Recevoir la newsletter

Délinquants souffrant de troubles mentaux : les propositions du Sénat pour améliorer leur prise en charge

Article réservé aux abonnés

Constat connu mais « alarmant : un grand nombre de détenus souffrent de troubles mentaux sans être pris en charge dans de bonnes conditions ». Des personnes pour lesquelles « la peine n’a pas de sens », estime un groupe de travail du Sénat sur la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux ayant commis des infractions, qui a rendu publiques ses conclusions sur le sujet le 11 mai (1). La proportion des détenus atteints de troubles mentaux les plus graves représenterait 10 % de la population carcérale, une « proportion [qui] aurait beaucoup augmenté dans la période récente », selon les personnels pénitentiaires. Cependant, regrettent les sénateurs, ce fait peut difficilement être confirmé du fait de l’absence de statistiques. En outre, que doit-on entendre par troubles mentaux ?, s’interrogent-ils, car les chiffres avancés englobent des pathologies de gravité variable, allant de la dépression à la schizophrénie (2). Si la prise en charge médicale de ces personnes a accompli de « réels progrès », estiment les sénateurs, « la prison n’est [toutefois] pas un lieu de soins ». Après avoir dressé un état des lieux des conditions de cette prise en charge, les élus avancent quelques propositions pour pallier les lacunes des dispositifs existants tant au niveau du suivi médical qu’au niveau pénal.

Les insuffisances du système de prise en charge

Pour le groupe de travail, la principale raison expliquant la présence accrue des malades mentaux en prison réside dans le « mouvement de désinstitutionnalisation de la psychiatrie etles limites de son organisation territoriale actuelle ». En effet, illustre-t-il, entre 1985 et 2005, la capacité d’hospitalisation en psychiatrie générale est passée de 129 500 à 89 800 lits. Selon les sénateurs, « il en serait résulté, de manière dommageable, une tendance des experts à refuser l’irresponsabilité [pénale] d’auteurs d’infractions afin d’éviter de mobiliser un lit d’hospitalisation ». Tout comme le rapport « Couty » de 2009 (3), ils notent aussi une « inégale répartition des soins psychiatriques sur le territoire [qui] ne permet pas de garantir le suivi des personnes fragilisées susceptibles de passer à l’acte ». Par ailleurs, les soins en prison souffrent de l’insuffisance de moyens en personnels médicaux : depuis 1997, les effectifs médicaux et soignants n’ont augmenté que de 21,45 % en psychiatrie, contre 108,3 % pour les soins somatiques. Autre obstacle : les services médico-psychiatriques régionaux (SMPR) (4) – au nombre de 26 pour une capacité de 360 lits – sont en général localisés dans les maisons d’arrêt, alors que certains établissements pour peines, en particulier les maisons centrales, accueillent des détenus condamnés à de très longues peines et souffrant parfois de troubles mentaux majeurs. Leurs effectifs sont très « inégalement répartis entre SMPR, variant pour les médecins de 0,3 à 10,05 équivalents temps plein ».

Dans ce contexte, le groupe de travail invite le gouvernement à engager la révision« devenue indispensable » – de l’organisation territoriale de la psychiatrie pour favoriser la continuité des soins. Et suggère, tout particulièrement, d’« autoriser, dans le cadre d’expérimentations départementales, la mise en place des groupements locaux pour la santé mentale » et d’organiser des états généraux de la santé mentale.

Autre faiblesse du système de prise en charge : les détenus sont souvent remis en liberté sans qu’un suivi particulier soit prévu. D’ailleurs, soulignent les sénateurs, plusieurs experts auditionnés ont déploré le « manque de structures intermédiaires susceptibles d’accueillir le détenu libéré pour ménager une transition entre la prison et une prise en charge ambulatoire ». Aussi préconisent-ils de « prévoir des possibilités d’hébergement dans des structures intermédiaires, telles que les appartements thérapeutiques, pour les détenus atteints de troubles mentaux sortant de prison avant d’envisager une prise en charge ambulatoire » et de « choisir les implantations des futurs établissements pénitentiaires en tenant compte de la démographie médicale, notamment en psychiatrie ».

Les UHSA, une solution à la situation actuelle ?

