en place avec le conseil régional et la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale afin de coordonner et d'harmoniser l'organisation des stages sur le territoire, « l'objectif était vraiment de montrer combien cette modalité de formation est essentielle pour garantir le caractère professionnel des formations et donc la compétence de l'ensemble des acteurs », explique Marc Rousseau, directeur des formations.
Reste que si la journée visait à dépasser la seule question de la gratification, celle-ci est revenue en force lors des débats. Appauvrissement de l'offre de stages, inégalités d'application de la mesure, mise en difficulté des petites structures, remise en cause des projets de formation des étudiants, tous les effets pervers d'une mesure mal anticipée ont à nouveau été largement évoqués.
Les débats, toutefois, ont permis de dégager des lignes de force communes sur le sujet : les étudiants mobilisés par le CNETS, l'Aforts et le GNI ont rappelé leur attachement au droit à la gratification, destiné à lutter contre le phénomène alarmant de la précarité étudiante (voir encadré, page 24). De même, ils se rejoignent pour demander à l'Etat d'apporter des solutions concrètes au financement de cette mesure, les étudiants souhaitant que les fonds soient versés par un organisme tiers public. Enfin, ils expriment des désaccords sur la proposition de loi sénatoriale. Mais si le GNI et l'Aforts jugent « dommageable le renvoi à la fin 2012 de l'application de la loi », le CNETS refuse carrément le texte. A Marseille, toutefois le CMETS (Collectif méditerranéen des étudiants en travail social, qui fait partie du CNETS) a proposé un dispositif alternatif à celui adopté le 29 avril par le Sénat. Plutôt que de suspendre la gratification des stages jusqu'en 2012 dans l'attente d'un consensus sur son mode d'application, l'idée serait de nommer dans chaque région « un médiateur des formations sociales » afin de répondre à l'urgence de l'année scolaire 2010-2011. Cette personne ressource, au poste financé par la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale, serait chargée d'accompagner et d'orienter, tant du point de vue du droit que du financement, les services et établissements pour lesquels la gratification représente un frein à l'accueil de stagiaires. Elle pourrait également être interpellée par les étudiants en difficulté. « Cette proposition a été accueillie favorablement par l'assemblée réunie à l'IRTS PACA et Corse », souligne le CMETS, qui espère bien qu'elle ne restera pas lettre morte.
S'il y a donc un certains consensus sur le fond sur la gratification, les stratégies, elles, diffèrent. L'Aforts et le GNI entendent bien maintenir la pression auprès du ministère pour obtenir des réponses et un calendrier. Ils porteront également une synthèse de l'ensemble des propositions autour de la gratification et de l'alternance à Nadine Morano, secrétaire d'Etat chargée de la famille et de la solidarité, avec laquelle ils ont rendez-vous le 18 mai prochain. Ces réflexions devraient servir à produire un « livre blanc » national sur l'alternance d'ici à la fin de l'année. De son côté, le CNETS réfléchit avec les organisations professionnelles à une lettre afin d'interpeller les députés sur les conséquences de la proposition de loi sénatoriale. Et les travailleurs sociaux en formation envisagent déjà de nouvelles actions d'information et de débats à Paris, Lyon, Angers, Clermont-Ferrand, Marseille. C'est d'ailleurs dans cette dernière ville que se déroulera les 21 et 22 mai prochain la prochaine coordination du CNETS. Lors de celle-ci, les étudiants réfléchiront à la prochaine impulsion à donner à leur mouvement.
(2) Notamment par le CNETS, la CFDT-Santé sociaux, le Snasen-UNSA et la FNAS-FO.
Une étude sur « la précarité des étudiants en travail social " est en cours de réalisation à la demande du GRIF (Groupement de recherche sociale et médico-sociale d'Ile-de-France) par des étudiants préparant le DEIS à l'IRTS Montrouge-Neuilly-sur-Marne. 622 travailleurs sociaux en formation (éducateurs spécialisés, moniteurs-éducateurs, aides médico-psychologiques) ont été interrogés dans neuf centres de formation d'Ile-de-France. 35 % des étudiants vivent avec moins de 380 € par mois. Dans l'ensemble, 44 % ont une activité rémunérée, régulière ou non, qui les aide à financer leur formation. Cependant 12 % ont eu besoin d'une aide financière exceptionnelle (emprunt, aide sociale). 5 % disent ne pas avoir de logement stable et 8,4 % ont pensé devoir abandonner leur formation pour des problèmes de logement. Près de 20 % sautent régulièrement un repas principal ; 10 % ne sont pas en mesure de financer une assurance complémentaire santé. Cette étude est actuellement complétée par une enquête auprès des étudiants assistants de service social.