Jugées comme un signe de méconnaissance des besoins d'accompagnement éducatif et social, les précisions apportées le 5 mai par Nicolas Sarkozy sur les mesures destinées à lutter contre les violences et le décrochage scolaire (voir ce numéro, page 12) sont largement critiquées.
La possibilité de suspendre les allocations familiales en cas d'absentéisme scolaire – qui fait l'objet d'une proposition de loi déposée par le député Eric Ciotti (UMP, Alpes-Maritimes) devant être votée avant la fin de l'été (1) – existe actuellement en cas de non-respect du contrat de responsabilité parentale instauré par la loi pour l'égalité des chances du 31 mars 2006. Mais aucune caisse d'allocations familiales n'a encore été saisie d'une telle demande. Pour contourner la réticence des conseils généraux, qui jusqu'ici ont la main sur le dispositif, Nicolas Sarkozy veut confier la responsabilité de cette sanction aux inspecteurs d'académie.
Le dispositif serait alors semblable à celui mis en œuvre en 1966, qui a été abrogé par la loi du 2 janvier 2004 relative à l'accueil et à la protection de l'enfance et remplacé par une amende. Selon la caisse nationale des allocations familiales (CNAF), de 2000 à 2004, 8 000 suspensions en moyenne ont été enregistrées par an sous cet ancien système, pour une durée d'environ deux mois. Un chiffre non négligeable, qui s'explique par le caractère automatique de la sanction justement défendu par le président de la République. Jean-Louis Deroussen, président (CFTC) du conseil d'administration de la CNAF, qui, selon lui, pourrait être saisi dès le 1er juin d'un projet de décret modifiant le dispositif en vigueur, ne cache pas sa réticence. « Nous avions déjà en 2006 émis un avis défavorable sur le dispositif créé par la loi sur l'égalité des chances, explique-t-il. Les allocations familiales ne sont pas une récompense, mais une compensation des coûts engendrés par l'enfant. Si celui-ci ne va plus à l'école, il y a d'autres mesures à mettre en œuvre en priorité, par l'aide à la parentalité et l'accompagnement des familles. » Depuis qu'elle a été une première fois annoncée fin mars par le chef de l'Etat, la mesure est fustigée par les professionnels de l'enfance, les représentants des familles, les syndicats d'enseignants et de travailleurs sociaux (2) : sans apporter aucun soutien aux familles, elle aggraverait au contraire leurs difficultés matérielles. En outre, la proposition de loi prévoit que « les allocations suspendues demeureraient prises en compte pour le calcul du revenu de solidarité active. Autrement dit, le RSA ne pourrait compenser les sommes perdues par la famille », pointe le Syndicat national unitaire des assistants sociaux de la Fonction publique (SNUAS-FP)-FSU.
Les professionnels s'inquiètent également des risques de dérive liés aux internats prévus pour les élèves « perturbateurs ». Si beaucoup d'interrogations subsistent sur leurs modalités de fonctionnement, le projet est d'autant plus difficile à comprendre, selon Samuel Delepine, cosecrétaire national du SNUAS-FP-FSU, que « l'Education nationale et la Justice sont mises à mal par la réduction de moyens ». La CGT-PJJ et la CGT-Educ'action regrettent également des solutions fondées sur « l'éloignement » et « l'enfermement », alors que le gouvernement réduit « le nombre de classes-relais [où interviennent déjà des professionnels de la PJJ], qui avaient pour but d'aider les jeunes en difficulté dans l'enceinte du service public d'éducation… ».
D'où la dénonciation par les deux syndicats d'une « obsession sécuritaire », qui prendrait le pas sur une prise en charge de qualité au cœur du système scolaire. « Mettre à l'écart, et ensemble, des enfants rencontrant les mêmes problèmes n'est jamais une bonne solution, tous les professionnels de l'enfance le savent », abonde Maria Inès, cosecrétaire nationale du Syndicat national des personnels de l'éducation et du social (SNPES)-PJJ-FSU. Pour leur part, Christian Vanneste (UMP, Nord) et six autres députés ont déposé à l'Assemblée nationale une proposition de résolution « tendant à la création d'une commission d'enquête relative aux dispositifs d'internats spécialisés », qui vise plus précisément à évaluer les dispositifs « dans lesquels les élèves difficiles peuvent continuer leur scolarité ». Les résultats de deux d'entre eux, les centres « Défense deuxième chance » et les dispositifs relais, « sont particulièrement intéressants », et leurs résultats « tendent à montrer que ces dispositifs peuvent être développés », écrivent-ils dans leur exposé des motifs.
La création d'un nouveau système informatique pour recenser les élèves quittant la scolarité à 16 ans, prévue par la loi « orientation-formation » du 24 novembre 2009 (3), renforce en outre les craintes sur le fichage des élèves. « Dans toutes les académies, il existe déjà des outils permettant de suivre les élèves en rupture scolaire. La nouveauté est de vouloir y intégrer des éléments personnels et des commentaires subjectifs », commente Samuel Delepine, qui dénonce « un amalgame entre l'absentéisme et la délinquance ». De la même façon, la volonté de favoriser la circulation des informations entre l'école et la justice semble faire table rase des dispositifs actuels. « Il existe des conventions entre les conseils généraux, la Justice et l'Education nationale. Mais désormais le gouvernement veut qu'un chef d'établissement soit informé, de façon nominative, des délits commis par les mineurs, devenant le dépositaire de toutes les difficultés éducatives rencontrées par les familles. Quelle relation de confiance pourra alors s'établir avec elles ? Il faut leur laisser la possibilité de parler aux professionnels quand elles le jugent nécessaire. » Autant d'arguments qui s'accommodent mal de ceux avancés par le gouvernement : la responsabilisation des parents, le « respect des devoirs » et la sanction.