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La place centrale des interprètes sociaux

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Méconnu et mésestimé, l'interprétariat social joue pourtant un rôle clé dans l'accueil et l'accès aux droits des étrangers en France en leur permettant la transmission de leur parole. Il facilite également le travail des professionnels en évitant les malentendus et en augmentant les chances de trouver des solutions adéquates aux besoins des usagers.

Plusieurs dizaines d'interprètes sociaux interviennent chaque jour en France. Peu connus, ils remplissent pourtant une mission fondamentale qui va bien au-delà de la seule maîtrise technique de la langue. Leur présence permet de lever la barrière linguistique pour garantir aux étrangers une égalité d'accès aux droits et aux services publics et sociaux. « C'est une démarche éthique minimale qui leur permet de conserver leur intégrité et leurs repères », explique Louisa Moussaoui, formatrice et chargée de mission qualité « Interprétariat » à ISM Corum (1). Si l'intérêt premier de l'interprétariat social est bien sûr de rendre possible la communication, il permet également d'assurer l'égalité de traitement des personnes, d'éviter les malentendus, d'augmenter les chances de trouver des solutions adéquates aux attentes et besoins des usagers et d'instaurer une relation de confiance avec le professionnel. Dès les premières démarches auprès de l'OFII (Office français de l'immigration et de l'intégration, ex-ANAEM) ou de l'OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), dans le cas d'une demande d'asile, le migrant non francophone peut avoir recours à un interprète, qui lui permet de comprendre le fonctionnement de la société française et les procédures à suivre.

L'intervention des interprètes sociaux ne se limite toutefois pas aux premiers pas dans la société française. Des hôpitaux aux administrations publiques (CAF, sécurité sociale, Pôle emploi...), de la polyvalence de secteur aux centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) à la protection maternelle et infantile (PMI), des missions locales aux établissements scolaires, de la gendarmerie aux centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA)..., les organismes qui font appel, de façon permanente ou ponctuelle, aux services d'interprètes sociaux sont nombreux – le secteur médico-social restant le principal requérant.

Cette diversité est à la hauteur des enjeux. Le recours à un interprète peut en effet constituer « l'amorce d'une intégration réussie », comme l'explique Louisa Moussaoui. Loin de dissuader les étrangers de parler français, comme le suggèrent certaines critiques, l'interprétariat social offre au contraire l'occasion aux non-francophones de se familiariser en douceur, et de façon transitoire, avec la langue de leur pays d'accueil. « En témoigne la disparition de l'interprétariat pour des langues comme le portugais, l'espagnol ou l'italien, qui étaient très demandées au début des années 1970, explique Aziz Tabouri, directeur adjoint d'ISM Interprétariat (2). Preuve que ces immigrés n'en ont plus besoin parce qu'ils parlent désormais parfaitement le français. De même avec les langues du Maghreb, qui n'ont cessé de voir les demandes d'interprétariat les concernant diminuer depuis 20 ans. »Selon lui, l'interprétariat social devrait donc être reconnu « comme un accompagnement nécessaire des étrangers dans leur processus d'intégration ». Or on en est loin ! « En France, les principes républicains d'égalité et de laïcité gênent la mise en œuvre d'aménagements liés à des spécificités culturelles, qui font même figure de freins à l'intégration plutôt que de leviers comme c'est le cas au Québec ou en Suisse », observe Liliana Saban, directrice de Migrations Santé Alsace (3). Sans compter que la maîtrise de la langue, au lieu d'être un « aboutissement » comme le suggère Aziz Tabouri, est dorénavant posée comme un préalable administratif à l'entrée de l'étranger en France. « Cela laisse entendre que faire appel à un interprète est un luxe qui n'est pas indispensable », regrette Olivier Daviet, psychologue au Relais Ozanam, un CHRS situé à Echirolles (Isère).