La prison s’est adaptée, notamment en créant les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), mais « sans pouvoir faire face à l’ampleur du phénomène », constatent les sénateurs. Au total, 17 unités doivent être construites pour une capacité totale de 705 lits (5) : pour l’instant une seule unité, à Lyon (6), l’a effectivement été, une prochaine tranche de 9 unités devant être achevée en 2012. Toutefois, leur création reste « controversée », estiment les élus. En effet, « si ces unités devraient favoriser l’hospitalisation des détenus dans de meilleures conditions […], leur existence pourrait aussi inciter experts psychiatriques et juridictions à renoncer à constater l’irresponsabilité pénale des acteurs d’infractions s’ils estiment que la condamnation pénale sera le meilleur moyen d’assurer leur prise en charge médicale sécurisée ». Aussi les sénateurs proposent-ils de créer au sein des UHSA des secteurs séparés ouverts aux auteurs d’infractions reconnus irresponsables et hospitalisés d’office lorsque le type de prise en charge qu’elles permettent et le niveau de sécurité qu’elles assurent est adapté à la situation de ces malades.

Par ailleurs, dans les cas nécessitant une prise en charge intensive à temps complet ou en cas de crise, la seule voie possible est celle de l’hospitalisation d’office dans un établissement psychiatrique, reconnaît le groupe de travail. Toutefois, il demande une réforme de la loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation, pour « passer de la notion d’hospitalisation sous contrainte à celle de soins sous contrainte ». Une réforme qui permettrait la mise en place d’une obligation de soins en ambulatoire. Ce que prévoit d’ores et déjà le projet de loi présenté par la ministre de la Santé le 5 mai dernier en conseil des ministres (voir ce numéro, page 7).

Les autres voies d’évolution

Sur le plan juridique, l’article 122-1 du code pénal dispose que n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant « aboli » son discernement ou le contrôle de ses actes. Toutefois, celle dont le discernement a été uniquement « altéré » demeure punissable, la juridiction devant tenir compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime. Bien que cet article ne fasse pas consensus, le groupe de travail considère qu’il faut conserver la distinction qu’il opère entre abolition et altération du discernement, « qui reste pertinente », tout en le complétant pour affirmer que « l’altération du discernement doit constituer une cause légale d’atténuation de responsabilité ». Dans l’esprit des sénateurs, cela pourrait donner lieu à une « réduction de la peine encourue comprise entre le tiers et la moitié [du] quantum » et la peine pourrait en outre être exécutée sous le régime du sursis avec mise à l’épreuve assorti d’une obligation de soins. Toutefois, insistent-ils, la diminution de la peine devra avoir pour corollaire « l’affectation systématiquedes personnes dont le discernement est altéré dans les établissements pénitentiaires comprenant un SMPR » ou « le retrait systématique des crédits de réduction de peine […] en cas de refus des soins qui [leur] ont été proposés par le juge de l’application des peines après un avis médical ».

A la libération des personnes, les sénateurs recommandent d’instaurer une obligation de soins pendant la période comprise entre la libération et le terme de la peine encourue ou de les soumettre à l’une des mesures de sûreté prévues à l’article 706-136 du code de procédure pénale (interdiction d’entrer en relation avec la victime de l’infraction, de paraître en tout lieu désigné…), actuellement réservées aux personnes irresponsables.

Notes

(1) Prison et troubles mentaux : comment remédier aux dérives du système français ? – Mai 2010 – Disponible sur www.senat.fr.

(2) Selon une enquête épidémiologique sur la santé mentale des détenus conduite entre 2003 et 2004, 35 % à 42 % d’entre eux sont considérés comme manifestement malades, gravement malades ou parmi les patients les plus malades.

(3) Voir ASH n° 2595 du 6-02-09, p. 16.

(4) Ce sont des services de psychiatrie situés au sein des établissements pénitentiaires, rattachés à un établissement de santé. En outre peuvent intervenir en milieu pénitentiaire les unités de consultations et de soins ambulatoires, qui assurent les soins courants dans les prisons relevant de leur zone géographique.

(5) Voir ASH n° 2519 du 24-08-07, p. 25.

(6) Toutefois, cette structure ne sera opérationnelle qu’après la parution au Journal officiel des décrets d’application définissant le fonctionnement des UHSA.

Dans les textes

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur