Elle préfère les appeler « mineurs isolés étrangers » pour « marquer la primauté de la notion d’isolement du mineur sur le fait qu’il soit étranger ». La sénatrice (UMP) des Hauts-de-Seine, Isabelle Debré, a remis le 10 mai un rapport à Michèle Alliot-Marie dans lequel elle fait le point sur la situation de ces jeunes arrivés seuls aux frontières françaises (1). En préambule, elle souligne que, si la présence d’un mineur isolé étranger sur le territoire relève, par nature, d’un traitement judiciaire, « la délinquance ne [les] caractérise que très rarement et spécifiquement ».
La parlementaire propose par ailleurs plusieurs pistes pour améliorer la prise en charge de cette population. D’ores et déjà, deux d’entre elles ont particulièrement retenu l’attention de la Garde des sceaux (2) : la création d’une plateforme interministérielle pilotée par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) et chargée d’assurer la coordination des actions conduites à l’égard de ces mineurs, d’une part ; un renforcement de la solidarité entre les territoires avec la création d’un « fonds dédié », d’autre part.
Bien qu’il soit difficile à appréhender, le nombre de mineurs isolés étrangers est estimé entre 4 000 et 8 000 aujourd’hui. « Si les pays d’origine sont très variés, le croisement des données, notamment des conseils généraux, montre [qu’ils] viennent majoritairement du Mali, d’Afghanistan, d’Inde, de Chine, des territoires palestiniens, du Congo, de la république démocratique du Congo, d’Angola, du Pakistan et du Maroc », indique le rapport, évoquant également les jeunes d’Europe de l’Est (Roumains – roms ou non –, ressortissants d’ex-Yougoslavie, Albanais). Les raisons de leur exil sont variées : oppression politique, guerre, pauvreté, abandon par leur famille, exploitation par une filière mafieuse…
Ce phénomène constitue à terme, pour la sénatrice, « une véritable bombe à retardement sociale ». De nombreux acteurs, du secteur public comme du secteur associatif, s’investissent pourtant auprès de ces mineurs. Mais jusqu’à aujourd’hui, « l’Etat n’a pas su définir une politique lisible et coordonnée pour exercer ses responsabilités en ce domaine ». La charge des mineurs isolés étrangers revient ainsi à l’heure actuelle « principalement aux départements, qui n’ont eu d’autres choix que de parer au plus pressé, avec une implication financière de plus en plus lourde ». Or, insiste Isabelle Debré, en la matière, « l’Etat doit jouer son rôle ».
Afin de permettre à l’ensemble des acteurs d’avoir un « interlocuteur unique chargé de la problématique mineurs isolés étrangers », la sénatrice propose la création d’une plateforme interministérielle pilotée par la DPJJ. Elle aurait pour objectif d’être le « chef de file de la politique de l’Etat » en matière de prise en charge de ces jeunes et coordonnerait l’action des différents départements ministériels concernés par cette question (3). Dans l’esprit d’Isabelle Debré, elle aurait aussi pour tâche la création d’outils statistiques puis l’analyse de ces données, mais aussi la création d’outils permettant de suivre les mineurs lors de leur séjour sur le territoire ainsi que la formalisation et la diffusion des bonnes pratiques en matière d’accueil, d’évaluation et d’orientation. La formation des intervenants (administrateurs ad hoc [4], magistrats, policiers, travailleurs sociaux) relèverait également de cette « cellule interministérielle ». A cet égard, la parlementaire souligne qu’à ses yeux les travailleurs sociaux doivent être davantage formés à la spécificité de l’accueil et de la prise en charge des mineurs isolés étrangers. « A cet effet, un dossier technique pourrait être élaboré » par la plateforme et « les modules de formation pourraient se dérouler à l’Ecole nationale de protection judiciaire de la jeunesse ».
Isabelle Debré suggère aussi le développement d’une formation nationale des administrateurs ad hoc, qui pourrait être assurée également par cette école « en lien avec les associations expérimentées ».
Selon le rapport, les départements d’Ile-de-France concentrent une forte proportion des mineurs isolés étrangers. Les Bouches-du-Rhône et – plus surprenant – l’Ariège sont également très sollicités. Afin de leur venir en aide, Isabelle Debré préconise la création d’un fonds de solidarité. Adossé au fonds national de protection de l’enfance et abondé également par des fonds européens, il gérerait « les crédits fléchés relatifs au traitement des mineurs isolés étrangers, à savoir les dotations actuellement dispersées sur plusieurs lignes budgétaires » de différents ministères. « Les départements les plus touchés [bénéficieraient] d’un droit de tirage pour financer l’ouverture d’établissements spécialisés supplémentaires » pour accueillir ces jeunes – ouverture rendue nécessaire par l’engorgement des structures de l’aide sociale à l’enfance (ASE) – ainsi que leurs dépenses de fonctionnement. Le fonds interviendrait ainsi en appui des départements « pour leur permettre de compenser la charge financière exceptionnelle que représente la prise en charge des mineurs isolés étrangers dans les structures de l’ASE ».
(1) Les mineurs isolés étrangers en France - Isabelle Debré - Mai 2010 - Disp. sur
(2) Notons que Michèle Alliot-Marie semble reprendre la main sur ce dossier jusqu’alors suivi par Eric Besson - Voir ASH n° 2634 du 27-11-09, p. 17.
(3) Justice, Immigration, Intérieur, Solidarité, Affaires étrangères, Education nationale, Jeunesse, Logement.
(4) Pour mémoire, les administrateurs ad hoc sont désignés par le procureur de la République pour représenter les mineurs dans les procédures administratives et juridictionnelles.