« Cela bouscule des habitudes »

Sur le terrain, la présence d'un interprète continue d'ailleurs de susciter la méfiance de certains travailleurs sociaux. Car, même si elle facilite leur travail, la coopération ne va pas toujours de soi. « Cela bouscule des habitudes », explique Aziz Tabouri. « C'est une tierce personne qui nous renvoie à notre propre fonctionnement et nous interroge sur nos pratiques », explique Bernadette Gérard, directrice territoriale adjointe de l'OFII à Lyon. A cela s'ajoute souvent la crainte d'un manque de professionnalisme. Car les aptitudes techniques (maîtrise de la langue, restitution du message...) ne suffisent pas. « L'expérience est très riche et requiert une connaissance fine des lieux d'intervention dont les codes sont très différents d'un endroit à un autre », note Marta Spranzi, interprète sociale et maître de conférences spécialisée en éthique médicale à l'université de Versailles. Quoi de commun en effet entre le cadre très formel de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA, ex-Commission des recours des réfugiés), l'environnement médical des hôpitaux et le secteur de l'action sociale ?

En outre, l'interprète doit savoir faire face à des situations délicates : annoncer au migrant une maladie incurable, affronter un comportement agressif, soutenir une attitude blessante de la part d'un professionnel... « Ce travail exige une réflexion sur ses propres limites, une distanciation émotionnelle et une grande capacité d'adaptation », explique Katarzyna Pinis Dulinski, interprète de langue polonaise au sein de l'association Mi­grations santé Alsace (4).

Autant d'exigences qui ont poussé les principales associations du secteur à se doter de garde-fous en se référant à une déontologie stricte – fidélité de la traduction, neutralité et confidentialité – et en sensibilisant les interprètes à leur place lors de l'entretien. « Nous devons veiller à rassurer la personne de l'institution, observe Marta Spranzi. Cela passe notamment par la façon de se positionner, y compris physiquement, et par une traduction cohérente avec le débit de l'usager. » « En milieu social, l'aspect relationnel, qui renvoie aussi à la proximité induite par la relation triangulaire entre l'usager migrant, le professionnel et l'interprète, est primordial, analyse Asuman Plouhinec, responsable du service interprétariat et traduction à l'ADATE (5). Il faut trouver la juste distance. Ce n'est pas, par exemple, parce que l'interprète est rémunéré par l'organisme qu'il doit être l'allié implicite du professionnel. Inversement, ce n'est pas parce qu'il se situe dans une mission de défense du droit des migrants qu'il doit être l'allié de l'usager. » Subtil équilibre qui vaut aussi pour l'interprétation proprement dite, qui n'est ni simple traduction ni reconstruction complète du discours, mais un délicat dosage où tout ajout par rapport au message d'origine doit faire l'objet d'une explication de la part de l'interprète. « S'il perçoit une réticence chez l'usager, il doit l'expliquer au professionnel, mais de façon transparente et sans surinterpréter ce ressenti pour ne pas parasiter le message », note Marta Spranzi.

Ces savoir-faire s'acquièrent certes avec l'expérience, mais aussi grâce aux outils proposés par les associations tutorat, formations de base et formations spécialisées (sur la législation des étrangers, sur l'accompagnement et le soutien psychologique, sur l'actualité juridique du secteur dans lequel intervient l'interprète, sur le jargon des travailleurs sociaux ou encore dans le domaine médical, sur des thématiques précises comme la pédiatrie, la gynécologie, le sida...) et, parfois, groupes de paroles et d'analyse de pratiques.

Malgré ces efforts qui guident et enrichissent les pratiques de terrain, « la complexité des fonctions à assumer persiste à être sous-estimée », avancent Murielle Rondeau-Lutz, médecin, et Liliana Saban (6). Pour y remédier, Migrations Santé Alsace a initié une démarche de définition de standards communs du métier à laquelle d'autres associations du secteur seront associées. Objectif aboutir à terme à l'élaboration d'un code éthique et d'un « code des pratiques » de l'interprète social, qui n'existe pas en France. Dans la même logique, ISM Interprétariat prévoit de réaliser un état des lieux des acteurs de l'interprétariat social en France en vue d'harmoniser les pratiques et de faire reconnaître officiellement ce métier aux multiples formes.

Eviter les malentendus

En attendant, ceux qui ont eu la chance d'expérimenter cet outil en appui de leurs missions quotidiennes en sont généralement très satisfaits. Au-delà de la question de la compréhension, l'interprète apporte un climat de confiance qui aide in fine le travailleur social à mieux remplir ses fonctions, en évitant les malentendus et la conflictualité – voire la violence – qui peut en découler. Pour Nadine Munill, assistante de service social dans un service d'AEMO (action éducative en milieu ouvert) de l'ADSEA du Rhône, l'interprète est un « réel partenaire » qui « apporte un grand confort et permet d'être dans une éthique de travail ». « Certes, recourir à un tiers dans le cadre de l'accompagnement psychologique est un dispositif peu orthodoxe que certains psychologues rejettent, note pour sa part le psychologue Olivier Daviet. Mais sa présence peut être tout à fait nécessaire pour accomplir de façon satisfaisante notre travail – par exemple lorsque la personne, même immigrée de longue date et parlant bien le français, souhaite pouvoir s'exprimer dans sa langue maternelle pour évoquer des aspects intimes de son histoire. »

Si le secteur de l'action sociale est concerné en premier chef, c'est toutefois dans le secteur de la santé (7) que l'intérêt du dispositif est le plus évident. En témoigne cet exemple parmi d'autres : habitué à recevoir de nombreuses femmes roms pour une interruption volontaire de grossesse, le personnel médical d'un hôpital de la région parisienne, accueillant une jeune femme de cette communauté, enceinte de deux mois et présentant des saignements, a eu comme premier réflexe de l'inscrire sur la liste des femmes en attente d'un avortement. Il a fallu l'intervention de l'interprète mobilisé par le centre d'accueil, de soins et d'orientation (CASO) de Médecins du monde à Saint-Denis pour faire apparaître que la jeune femme souhaitait en fait poursuivre sa grossesse jusqu'à son terme. Dans ce contexte, pour Louisa Moussaoui, l'interprétariat est tout simplement un antidote à une « médecine vétérinaire » où il n'y aurait pas de place pour le consentement éclairé du patient non francophone. Le Comede (Comité médical pour les exilés) l'a bien compris : dans son centre de santé, à l'hôpital Bicêtre (Val-de-Marne), des interprètes dans les principales langues usitées sont présents du lundi au vendredi pour faciliter la communication lors des consultations médicales, psychothérapeutiques, sociales et juridiques organisées par l'association. « Ce service a considérablement amélioré la qualité de la rencontre et des soins, que ce soit pour l'établissement du diagnostic, la prise en charge du patient ou une action de prévention », note Arnaud Veïsse, directeur du Comede.

Une organisation minimale

Lorsqu'il n'est pas intégré au service de façon permanente, le recours à l'interprétariat demande néanmoins un minimum d'organisation de la part du professionnel, ne serait-ce que parce qu'il faut prendre rendez-vous avec l'interprète. Afin de faciliter cette logistique, ISM Interprétariat, qui dispose à Paris de près de 300 interprètes parlant une centaine de langues et de dialectes, propose, depuis 1989, en complément de l'interprétariat par déplacement sur site (35 000 interventions dans la région parisienne en 2009), un service d'interprétariat par téléphone disponible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 (8) qui remporte un vif succès (50 000 interventions environ dans toute la France en 2009). Certains organismes peuvent difficilement s'en passer, à l'instar du SAMU social. « C'est une solution très pratique qui nous permet d'évaluer rapidement la situation médico-sociale de la personne qui nous contacte », explique Grégoire Caffin-Le Dû, directeur de la régulation du SAMU social de Paris. Bien que ce service ait sa raison d'être pour répondre aux urgences, ISM Corum, à Lyon, privilégie toutefois l'interprétariat sur site. « Le champ social nécessite une relation physique, seule à même de faire émerger l'aspect non verbal de la communication », explique Louisa Moussaoui. Il n'empêche, les deux modalités d'intervention sont complémentaires. L'interprétariat par téléphone n'est d'ailleurs pas sans avantage dans certains cas, en ce qu'il permet d'éviter une trop forte empathie entre le traducteur et l'usager.

Il est en tout cas toujours plus efficace que le recours à des interprètes de fortune – souvent des proches ou des accompagnateurs informels issus du réseau communautaire – encore trop souvent utilisés, que ce soit pour éviter une confrontation triangulaire, du fait de l'urgence de la situation, parce qu'il n'existe aucun traducteur disponible pour une langue rare ou, plus fréquemment encore et pas toujours de façon justifiée, pour des raisons budgétaires. Car, alors, « on est dans l'approximatif, le système D, le bricolage ; tout ne se dit pas et on perd les nuances », regrette Nadine Munill. Outre les questions – essentielles – de confidentialité et de bonne transmission du message, le risque est grand, aussi, de voir l'interlocuteur être manipulé par l'accompagnateur. « L'absence d'interprète professionnel peut renforcer les logiques de ghetto, explique Aziz Tabouri. Quand une femme, pour faire ses démarches, doit être accompagnée par sa belle-mère ou sa voisine, on ne la considère pas comme un individu à part entière, mais comme un élément de sa communauté. » « La question de l'intimité n'est jamais questionnée », regrette également Liliana Saban. Un homme peut-il aisément évoquer une addiction en recourant à la traduction d'un cousin par exemple ? Ou bien une femme, évoquer ses problèmes gynécologiques par le biais de son oncle, voire le fait qu'elle est battue par son mari en sa présence ? « Le recours à ce type d'interprète est dangereux sur le plan éthique, avec un risque de non-maîtrise du vocabulaire et de manque de confidentialité, analyse Louisa Moussaoui. Cela peut générer de la parole fabriquée, une inversion des rôles et une perte d'autorité – par exemple quand l'enfant parle à la place de ses parents. » Cas emblématique et « délétère », selon Olivier Daviet, qui insiste pour que ce soit bien les adultes qui discutent entre eux de questions d'adultes. Car non seulement les enfants ne maîtrisent pas toujours bien leur langue maternelle (ou alors uniquement pour ce qui concerne l'environnement familial), mais ils sont fragilisés dans leur identité et dans leur statut lorsqu'ils doivent servir d'intermédiaires sur des sujets dont ils devraient être protégés. Et s'il est vrai qu'il y a parfois des incompréhensions simples, autrement plus épineux à traduire sont les discours portant sur le corps, la souffrance psychique, les relations parents/enfants, les dossiers d'aide sociale...

Sans compter que plusieurs études (9) montrent, notamment en matière de santé, qu'approximations et difficultés de traduction conduisent à l'augmentation du risque d'erreur médicale et de complication de la maladie ainsi que du nombre de consultations et de prescriptions d'examens non nécessaires. L'absence de traduction professionnelle aurait donc un coût non négligeable. Au final, il s'avère que le recours à un interprète professionnel, malgré son coût (en moyenne 35 € de l'heure), permet de réaliser à moyen terme des économies budgétaires. « La médiation de l'interprétariat, si elle était très largement diffusée, ferait gagner du temps dans le respect et la connaissance de l'autre et générerait, par là même, des économies dans le coût des prestations à caractère social », affirme Bruno René-Bazin, président du CLARA (Centre national de liaison des associations du réseau d'accompagnement des migrants) (10).

Si beaucoup reste à faire pour généraliser ce type de service, la culture de l'interprétariat gagne néanmoins subrepticement du terrain. En témoignent, indirectement, l'affirmation répétée du droit à l'information des usagers (11) ainsi que, plus directement, la multiplication du nombre de structures sociales (CHRS, service social de secteur...) qui lui consacrent une ligne budgétaire – ce qui génère parfois des appels d'offres. En outre, la généralisation, en 2005, du contrat d'accueil et d'intégration, qui doit être proposé dans une langue comprise par le demandeur, a contribué à augmenter les demandes d'interprétation. En 2009, la direction territoriale de l'OFII de Lyon, qui réalise 6 000 contrats d'accueil et d'intégration par an dans cinq départements, a dépensé près de 115 000 € pour l'interprétariat dans le cadre de la plateforme d'accueil des primo-arrivants. Celle-ci mobilise habituellement deux interprètes par session d'une demi-journée pour la réunion collective de présentation, les entretiens individuels menés par des auditeurs sociaux et éventuellement une visite médicale et un entretien avec un assistant social. A quoi il faut ajouter les dépenses d'interprétariat dans le cadre de la journée obligatoire de formation civique et de la journée d'information « Vivre en France » organisées par des associations prestataires – comme ISM Corum, qui a remporté l'appel d'offres à Lyon. Reste que la politique actuelle en matière d'immigration, marquée notamment par des restrictions en matière d'asile, engendre mécaniquement une baisse de l'interprétariat pour le compte de l'OFPRA.

Des subventions en baisse

Dans ce chaud et froid, c'est surtout la baisse brutale des subventions accompagnant la réorganisation des services de l'Etat dans le cadre de la révision générale des politiques publiques qui inquiète les acteurs du secteur. La restructuration de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (ACSé) – dont les directions régionales ont été intégrées aux directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale – a failli coûter 60 000 € à l'ADATE en 2009. Un temps « oubliée », cette somme réservée aux usagers pour les accompagner dans diverses démarches (dépôts de plainte, démarches administratives...) a fini par être versée par le biais de la préfecture – plus exactement du secrétariat général aux affaires régionales (SGAR). En 2009 également, le Clisma, une des associations historiques du secteur, a carrément mis la clé sous la porte à Clermont-Ferrand. D'autres associations sont acculées à augmenter le coût de leurs prestations. « Ces changements nous fragilisent beaucoup », avoue Liliana Saban, dont l'association Migrations Santé Alsace a dû, en février 2009, recourir à un emprunt dans l'attente du solde de la subvention du Fonds européen des réfugiés (FER) perçue fin 2007, soit 50 000 € – ce qui équivaut à un mois de trésorerie (12). « Bien que l'interprétariat social cons­titue un vivier d'expériences et d'histoires très riches, il est sans cesse ramené à sa précarité d'existence », s'inquiète sa directrice.

Même inquiétude à ISM Interprétariat : en 2008, l'association a perdu une subvention de 150 000 € de l'ACSé, puis, en 2009, un financement de 50 000 € en provenance de la préfecture de Seine-Saint-Denis. Et l'année 2010 n'offrira pas de perspectives meilleures, reconnaît Aziz Tabouri : « Non seulement les organismes utilisateurs (hôpitaux, municipalités, conseils généraux...) disposent de moins en moins de ressources pour faire face aux dépenses, et donc pour recourir à nos services, mais encore l'Etat a mis fin à des financements qui existaient depuis plusieurs années. » L'association n'a plus de marge de manœuvre, mais elle a néanmoins la capacité de faire face : seules 8 % de ses ressources proviennent de subventions publiques, le reste étant issu de fonds propres. Mais les autres ? « Comme le montre le versement tout à fait aléatoire des subventions, l'interprétariat n'est malheureusement pas une priorité des pouvoirs publics », se désole Liliana Saban, qui perçoit également derrière la politique actuelle en matière d'immigration une « suspicion vis-à-vis des étrangers, qui suscite une forme de discrimination institutionnalisée que seuls les professionnels sensibilisés ont les moyens de dépasser – par exemple en faisant appel à des interprètes ». Dans ce contexte, l'accompagnement social proposé dans le cadre de l'interprétariat social ferait presque figure d'acte de résistance.

QUI TRADUIT QUOI ?

Sous le nom d’ISM (Inter Service Migrants), il existe quatre associations spécialisées dans l’interprétariat en France, qui partagent les mêmes principes d’action : la plus ancienne et la plus importante à ce jour, ISM Interprétariat, fondée à Paris en 1970, a essaimé en province pour donner naissance à ISM Corum, à Lyon, ISM Méditerranée, à Marseille, et ISM Est, en Moselle. D’autres associations font aussi référence, à l’instar de l’ADATE, à Grenoble, ou de Migrations Santé Alsace, à Strasbourg, qui mobilisent chacune une soixantaine d’interprètes. La plupart sont nées dans les années 1970 dans le cadre de la création d’un réseau d’accueil pour les migrants, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, lorsqu’il s’est avéré que l’immigration n’était pas seulement une immigration de travail mais aussi une immigration familiale. Alors qu’à l’origine ISM Interprétariat proposait une poignée de langues (l’italien, l’espagnol, le portugais, le serbo-croate, l’arabe et le soninké), aujourd’hui elle assure l’interprétariat d’une centaine de langues et de dialectes. Contrairement aux idées reçues, l’arabe n’est pas dans le peloton de tête : « Il n’a jamais été la première langue traduite, et aujourd’hui il n’est qu’en huitième position », précise Liliana Saban, de Migrations Santé Alsace, qui doit faire face actuellement à une forte demande d’interprétariat en albanais. De fait, la demande s’accroît pour les langues des pays de l’Est (le russe arrive en tête des interprétariats par téléphone réalisés par ISM Interprétariat), à quoi s’ajoute une forte poussée des langues asiatiques (chinois et tamoul notamment), ainsi que la multiplication de langues « rares » (tibétain, tchétchène, mongol, dialectes du Tchad ou du Liberia, langues afghanes...). « Si l’on part, comme nous, du principe que le recours à l’interprétariat social est un droit, il faut aussi que nous puissions traduire les langues minoritaires », assure Asuman Plouhinec, de l’ADATE.

L’INTERPRÈTE SOCIAL : UN MÉDIATEUR CULTUREL ?

Connaître les références culturelles du pays d’origine du migrant est un atout supplémentaire pour l’interprète. La plupart des associations d’interprétariat social privilégient d’ailleurs des interprètes originaires du pays dans lequel est parlée la langue qu’ils traduisent – autrement dit des interprètes capables de décoder le creuset culturel du migrant. « Grâce à cette connaissance culturelle, l’interprète peut nous donner des pistes d’entrée dans certains sujets et nous ouvrir à d’autres représentations – par exemple, le placement n’a pas la même résonance ici que dans d’autres pays, où il est perçu comme un abandon de l’enfant au bon vouloir de l’Etat », note Nadine Munill, assistante de service social dans un service d’AEMO de l’ADSEA du Rhône. « Etre un médiateur, voire unmédiateur culturel, ça ne va pas de soi, tempère toutefois Asuman Plouhinec, de l’ADATE. Chacun s’approprie sa culture à sa façon, et l’interprète n’a pas le droit de “culturaliser” ce que vit le migrant. » « Il existe un flou entre l’interprétariat et la médiation, car l’intervention de l’interprète inclut une forme de médiation culturelle dans la mesure où la culture est véhiculée par la langue, reconnaît également Liliana Saban, de Migrations Santé Alsace.Mais alors que le médiateur culturel a pour mission de réguler ou de résoudre des conflits d’ordre culturel, l’interprète – tout en se souciant de la compréhension de sa traduction – reste attaché à la restitution des propos de manière fidèle et complète. Ce faisant, il permet aux personnes d’exister comme sujets à part entière, capables d’assumer leur propre parole. A contrario, jouer le médiateur, c’est, pour l’interprète, courir le risque de se placer dans une position paternaliste qui est alors un frein à l’émancipation des personnes. »

Notes

(1) ISM Corum : 32, cours Lafayette – 69003 Lyon – Tél. 04 72 84 78 90.

(2) ISM Interprétariat : 251, rue du Faubourg-Saint-Martin – 75010 Paris – Tél. 01 53 26 52 50.

(3) Migrations Santé Alsace : 24, rue du 22 Novembre – 67000 Strasbourg – Tél. 03 88 22 60 22.

(4) Dans un article intitulé « Interprétariat médical et social : à l'épreuve de la parole », à lire sur le site de Migrations Santé Alsace : www.migrations-sante-alsace.org/fichiers/File/texte_K_Pinis.pdf.

(5) ADATE : 5, place Sainte-Claire – 38000 Grenoble – Tél. 04 76 44 46 52.

(6) Dans un article intitulé « Interprétariat professionnel dans les domaines de la santé et du travail social », sur www.migrations-sante-alsace.org/fichiers/File/ Note_interpretariat_professionnel.pdf.

(7) ISM Interprétariat organisait un colloque sur le thème « Interprétariat, santé et prévention » le 18 mars dernier au ministère de la Santé – www.interpretariat-sante-ism.fr/presentation-du-colloque.

(8) Par le biais d'un accueil centralisé avec un numéro de téléphone unique : 01 53 26 52 62.

(9) Voir notamment l'article, en anglais, de Glenn Flores, dans Medical Care Search and Review, vol. 62, n° 3, pages 255-299, 2005.

(10) Dans une étude intitulée « Enquête quantitative et qualitative sur la présence des interprètes dans les contacts entre les migrants et les services d'intérêt général », réalisée par le CLARA, de février 2007 à novembre 2008 – Disponible sur demande à ISM Interprétariat.

(11) A travers notamment la charte des droits et libertés définie par la loi 2002-2 et la charte de la personne hospitalisée – Disponible sur www.sante-sports.gouv.fr/ la-charte-de-la-personne-hospitalisee-des-droits-pour-tous.html.

(12) A la mi-mai, l'enveloppe n'était toujours pas perçue.

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